Don du ciel (3)

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  Le jeune chef s’installa dos à la paroi rocheuse, assit sur le sol meuble à l’entrée. Il tira une fourrure sur ses épaules pour ne pas prendre froid et laissa ses yeux se poser sur l’extérieur. L’obscurité, seuls des flocons dansaient à la lueur des flammes et le vent grondait tel une bête affamée. Assis en tailleur, Orm massait ses orteils, se souvenant que lors de sa première exploration, un de ses compagnons avait attrapé des engelures, y perdant plusieurs doigts de pied… Il se souvenait aussi la première fois qu’il était arrivé à la surface : ce ciel immense, les nuages, le vent. Cet air frais ! C’était magnifique et tellement différent de la ville : sous terre, une pénombre constante, tout y était si gris, si morne. Il avait alors pensé que c’était ça la liberté, qu’on lui laissait l’occasion de voir le monde. Mais à présent qu’il était là à monter la garde dans une grotte pendant une nuit de blizzard, il savait que ce n’était pas une vie. La beauté de la surface révélait très vite un monde hostile où survivre devenait un défi constant.

  De temps à autre, il tendait l’oreille pour écouter les discussions de ses compagnons. L’odeur du ragout rappela à son estomac qu’il n’avait pas eu son dû depuis un moment, Orm se tourna un peu plus vers l’extérieur, espérant que le vent balaie l’odeur de nourriture. Il attendrait que Sven vienne le relever pour manger, s’évitant ainsi le risque de somnoler à cause de la digestion. Il resta là, à observer l’obscurité, à surveiller la viande de griffon qui prenait le froid mais qui se conserverait ainsi plus longtemps ou encore à voir les cadavres des goules se faire recouvrir par la poudreuse. Sven et Ogard finirent par aller se coucher, laissant la gamelle sur le feu qui n’était plus constitué que de braises. Il ne restait à Orm, comme seuls compagnons que le bruit du vent et ses pensées. Il avait connu durant des années la vie sous terre, éclairé uniquement par des lumières artificielles, vivant au milieu de fumées qu’engendraient les machines de la cité. Et il découvrait la vie à la surface, le vent glacé qui mordait la peau, de la neige à perte de vue. Le jeune homme se demanda à quoi ressemblait le reste du monde : si la vie y était différente. S’il existait un endroit où l’on pouvait vivre plutôt que survivre face à tous ces dangers…

Tout était sombre, confus puis un courant d’air sur son visage eut un effet vivifiant. Orm se sentit alors si léger, comme porté par le vent qu’il sentait lui fouetter agréablement le visage. Aucune sensation de froid ou d’être gêné par ses vêtements. Juste l’impression d’être libre. Il était au-dessus de l’océan et apercevait la terre à l’horizon. Il était curieux de voir ce qu’il allait y découvrir. D’un battement d’ailes il survolait à présent une plage de sable. Il y avait également de l’herbe, des arbres, des chemins de terre, des rochers, des gens levaient les yeux sur son passage, certains le pointant du doigt. C’était un festival de couleurs que le jeune homme n’avait jamais vu jusque-là. Tout semblait si vivant, si brillant, si coloré… Il était habitué au blanc, à la luminosité qu’offrait la neige reflétant la lumière du soleil, ou encore à l’obscurité : voir des rochers gris ou noirs, ainsi que les tunnels sombres éclairés par des torches. Là, il voyait un monde qu’il n’avait jamais imaginé hormis dans les livres, de l’herbe, des habitations à la surface, des arbres, des buissons, des animaux. Il se posa avec souplesse sur le sol, appréciant ce doux contact qu'offrait l'herbe entre ses orteils . Sa respiration était saccadée, sûrement à cause de l’émotion de ce spectacle ou alors était-ce le voyage ? Orm n’en savait rien mais il inspira profondément, remplissant ses poumons de cet air qui ne glaçait pas les entrailles, sentant une multitude d’odeurs nouvelles. L’odeur de l’océan et du poisson qu’il avait déjà eu l’occasion de sentir au port de la ville, mais pourtant ici, si différente. L’odeur des plantes, il n’avait jamais rien humé d’aussi bon, même le ragoût lui semblait méprisable comparé à ça.

