Le trésor de La Mirablia

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Journal de bord du Revenge par le Capitaine Axel Thorburn

12 septembre 1725 — Rose Island — Coordonnées : 25° Nord / -77°Ouest

Mon équipage et moi-même avons mouillé l'ancre pour la nuit sur Rose Island, l'une des îles qui côtoie les Bahamas. Nous passons la nuit à l'auberge de la Néréide Borgne afin de nous sustenter et obtenir quelques réjouissances. Après plusieurs pintes et quelques échanges entre camarades chevronnés de la mer, nous apprenons l'existe d'un coffre de flibustiers délaissé sur l'île de La Mirablia. Aucune île de ce nom ne m'est connue. Les avertissements sont claires : l'endroit qui selon eux existe bel et bien, tout comme son trésor, est maudit. Aucun des pirates ici présents, même les plus téméraires, ne daignent prendre le large vers ce cap. Ils rapportent que tous ceux qui ont tenté leur chance ne sont jamais revenus. C'est un défi à ne pas prendre à la légère car même si mon équipage et moi-même ne sommes pas crédules au point de croire à ces fadaises de malédiction, il y a forcément une bonne raison pour que le trésor soit resté intact depuis tout ce temps.

Journal de bord du Revenge par le Capitaine Axel Thorburn

13 septembre 1725 — Rose Island — Coordonnées : 25° Nord / -77°Ouest

Après une bonne nuit de sommeil, entouré de jolies demoiselles, j'ai pris ma décision. Si personne ne compte aller sur l'île de La Mirablia, ce butin sera à nous. Je le vois déjà nous tendre les bras et faire de nous les rois des océans. Mon verdict en a laissé plus d'un pantois. On m'a traité de fou et d'inconscient, mais j'ai malgré tout obtenu une carte de l'île avec les indications sur la localisation du coffre. En milieu de matinée, après avoir rempli les cales du Revenge de tout le ravitaillement nécessaire pour notre expédition, mes quatre-vingt hommes et moi-même avons repris la mer. Direction l'île de La Mirablia. Que pourront faire quelques autochtones farouches ou quelques brigands de grands chemins contre 36 canons ?

Journal de bord du Revenge par le Capitaine Axel Thorburn

17 septembre 1725 — Ile de la Mirablia — Coordonnées : 16° Nord / -74°Ouest

Le temps a été clément durant toute la traversée. La petite brise nous a permis de naviguer à une moyenne de huit nœud. Nous avons longé les côtes des Bahamas, puis celles de Cuba, passé Haïti et la Jamaïque et enfin découvert, cachée en pleine mer des Caraïbes, la terre tant promise de La Mirablia qui ne figure pourtant sur aucune carte, vieille ou récente. Les instructions et les coordonnées de mes compatriotes éméchés de la Néréide Borgne ont dit vrai.

La Mirablia est une petite île comme tant d'autres, avec une jungle foisonnante, de petites montagnes rocheuses escarpées, et un pic majeur, certainement un volcan.

Nous avons mouillé l'ancre dans un fond de sable à une encablure de la plage. Après un vote en bonne et due forme afin de savoir qui de l'équipage resterait à bord et qui partirait à l'aventure, les quarante membres élus, galvanisé par l'idée de faire fortune, se sont empressés de mettre deux chaloupes à l'eau. Nous avons posé le pied sur la terre ferme en fin d'après-midi et établi un campement sommaire en attendant la nuit.

Il nous faut tenter notre chance sur moins d'une semaine, sans cela, les premières moussons et les cyclones pourraient bien nous prendre par surprise et nous garder captifs de l'île pendant des semaines.

