14. Izaya Tanaka – 23 Avril

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QG - 10h10

C’est une belle matinée de printemps. Une brise légère répand des effluves iodés, mêlés de jasmin et de fleur d'oranger. À l’ombre d’un bouquet de dattiers, Izaya travaille ses katas[1]. Une routine quotidienne indispensable afin d'assurer une maîtrise optimale de son pouvoir élémentaire. Cependant, aujourd'hui, le jeune homme peine à se concentrer sur la pureté de ses gestes. Impossible d'ignorer l'excitation ambiante que suscite l'événement du jour. Un événement qui marquera l'histoire des Éléments.

Du coin de l'œil, Izaya perçoit un mouvement du côté de l’unité hospitalière.

Aïko a sûrement fini son service.

Se détournant pour accueillir sa sœur, il manque de perdre l'équilibre. La jeune femme qui se tient devant l'entrée est époustouflante, bien au-delà de ce à quoi il s'attendait. Les Tuteurs ont toujours insisté sur le fait que cet Élément serait exceptionnel en terme de puissance.

J'avais raison, elle est canon !

Une sensation de panique saisit le Japonais. Maya Delorme se dirige vers lui. Ses longs cheveux, ondulent sur ses épaules, accentuant la fluidité de sa démarche. Les vêtements traditionnels de l'équipe Eau lui vont à ravir. Il n'ose imaginer comment elle portera la tenue de combat. Les mains moites, ses lunettes glissant sur son nez, il s'apprête à affronter ce qui le terrifie : une conversation avec une jolie fille.

Respire Izaya, respire !

— Bonjour, lance-t-elle poliment.

— Salut... euh... Bonjour, Maya.

— Eh bien, il semblerait que tout le monde me connaît.

Rien que pour avoir fait flipper Noah, t'es déjà une légende ! Izaya garde sa réflexion pour lui.

— Je m'appelle Izaya. Izaya Tanaka.

— Tanaka ? Comme l'infirmière ?

— C'est ma sœur jumelle. Nous sommes les seuls Japonais à lunettes du secteur.

Nullissime ! Respire et évite les blagues pourries !

— Aïko et moi sommes tous les deux des membres actifs de l'O.E. Quand elle n'est pas en mission, elle passe son temps libre ici, pour suivre une formation de sage-femme et apporter son aide à l'équipe médicale. Notre hôte a mis en place cette structure hospitalière afin d'accueillir des malades ne pouvant accéder à des traitements lourds et onéreux.

— Votre hôte ? Tout ceci n'appartient pas à l'Organisation ? questionne Maya, désignant le panorama d'un geste ample.

— Une mise à disposition gracieuse pour services rendus à l'humanité.

— Ne m'en veux pas, Izaya, mais j'ai encore du mal à saisir en quoi consiste concrètement votre rôle.

— T'inquiète pas, tout sera bientôt très clair. Nos Tuteurs tiennent à respecter un certain protocole. Je ne peux pas tout te révéler mais je peux te montrer quelques petites choses. Je te fais visiter ?

Maya accepte d'un signe de tête. Étrangement, Izaya se sent plutôt à l'aise. Bien sûr, elle reste sur sa réserve. Il est rare que les nouvelle recrues fassent preuve d'enthousiasme dès le premier jour. Considérant les conditions de son arrivée, on peut comprendre qu'elle soit sur la défensive. Malgré tout, la jeune femme se montre aimable.

Tanaka décide de commencer la visite par les jardins. Ils traversent le parc en empruntant les allées gravillonnées, aux abords fleuris, qui courent entre les pelouses soigneusement tondues et généreusement arborées. Palmiers, bougainvilliers, hibiscus, orangers, oliviers, pins et cèdres apportent une ombre salvatrice dans cette région où le soleil cogne trois cents jours par an. À l'extrémité ouest de la propriété, non loin d'une immense dune surplombant le rivage, se déploient les installations sportives et les écuries.

— Vous êtes bien équipés, remarque Maya. Faire du sport avec vue sur mer, il y a pire comme conditions. Et vos chevaux sont magnifiques.

— Oui, nous sommes privilégiés. En même temps, depuis quelques années, nous évitons de nous balader en dehors de nos murs, sauf pour faire notre job. Ce serait trop risqué. Alors c'est vrai que tout ça est bienvenu. Mais nous n'avons pas toujours été aussi bien lotis. Il nous est arrivé de vivre dans des bunkers et c'était beaucoup moins sympa, crois-moi.

— C'est vraiment immense.

— Et encore, ce n'est qu'une partie du domaine ! Regarde, là-bas, derrière les arbres.

