07. Jonas Bennett – 20 Avril

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QG - 22h10

En attendant de plus amples informations, les sept combattants élémentaires, accompagnés de Gil Blake, Tutrice du groupe Feu, se dirigent vers la salle du Portail. Arrivés au troisième sous-sol, ils se mettent en rang devant la porte blindée, dans l'attente des ordres.

Tu parles d’une équipe, peste Jonas intérieurement. Aucun Élément Terre et un seul Élément Eau et il est à bout de forces papi Björn ! Noah et Izaya n'ont pas l'air en meilleure forme. Donc, on n'est plus que quatre en état de partir en mission. Pas de quoi se réjouir ! Ils sont beaux les Protecteurs de Gaïa ! Des loques oui ! Et on veut nous refiler des novices. La bonne blague ! Si j'étais notre ennemi, je porterais le coup fatal sans tarder.

Jonas Bennett n’aime pas perdre. Au rythme où vont les événements, ils en prennent pourtant le chemin. Il trouve le positivisme des Tuteurs fortement exagéré. Pour sa part, il peine à se convaincre que les novices changeront la donne.

Certes, Mère Nature leur a fait une fleur en leur permettant de trouver les Éléments manquants, cependant, Jonas est persuadé que leur arrivée prochaine créera plus de problèmes qu’elle n’en règlera. Selon lui, il est désormais trop tard. Ils ne maîtriseront jamais le Pouvoir Originel à temps.

Alors que les combattants n'ont jamais été aussi proches de l'affrontement final, il ne subsiste pas grand-chose des espoirs qui ont animé Jonas à ses débuts.

***

Six ans plus tôt.

En ce matin de février, Jonas s'était levé à l'aube, comme à son habitude. Le thermomètre affichait 28,4°F. Pas de quoi le ralentir. Le jeune homme de vingt-deux ans bouillait de l'intérieur, électrisé à l'idée de rejoindre sa compagnie après trois jours de relâche. Huit mois auparavant, il avait réalisé son rêve en intégrant la NYFD, le prestigieux corps des sapeurs-pompiers professionnels de la ville de New York. Depuis, la même excitation l'animait quotidiennement.

En hâte, il traversa le salon. Son paternel gisait dans le canapé défoncé, environné de cadavres de cannettes de bière bon marché et de paquets de chips éventrés. Jonas ne prit pas la peine de le réveiller afin de lui signifier son départ. À quoi bon ? Il ne recevrait qu'un grognement mécontent en retour.

On frappa à la porte.

— Merde, elle est en avance, bougonna Bennett.

Son blouson sous le bras, il ouvrit la porte en espérant que sa collègue ne remarquerait pas le désordre ambiant.

— Salut Alice ! La forme ?

— Salut Bennett ! lança la petite brune tout en coulant un regard à l'intérieur. Bah dis donc, c'est le bordel chez toi ! C'est ton père le loukoum sur le canap' ?

— Ouais ! Fais pas attention, répondit-il en refermant précipitamment le battant.

— Ta mère...

— Elle est en voyage !

— Ça fait longtemps ? Parce que...

— T'es flic ou pompier ? s'impatienta Jonas

— Oups, sujet sensible ! Excuse, je voulais pas te mettre en rogne.

— J'ai jamais connu ma mère. Fin de l'histoire.

Aux dires de son géniteur, madame Bennett avait pris la tangente quelques jours après la naissance de leur fils. Lorsque celui-ci avait voulu en savoir davantage, Jonas avait reçu une volée de coups de ceinture pour toute réponse. Au fil des années, Bennett Senior s'était enfoncé dans la déchéance tandis que Junior grandissait seul. Intelligent et opportuniste, le garçon se sortait avec brio de n'importe quelle situation. Sa vie devint vite une succession de défis que le jeune homme se lançait pour le seul plaisir de prouver au vieux qu'il valait mieux que lui.

À peine arrivés à la caserne, Alice et Jonas furent envoyés sur une prise d’otages dans un magasin de vêtements de luxe. Un déséquilibré, armé d’un chalumeau, menaçait d'incendier la boutique s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait. En l’occurrence un gros sac de billets verts.

