Holocauste

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Je ne croirai qu’en des dieux qui dansent et je maudirai ceux qui la main sur le ventre ont grand appétit !

À présent, je suis grand. Un homme, dirait sans grande assurance ma mère. Un vrai homme, diraient avec assurance mais ironie mes frères et sœurs. Je ne suis rien. En réalité, je suis ce que tu as voulu que je devienne : une ombre qui s’enroule dans une couverture sociale, une transcendance timide qui se cache dans les coulisses du masque de la convenance ( persona ). C’est ça : je ne suis littéralement personne.

Suis-je en réalité un génie ? Ou ne suis-je qu’un homme qui à force de solitude s’est convaincu d’avoir le génie d’un autre : celui des auteurs à qui mes yeux ont prêté allégeance. Qui suis-je en réalité ? Peux-tu au moins me le dire ? Quoi qu’il en soit, la solitude à laquelle, toi, tu m’as destiné, m’a rendu spécial.

Mon père fait une sieste, voilà plusieurs décades de mois. Pleurs. Regard. Pleurs. Souvenir. Démence. Regard. Mort. Je dis sieste, car j’espère, vois-tu, qu’il se réveille et frappe à la porte de chez moi. Ainsi nous l’accueillerons, nous festoierons ! Nous danserons ! Encore et encore ! Ainsi la nuit de fête ne connaîtra plus jamais l’aube ! Le soleil ne se lèvera plus ! Et les verres seront sans cesse remplis et la nuit éternelle ! Nous rirons de se revoir et rirons plus encore de s’être quelque temps oubliés ! Ce serait beau ! Ne penses-tu pas ?

« Je ne croirai qu’en des dieux qui dansent » (le pluriel est de mon propre cru comme tu sais), avais-je lu quelque part chez Nietzsche. Mon père est devenu un dieu qui danse à la crête du mont Blanc – montagne que seul son imaginaire aura réussi, de son vivant, à fouler ! Aujourd’hui, il est mort. Mangé par les vers, ignoré par nous. Loi du talion : Alzheimer l’avait poussé à nous oublier. À nous alors, descendance, de lui rendre la pareille avec l’esprit de vengeance si coutume aux orphelins qui restent à attendre seuls sur terre on ne se sait quoi, en l'oubliant à notre tour.

Le vieux de la petite horde est définitivement mort, certes ; les flammes ont consumé sa chair, certes ; et les charognards ont depuis lors consommé jusqu’à son âme sous l'oeil rieur de dieux marginaux qui la main sur le ventre ont grand appétit, certes aussi. J'aimerais toutefois, sous le contrôle de mon, notre imaginaire, te rappeler ce qu’on lui a fait ( cependant en vain puis-je affirmer aujourd’hui).

Alors que mon père manquait d’air, presque inerte, les ombres – de près comme de loin, de côté comme de face, partout ! – imitèrent par derrière ce que tes intentions, s’exerçant par mes membres, tentèrent de démembrer : son corps étouffé par le nôtre, sa poitrine échauffée par la nôtre en même temps que ses larmes répondirent aux miennes... Et bien qu’il accusait des bleus à force de coups, ce même corps n’exauçait pour autant toujours pas ton, notre souhait qu’il soit malléable à loisir : c'est-à-dire qu’il devienne tendre, poussière et enfin, oublié. Non, rien. Alors, le feu. « Le feu anéantira tout ! » m’as-tu murmuré. Te souviens-tu ? Quand, sorties du noir de ma colère, tes dents, et ce au travers d’un sourire, précédèrent ce que ta main bientôt me tendit – une torche – ; rappelle-toi après comment mon père a dansé au rythme des flammes ! C’était quelque chose, hein ? Mémorable ?! Déplorable oui !

Une fois encore, tu m’as menti. Mon père n'est plus et mon mal est toujours là. Tu m’avais pourtant assuré qu’une fois l'homme m'ayant infligé la vie, mort, alors, vengé, je pourrais enfin embrasser les lèvres d’une condition supérieure... Ah ! Tu t’es encore joué de moi ! Encore ! Et voilà en plus que tu recommences à ricaner ! Mais attends un peu. Attends que je t'écrive une autre lettre, le moment venu – histoire d'en découdre une bonne fois pour toutes.

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