Une muraille ocre se distingue à travers une plantation d'eucalyptus. En la suivant des yeux, on peut voir un mirador occupé par plusieurs gardes en uniforme couleur sable. Un drapeau rouge orné d'une étoile verte flotte au-dessus de la tour. Maya arque un sourcil interrogateur :

— Laisse-moi deviner, c'est un domaine royal. Le Grand Palais peut-être ? Nommé ainsi par opposition au Petit Palais qui est en ville.

— Bravo ! Tu as fait tes devoirs !

— Je ne voyage jamais sans un bon guide et Google Maps !

La jeune femme sourit. Un vrai sourire. Izaya est conquis.

— Je vais te montrer ce qu'on appelle la place forte. C'est à la fois notre lieu de travail et notre quartier résidentiel. Les installations que nous utilisons pour le boulot sont sous terre. Par contre, on loge dans des bungalows en pisé. C'est très agréable. Tu auras le tien, bien sûr.

La Française se rembrunit.

— Je n'ai pas encore pris ma décision. C'est un peu trop tôt pour ça.

— Mais tu dois rester Maya. On a besoin de toi, souligne Izaya.

— Noah Blake et Mac Snyder ont bien insisté sur ce point. Apparemment, j'étais très attendue. Vous semblez tous me connaître. Quant à moi, je ne connais personne ni ne comprends quoi que ce soit à votre Organisation, vos aptitudes, vos missions, votre ennemi. J'ai l'impression qu'on me parle en langage codé depuis hier. Avoue que tout ceci peut être très déconcertant.

— Qu'est-ce qui est déconcertant ? lance une voix claire derrière eux.

Izaya sursaute violemment. Absorbé par son échange avec Maya, il n'a pas vu sa sœur arriver. Cette dernière a troqué sa blouse blanche contre la tenue jaune vif de l'équipe Terre.

— Aïko ! Tu m'as fichu la trouille.

— Voyons, tu affrontes des ouragans et tu as peur de moi ? lance-t-elle, taquine.

— Tu es pire qu'un ouragan ! réplique-t-il en grimaçant. Puis, indiquant Maya d'un signe de tête, il précise :

— Je crois que Maya est un peu perdue.

— On ne peut pas t'en vouloir. Il y a tellement de choses à assimiler pour les nouveaux.

— Depuis combien de temps avez-vous intégré l'équipe ?

— Nous avons grandi au sein de l'O.E., précise Aïko.

— Vos parents y travaillent ?

Les Tanaka échangent un regard entendu. Aïko n'aime pas raconter cette histoire. Izaya lui évite la corvée.

— Non. Ils étaient journalistes, au Japon. Bien avant notre naissance, ils ont été enlevés par des agents du gouvernement nord-coréen. Nous sommes venus au monde dans une structure secrète, au pied des monts Kangnam, en Corée du Nord. C'est là qu'étaient retenus tous les prisonniers. Un jour, une coulée de boue gigantesque a ravagé la région. Les Éléments, nos prédecesseurs, sont intervenus mais des villages entiers ont été engloutis ainsi que le camp de prisonniers. Alors qu'ils allaient repartir, Sam Baker, aujourd'hui Tuteur Terre... un Tuteur, c'est un chef d'équipe, bref, Sam et son co-équipier de l'époque, ont ressenti une présence, un lien avec l'élément terre semblable au leur. Une sorte de connexion.

— C'était vous ?

— C'était Aïko. Ils nous ont trouvés, cachés dans une cantine métallique. On avait à peine trois ans. Ils nous ont sauvés d'une mort certaine. Ce qu'ils ne savaient pas encore, c'est que j'avais moi aussi des capacités. Les miennes sont apparues quelques mois plus tard. Contrairement à ma sœur, explique-t-il en montrant sa tenue vert anis, c'est sur l'air que j'exerce une influence.

— L'Organisation ne nous a pas juste sauvé la vie, ajoute sa jumelle. Elle nous a donné une famille. Nous n'avons jamais manqué de rien. Noah est devenu notre grand frère. Sa mère nous a élevés comme si nous étions ses propres enfants.

— Noah a aussi grandi au sein de l'O.E. ? s'étonne Maya.

— Lui, c'est un pur et dur ! s'enthousiasme aussitôt Izaya. Un Élément né d'un Élément. Un cas unique d’une puissance phénoménale. Tu verras, c'est un chouette type.

— D'après ma première impression, ce n'est pas le mot que j'emploierais.

— Il est un peu stressé en ce moment, mais je t'assure qu'il gagne à être connu, ajoute le jeune homme en riant.

Aïko joint son rire à celui de son frère. Bientôt, Maya se laisse gagner par leur bonne humeur. Izaya s'en félicite. S'il peut aider à lui faire apprécier sa nouvelle vie, il y consacrera le peu d'énergie qu'il lui reste.