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18 septembre 1725 — Ile de la Mirablia — Coordonnées : 16° Nord / -74°Ouest

Premier jour sur l'île de La Mirablia. Galvin, notre quartier-maître, Henri notre médecin, Sékou notre naturaliste, Jake et Liam (deux gabiers) ainsi que moi-même sommes partis en éclaireurs pour évaluer le risque potentiel des lieux. La jungle est d'une épaisseur étouffante, nos lames aiguisées ont peiné à couper les branches et les lianes qui ont entravé notre avancée. Elle semble vouloir nous garder à bonne distance de son précieux trésor.

Nous n'avons détecté aucune présence indigène mais il est clair que nous sommes entourés de bruits étranges qui proviennent d'animaux sauvages dont, selon Sékou, il ne vaut mieux pas croiser la route.

Après deux heures de marche plein sud, nous avons débouché sur une clairière. Un endroit paisible et empli d'oiseaux inconnus et colorés. Nos regards ont tellement été captivés par les hauteurs que nous n'avons pas vu que nous étions en territoire ennemi. Le territoire des fourmis rouges, et plus spécifiquement, des fourmis de feu. Nous avons fui à temps. Sauf Jake qui a fait office de cible de choix. Au départ, seules quelques-unes ont tâté le terrain sur sa peau tannée par le soleil, mais très vite leurs phéromones ont ameuté le reste de la colonie. Elles se sont jetées par milliers sur ce grand chétif, enfonçant leurs dards empoissonnés partout où elles ont pu. Jake est devenu une silhouette à la peau grouillante. Il a hurlé et gesticulé comme un dément. Nous l'avons vu se rouler par terre jusqu'à ce que Sékou ait l'idée de faire fuir ces intrus en approchant une torche au plus près qu'il le put, au risque de brûler notre camarade.

Nous avons rebroussé chemin jusqu'au campement où Henri lui a prodigué les premiers soins.

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19 septembre 1725 — Ile de la Mirablia — Coordonnées : 16° Nord / -74°Ouest

Deuxième jour sur l'île de La Mirablia. Au petit matin, Jake a été retrouvé mort. Selon Sékou, choc anaphylactique suite aux piqûres des fourmis de feu. Après quelques mots par ceux qui ont voulu lui rendre hommage, nous avons débuté activement les recherches du coffre en évitant la zone de ces petits diables rouges.

Les annotations peu nombreuses sur la carte nous ont mené dans bien des embûches et des culs-de-sac qui nous ont obligé à chercher d'autres accès.

Dans l'après-midi, nous nous sommes de nouveau enfoncés dans l'obscur jungle et une marche de plusieurs heures nous a conduit au bord d'une falaise non mentionnée sur la carte. Un fleuve indompté s'y précipite à quelques trente pieds en contrebas donnant sur une chute d'eau et des rapides.

C'est Liam qui a repéré en premier le pont de singe. Nous avons longé le précipice sur cinq cents pieds avant de l'atteindre et de constater son état pitoyable. Aucun autre moyen de traverser. Les votes ont été de rigueur : rebrousser chemin ou tenter notre chance ? La seconde option l'a emporté sur la première. Liam et trois autres dont les noms m'échappent ont emprunté le pont pour s'assurer de sa résistance. Trois de trop. Les cordes pourries se sont effritées et ont lâché d'un coup sec. Le trio a chuté comme des pierres dans les tourbillons du fleuve et ont été emporté par le courant. On ne les a plus jamais revus.

Est-ce cela la malédiction de l'île ? Tourner autour du coffre sans jamais le trouver ? Et mourir les uns après les autres simplement parce que les lieux sont hostiles et sauvages ?

Journal de bord du Revenge par le Capitaine Axel Thornburn

20 septembre 1725 — Ile de la Mirablia — Coordonnées : 16° Nord / -74°Ouest

Troisième jour sur l'île de La Mirablia. Nous avons progressé dans la jungle toute la journée et avons encore perdu quelques hommes (chaleur et morsure de serpent). Nos chances se sont amenuisées. Nous avons remis en question cette chasse au trésor maudit. Nous avons eu plus de mort que de pistes sérieuses. Mes hommes sont exténués. Nos vivres partent à vue d'œil. Quelques braves sont allés à la chasse et Sékou nous a trouvé des baies et des plantes comestibles, ce qui a permis de diminuer les rations que nous avons emporté avec nous et de les garder pour notre voyage retour jusqu'à Rose Island.