Jonas et ses collègues formaient la seconde ligne derrière les forces de l’ordre. La recrue ne tenait pas en place. Rester en retrait n'était pas son fort. Discrètement, le soldat du feu partit rôder à l’arrière du bâtiment pour y trouver une entrée de service menant à l’unité de stockage du commerce. Ne pouvant s'empêcher d'y pénétrer, le pompier put ainsi observer l’intérieur du magasin, par l’entrebâillement d’une porte.

Le preneur d’otages n’était qu’à quelques mètres et lui tournait le dos. Bien que Bennett se fut approché silencieusement, l’un des captifs le remarqua. La direction que prit son regard alerta le dément qui, faisant volte face, incendia un portant de pulls en cachemire. Instinctivement, Jonas leva les bras, paumes en avant.

C'est alors qu'un phénomène étrange attira son attention. Une émanation rouge sombre apparut, se diffusa autour de ses mains, remonta le long de ses membres. Une douce chaleur envahit le jeune homme, accompagnée de l'impression qu'une force nouvelle et inexplorée l'habitait. Avec un sourire cynique, Jonas se focalisa à nouveau sur le forcené.

Tout à coup, dans un souffle, les flammes se rassemblèrent tel un prédateur s'apprêtant à bondir sur sa proie. Puis, en une fraction de seconde, elles se jetèrent sur le pyromane pour l'engloutir avec avidité. Bennett mit quelques instants à réaliser que le feu n'avait fait qu'obéir à sa propre volonté. Une sensation de puissance infinie submergea le jeune homme. Une sensation unique qu'il ne demandait qu'à revivre.

Avant la fin de la journée, l’Organisation Elementum, en la personne de Gil Blake, prenait contact avec lui. L'occasion de rallier les rangs des combattants les plus puissants de la planète était trop belle ; Jonas la saisit et s'engagea dans sa nouvelle mission avec conviction.

***

— Hé, Bennett, tu reviens parmi nous ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

Sa coéquipière, Teri Delenikas, grande brune à la peau mate, se tient à ses côtés, tentant d'attirer son attention en claquant des doigts devant son visage.

— Excuse, Teri. Tu disais ?

— Je te trouve bien maussade. Ça ne te ressemble pas. Pourquoi l'arrivée des derniers Éléments te tracasse autant ? C'est pourtant une bonne nouvelle.

Sourcils froncés, l'Américain garde les yeux rivés sur la porte blindée face à laquelle les sept guerriers attendent les instructions.

— Ce n'est une bonne nouvelle que pour ceux qui ne sont pas sur le terrain ! bougonne Jonas.

— Sois indulgent. Nous aussi on a été novices, un jour.

— Nous vivons une période beaucoup plus trouble qu'il y a quelques années. À ce moment-là, nous avions le temps d'explorer nos pouvoirs, d'apprendre à les maîtriser. Mais aujourd'hui... notre ennemi n'a jamais été aussi puissant et ses attaques nous mobilisent chaque jour un peu plus. Ça m'étonnerait que les bleus arrivent à faire face. Je crois plutôt qu'ils nous mettrons des bâtons dans les roues.

— Je pense au contraire qu'il est grand temps que nos équipes se complètent. Et puis de toute façon, c'est écrit. C'est notre destin.

— Ouais, c'est écrit par de vieux croulants en mal de reconnaissance dans un grimoire prophétique. C'est parfait comme point de départ d'un bouquin pour ados. À mon avis, au lieu d'attendre bêtement un miracle, nous devrions chercher une autre solution. Je pense que notre destin ne doit surtout pas nous être dicté, nous devons le forger nous-mêmes. Mais bon, c'est pas moi le patron ! s'exclame le jeune homme en jetant un œil à sa Tutrice, heureusement trop éloignée pour entendre ses propos. Allons au casse-pipe la fleur au fusil, comme les braves petits soldats que nous sommes !

— Depuis quand es-tu si négatif ? semble s'amuser Teri. D'habitude, tu vois le verre à moitié plein, pas l'inverse. Le terrible Jonas Bennett aurait-il perdu la foi ?