Enhardi, il donne un léger coup de coude à Maya.

— Regarde.

Tendant le bras en avant, il active son aura. Le halo vert émeraude ondule sagement autour de lui. Au-dessus de sa paume tendue vers le ciel, l'air se trouble. En ondes légères tout d'abord, telles un mirage dans le désert. Puis, la petite masse aérienne se concentre, formant une spirale presque palpable. Sans le moindre geste, Izaya fait tournoyer un instant la micro-tornade sur place, avant de l'envoyer virevolter dans l'azur.

Maya la suit du regard au fur et à mesure qu'elle prend de l'altitude.

— Je suis impressionnée, Izaya.

Une violente rougeur monte aux visage de l'Élément Air. Afin de couper court à son embarras, il se tourne vers Aïko. Celle-ci, le regard moqueur, vole à son secours.

— Hormis la maîtrise de notre élément, nous pouvons aussi avoir des pouvoirs spécifiques. Par exemple, en cas de contamination par un produit chimique, nous avons tous les deux la capacité de purifier l'air et la terre. Perso, je peux faire des trucs très utiles au quotidien, ajoute-t-elle en riant.

C'est parti pour la séquence jardinage de la frangine !

Sous le regard curieux de Maya, Aïko commence à retourner la terre d'un massif de fleurs, esquissant à peine un mouvement du doigt en direction de son objectif. L'aura jaune vif de la jeune femme danse joyeusement.

— Maya, elles ont besoin d'eau ces plantes, lance gaiement cette dernière.

Izaya sourit, amusé. La nouvelle venue ne semble pas comprendre immédiatement. Puis, elle s'approche du massif, pensive :

— Je ne sais pas si...

— L'eau est là, tout au fond, l'encourage Aïko. Si tu te concentres, tu pourras la sentir. Elle ne fera qu'un avec toi.

Maya contemple le parterre fleuri, perdue dans ses réflexions, traits tendus, sourcils froncés. Izaya a entendu dire qu'elle est biologiste. Il imagine le conflit intérieur qui l'agite en cet instant. Son esprit scientifique se doit de trouver une explication logique, basée sur un ensemble de connaissances, de méthodes et de valeurs universelles. Pourtant, ce n'est pas dans les sciences conventionnelles que se trouve la réponse. Elle l'a probablement déjà compris mais il lui reste à l'accepter.

Soudain, la jeune femme s'agenouille dans l'herbe pour poser ses deux mains sur la terre retournée. Un halo aux reflets nacrés apparaît timidement. Maya a un léger mouvement de recul. Pourtant, loin de se dérober, elle se concentre davantage. La couleur ainsi que la texture du terreau changent à mesure qu'il s'humidifie. Le massif devient boueux. Bientôt, il est davantage liquide que solide. L'eau continue de monter, à gros bouillons cette fois. Le sol tremble sous la pression du fluide.

Izaya jette un coup d'œil inquiet à sa sœur. Si un novice perd le contrôle sur son pouvoir, il est possible de lui injecter un inhibiteur temporaire. Izaya souhaite ne pas en arriver là avec Maya. Le temps presse et les protecteurs de Gaïa ne peuvent se permettre de se passer de ses pouvoirs.

— On va peut-être s'arrêter là pour aujourd'hui, intervient Aïko avec douceur.

Réalisant ce qu'elle est en train de provoquer, Maya éloigne brusquement ses mains du sol, les observe un moment avant de laisser échapper un long soupir. Izaya croise son regard. Surpris, il constate que le bleu sombre de ses yeux brille d'un nouvel éclat. Au sens propre du terme : des stries d'argent illuminent ses prunelles.

— Alors ? questionne-t-il, impatient.

Un sourire résigné se dessine sur les lèvres de la Française.

— Alors... il semble que j'ai encore beaucoup à apprendre.

Un sentiment de satisfaction envahit Izaya. Maya a fait un pas de plus vers sa nouvelle vie. Il est fier que ce soit en partie grâce à lui.

— Hey, les Tanaka ! tonne une voix sur leur droite. Je peux récupérer mon Élément ?

Tout à leur discussion, ils n'ont pas vu le temps passer. Devant le bâtiment principal de la place forte, se tient un Mac Snyder quelque peu impatient.

— Désolé, s'excuse Izaya en roulant des yeux derrière ses lunettes, on t'a mise en retard, Maya. C'est l'heure d'aller obtenir tes réponses.

[1] Dans les arts martiaux japonais, suite codée de mouvements constituant un exercice d'entraînement à la pureté du geste.

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