En début de soirée, nous avons fini par trouver une grotte dans un escarpement rocheux correspondant à la description de la localisation du trésor. L'espoir est revenu. Galvin a insisté pour grimper le premier, accompagné par trois camarades agiles pour l'escalade. Ma peur des hauteurs m'a obligé à rester avec le reste de mes hommes.

Peu avant la nuit, Galvin et les autres sont sortis comme s'ils avaient le diable aux fesses. Ils ont scandé avoir enfin trouvé le trésor mais leurs cris ont alerté toute une nuée de chauve-souris qui se sont jetés sur nous.

Selon Sékou, se sont des chauves-souris vampires. Il craint que ceux de l'équipage qui se sont fait mordre répandent la rage à tous nos hommes. Après délibération, pour la survie du plus grand nombre, les deux concernés ont été abattus.

Journal de bord du Revenge par le Capitaine Axel Thornburn

21 septembre 1725 — Ile de la Mirablia — Coordonnées : 16° Nord / -74°Ouest

Quatrième jour sur l'île de la Mirablia. Nous avons contourné la grotte et trouvé un autre passage beaucoup plus accessible. Galvin est passé devant pour nous indiquer le chemin. La cavité a vite révélé un spectacle macabre. Tout au long de notre progression, nous avons renconté des dizaines et des dizaines de squelettes humains éparpillés ça et là sur les rochers, rongés jusqu'à l'os par les visites répétées des animaux sauvages. La prudence a été de mise. Nous nous sommes attendus à des pièges et à des attaques. Rien ne s'est produit. Quelle est donc la malediction qui semble avoir eu raison de ces hommes ?

Dans la plus grande cavité de la grotte, le trésor s'est révélé à nous. Une cargaison impressionnante de rhum. Pas d'or. Pas de bijoux. Pas de pierreries. Non. Du rhum.

La farce a assez durée. Certains ont accusé Galvin et ses acolytes d'avoir caché le trésor ailleurs. Une dizaine d'hommes est partie fouiller le reste de la grotte et ses alentours mais sont revenus bredouilles. Ainsi donc le fameux trésor maudit n'est autre que des tonneaux de rhum. Ce n'est pas exactement la marchandise que nous avons espéré.

Par dépit, par colère et pour oublier, la grande majorité de l'équipage a sacrifié les fûts pour y étancher sa soif. La déception s'est vite muée en allègres festivités. Cela a duré toute la nuit et cela a fini en cauchemar. Mes hommes sont tombés raides morts, les uns après les autres. Tout ceux qui ont goûté au nectar n'ont pas survécu.

A l'aube, je me suis retrouvé seul avec le médecin, un canonnier et un timonnier. Nous avons laissé nos morts sur place et sommes repartis dans la jungle vers la plage où mouille le Revenge. Sur le chemin du retour, tout le monde est resté prudent. Personne n'a pas fait étalage de ses émotions ni n'a commenté cette tragédie. Que dire, à part que nous avons été bernés ?

Journal de bord du Revenge par le Capitaine Axel Thornburn

23 septembre 1725 — Mer des Caraïbes — Coordonnées : 17° Nord / -75°Ouest

Nous avons repris la mer, le cœur lourd. Perdre autant d'hommes pour un butin empoisonné laisse à réfléchir. Les flibustiers voulaient-ils se jouer de nous, de l'avidité des Hommes à vouloir se jeter aveuglément dans la gueule du loup pour la moindre piécette ? Ou était-ce un test de la part de ces fourbes d'ivrognes de la Néréide Borgne ?

Ma colère est sans bornes. Je vais l'abattre sur eux.

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