— Te fous pas de moi, Delenikas ! Tu verras que j'ai...

Matthews, Morelli, Delenikas, Bennett... Vallée de la Narmada en Inde... Méga-tempête... Coordonnées validées. Point de chute au sommet d'un barrage hydroélectrique. Départ immédiat. Lindström, Blake et Tanaka, repos.

À peine les instructions ont-elles commencé à retentir dans les oreillettes que Gil Blake s'affaire à déverrouiller la porte ultra-sécurisée permettant l'accès au Portail.

— Après vous les bourgeoises !

Jonas s'efface pour laisser entrer ses collègues, accueillant avec amusement leurs regards outrés. Lorsque vient son tour, il se positionne au centre du dispositif, puis, d'une pression sur le rubis ornant son poignet gauche, il active le processus de transfert.

Comme prévu, l'Élément Feu se matérialise au sommet de l’un des nombreux barrages émaillant le fleuve sacré Narmada. Une fois de plus, c'est un spectacle cauchemardesque qui s'étale sous ses yeux. Un cyclone titanesque accompagné d’éclairs et de pluies diluviennes, arrive sur les combattants depuis l’est. Le monstre menace la vallée, déjà détériorée par la construction abusive des immenses centrales.

L’heure n'est toutefois pas à la peur, ni à la réflexion. Sans se concerter, les quatre Éléments se dispersent rapidement le long de la crête de l'édifice, puis se positionnent face à l'ouragan, paumes tendues vers leur adversaire grondant.

À l'image de ses coéquipières, Jonas libère son aura. Le rouge sombre familier se diffuse autour de son corps à mesure que son sang semble bouillonner dans ses veines. Des picotements caractéristiques courent sur sa peau. Un sourire conquérant gagne les lèvres de Bennett. Ses doutes et sa mauvaise humeur disparaissent, ne laissant place qu'à une profonde excitation.

C'est parti !

Avec une synchronisation parfaite, les combattants lancent l'assaut. Leurs énergies élémentaires fusent à la rencontre de la tempête. Émanations vertes ou rouges, selon qu'elles sont d'air ou de feu. Tandis que Natalia Morelli et Gemma Matthews luttent afin de contenir, réduire, absorber la masse d’air, Teri et Jonas encaissent les rafales d'éclairs.

Les picotements se sont transformés en déchirures. Bennett ne sent plus son corps. Pourtant, la puissance qu'il déploie en cet instant le galvanise. Tout en lui n’est que jouissance mêlée de souffrance. Une part de lui hurle pour que tout s’arrête tandis que l’autre en redemande.

Sans merci, la lutte se prolonge. Tandis que les éclairs pulvérisent les versants de la vallée, les rafales déracinent la végétation et la pluie inonde les villages. Guidées par leurs détenteurs, les énergies élémentaires parviennent au cœur du sinistre, là où l'ennemi déverse sa noirceur. Particule après particule, elles neutralisent l'énergie sombre, jusqu'à l'épuiser en totalité.

Dans un ultime soupir, l'ouragan abdique. Les hurlements des vents, la lumière glaçante des éclairs, le grondement de la pluie font peu à peu place à une douce nuit étoilée de printemps. À l’est, l’aube apporte sa lueur d’espoir.

Au sommet du barrage, Jonas s'agenouille, épuisé. Il tourne le regard vers ses compagnes, également ramassées sur elles-mêmes. Quelques minutes leur sont nécessaires afin de reprendre leurs esprits. Il en faudra davantage pour retrouver leur vigueur. Jonas se rassure en se disant qu’ils ont probablement évité le pire à la vallée de la Narmada.

Teri active le saphir de son bracelet, disparaissant dans la nuit. Gemma puis Natalia font de même, l’une avec son aigue-marine, l’autre, son quartz fumé. D'un geste mal assuré, Jonas les imite d'une pression sur son rubis. Une fraction de seconde plus tard, il se retrouve dans la salle du Portail.

Finalement, un peu d'aide sera bienvenue. Les nouvelles recrues ont intérêt à assurer !

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