Il s’étendit sur le sol pour se reposer un peu, observant un arbre à sa droite : un tronc brun très imposant qui montait droit vers le ciel avant de se séparer en plusieurs branches difformes telles des bras humains cherchant à atteindre le ciel. Ses feuilles étaient jaunes ou rouges, certaines étaient même tombées formant un tapis multicolore à ses racines, Orm se demanda si c’était normal, si l’arbre était malade. De ce qu’il en avait lu : les arbres arboraient des feuillages verts la plupart du temps. Mais à bien y regarder, l’herbe aussi était jaune, sèche et cassante. Le sol était friable, l’endroit était aride malgré l’océan pourtant si proche. Avec la chaleur des lieux, c’était sûrement normal : même en ville, il n’avait jamais eu chaud comme ça. Cette chaleur au départ agréable mais qui devenait presque oppressante à cause du manque d’habitude. Tout ceci faisait beaucoup de choses à assimiler. Trop de choses même. Il tourna la tête vers la forêt et son regard se posa sur des montagnes encore plus loin, comme si celles-ci l’appelaient, comme s’il ressentait le besoin d’y aller, d’en voir davantage.

L’instant suivant, il surplombait le col d’une montagne escarpée et avait porté son attention sur un animal qu’il n’avait jamais vu jusque-là : une créature à quatre pattes qui sautait de rocher en rocher avec une agilité déconcertante. Le poil court, des petites cornes, un corps fin mais suffisamment robuste pour de telles cabrioles. Curieux Orm piqua vers le sol, fonçant sur l’animal pour mieux l’observer. C’est du moins ce qu’il pensait faire mais il vit ses serres fondre sur l’animal et lacérer sa chair avant de reprendre de l’altitude en emportant sa proie vers un pic rocheux. Pourquoi avait-il fait ça ? Une sensation d’eau glacée se déversait dans son estomac suivie par l’incompréhension de son geste. Il avait juste voulu voir de plus près, savoir ce que c’était, mais son instinct lui avait crié de le tuer, de le prendre. Est-ce que ça avait eté similaire avec Runolf ? Une soif de sang qui était tapie au fond de lui, sortant parfois pour accomplir un acte sanglant sans aucun motif ? Il laissa tomber sa prise sur le sol rocailleux dans un bruit de craquement qui l’écœura mais déjà il se posait à côté pour commencer à dévorer la carcasse. Son corps agissait de son propre chef, il ne contrôlait rien et n’était qu’un simple spectateur de ce répugnant spectacle. Enfonçant ses dents ? Non, son bec dans la chair à travers la fourrure, il mangeait la bête comme ça : crue, sans avoir la moindre gêne. Aussi atroce que cette scène pût l'être, il se surprit à ne pas trouver ça mauvais pour autant : la viande était incroyablement tendre et bonne. Dans un moment de lucidité, il remarqua que l’animal ne disposait pas de griffes mais de sabots, il se souvenait alors avoir déjà lu quelque chose là-dessus mais impossible de se remémorer quoi exactement. Tentant alors de se concentrer sur les livres qu’il avait vu durant sans enfance, il eut un vertige.

Quand il rouvrit les yeux, Orm se retrouvait de nouveau dans le ciel au-dessus de l’océan, à ses côtés, il pouvait voir d’autres oiseaux immenses qui l’accompagnaient. Entouré par des griffons, il volait paisiblement et les écoutait hurler ou les regardait tourner autour de lui. Deux d’entre eux semblaient plus belliqueux et faisaient parfois de grands cercles dans les airs avant d’échanger des coups de becs ou de griffes mais Orm ne se sentait pas menacé, voyant juste là une rivalité entre deux dominants. Il aperçut alors un continent avec des falaises de roches grises. Il eut alors le sentiment de connaître cet endroit, l’envie aussi de s’y rendre comme si c’était d’une importance capitale. Un griffon se rapprocha de lui, dansant dans les airs avant d’être interrompu par un autre qui l’attaqua. Il les observa se battre un moment, cherchant toujours à être celui qui volerait le plus proche de Orm. Il comprit alors qu’ils devaient effectuer une sorte de parade nuptiale et se sentit malgré lui, flatté de l’intérêt qu’on lui portait. D’un coup, tout devint plus clair : il n’était pas lui mais le griffon, celui qu’il avait tué dans la journée. Et tout ceci n’était qu’un rêve, qu’une hallucination dont il devait se sortir. Il se voyait à présent perché sur un rocher entouré par la neige, blottit contre un autre griffon, à ses pieds se trouvaient des œufs. Ses œufs…

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