Bouger

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Liz s’alluma une cigarette dans le noir. Elle tira dessus à pleins poumons et souffla un épais nuage de fumée. La chambre n’était plus éclairée que par le bout incandescent. Elle était toujours capable de retrouver son pantalon en un rien de temps, quand il s’agissait de fumer.

— Ouais, c’était pas mal du tout, dit-elle en regardant sur sa droite.

Une autre bouffée et elle vit le visage hirsute de l’homme de la soirée. Il souriait en buvant une fin de bière éventée.

— T’es toujours aussi enthousiaste après avoir baisé ?

— Nan, des fois, j’ai envie de recommencer, lui répondit-elle en posant sa main sur son entre-jambe ramolli. Mais cette fois, heureusement que j’ai eu mon compte, rajouta-t-elle avec une pointe d’ironie.

— Ah, ah ! T’es vraiment une sacrée, toi. On peut jamais savoir si t’es sincère. Mais c’est peut-être bien ce qui te rend si attirante.

— C’est sûr que c’est pas la taille de mes nibards qui va te faire rêver.

— Ni le rebondi de ton cul !

— Ça t’a pas empêché de m’enculer, dis donc.

Ils partirent tous les deux d’un rire nerveux. Alan chercha à tâtons la lampe de chevet tombée pendant leurs ébats, la rebrancha, ralluma la lumière et piqua la fin de clope de Liz. Elle en profita pour se faufiler hors du matelas, posé à même le sol, et repasser ses vêtements. Alan avait été surpris de la voir porter un string. Mais elle lui avait dit aimer ça. Il la regardait et son regard exprimait du désir qui gêna Liz un instant, car si elle ne le connaissait pas, elle aurait pu croire qu’il était en train de tomber amoureux. Elle était du genre filiforme, avec un petit cul et des hanches étroites. Par contre, elle avait des épaules assez larges, des bras musclés, sensuels. Et sa petite poitrine énergique n’était jamais enfermée dans un soutien-gorge. D’après elle, c’était comme un symbole. Un truc de soumission à l’homme qu’Alan n’avait jamais bien pigé. Lui était persuadé que les soutiens-gorge, c’était pour empêcher que les seins ne deviennent trop tôt des gants de toilette. Mais Liz avait beau expliquer qu’il suffisait de muscler ses pectoraux pour que ses seins ne s’affaissent pas, personne ne l’entendait. Ou tout le monde s’en foutait, plutôt. Les mecs ne voyaient que le côté joli du truc, mais elle, elle savait. Alors elle n’en portait jamais.

Avec un tel discours, Alan s’était attendu à lui trouver une toison bien fournie au niveau du pubis et des poils sous les bras. Lorsqu’il lui avait fait remarquer que ses aisselles toutes lisses et le triangle presque parfait au-dessus de son sexe ne collaient pas vraiment avec l’image qu’il s’était faite d’elle nue, elle avait simplement haussé les épaules en disant qu’elle n’aimait pas trop les poils sur elle.

Liz était un mystère pour beaucoup de gens. Et malgré qu’elle ait accepté de baiser avec lui, Alan n’avait pas le sentiment d’avoir percé ce mystère. Il repartirait avec encore plus de questions, même. Mais ça n’était pas pour lui déplaire. C’était au moins aussi agréable que la baise en elle-même. Un sacré moment qu’il n’avait pas sauté une nana avec autant d’entrain. Peut-être parce que Liz n’était pas du genre à se faire draguer. Elle était venue le voir et lui avait demandé si ça lui disait de monter dans la chambre, en plein milieu du concert. Il n’aurait jamais cru pouvoir l’avoir un jour pour lui.

String et jean’s enfilés, Liz s’alluma une autre clope avant de faire glisser son t-shirt moulant à col roulé sur sa peau, puis son gilet à capuche, et sa veste kaki rembourrée, par-dessus le tout. Elle laçait ses rangers quand elle sentit la main d’Alan se poser sur son épaule.

— Tu sais, Liz, commença-t-il un peu gêné. Un jour, faudra bien que tu dises des trucs gentils à quelqu’un que t’aimes. Alors tu pourrais t’exercer sur les autres, en attendant.

Elle ne répondit pas tout de suite. Mal à l’aise, Alan commença à se rhabiller à son tour, en entendant un groupe faire ses balances en-dessous. Liz sortit de la chambre et s’arrêta sur le pas de la porte :

— T’as pas à t’en faire. Le jour où ce sera important, je saurais comment faire.

Puis elle claqua la porte et redescendit en tirant sur sa clope comme un condamné à mort qui se rend à l’échafaud. Arrivée dans la salle, le bruit lui fit du bien. Alan était un bon amant, qui n’avait peur de rien. Ils avaient beau tous jouer les mecs qui se foutaient de tout, les mecs ouverts d’esprit, ils avaient tous une appréhension à enculer une fille dès le premier soir tout en la respectant. Mais Alan l’avait fait avec naturel. Il ne s’était pas fait prier. Elle le lui avait demandé dans un gémissement, et sans faire de chichis, il l’avait préparée à recevoir son membre dans le séant. Et il savait y faire !

Alan était un vraiment bon amant, attentionné et bestial juste ce qu’il lui fallait ce soir-là. Et c’est pour ça qu’elle ne comptait pas le lui dire. Elle préférait qu’il reste cool, que les sentiments ne viennent pas tout gâcher. Les hommes amoureux peuvent être tellement cons. Ça vous ruine une réputation. Alors il valait mieux redescendre sans avoir le temps de parler. C’est là qu’ils se sentaient obligés d’être sentimentaux et de devenir mielleux. Et c’est là qu’elle commençait à s’ennuyer.

Elle croisa le regard amusé de quelques amies, qui savaient très bien ce qui venait de se passer. La plupart espéraient un jour la voir se caser avec quelqu’un comme Alan, un gars tranquille, qui n’aime pas les embrouilles, qui n’a rien à prouver au reste du monde. Alors la voir redescendre de la chambre avec ce petit sourire en coin leur laissait croire qu’un nouveau chapitre s’ouvrait dans la vie de leur copine. Liz, elle, se dirigea directement vers le bar. Une autre clope plus tard, elle se frayait un passage vers la scène avec sa pinte en main. Elle avait bien repéré Alan qui revenait à son tour, mais elle ne voulait pas s’afficher avec lui comme s’ils étaient en couple. Il paraissait le comprendre et était allé rejoindre quelques potes en-dehors du bar.

Rockabilly. Voilà ce dont elle avait besoin. Cette baise avait délivré son corps et elle pouvait le laisser s’exprimer. Rapidement rejointe par ses amies les plus proches, elles se mirent ensemble à onduler, sautiller, renverser leur bière sur le sol déjà collant et crier vers le groupe pour les encourager à continuer ainsi. Quelques punks bourrés vinrent gesticuler aussi, convertissant rapidement leur danse en un pogo plutôt bon enfant qui entraîna Liz sans difficulté.

On se bouscule, on se cogne l’un contre l’autre. Parfois assez violemment. On glisse et on tombe. On tend alors une main et aussitôt une autre la saisit pour aider à se relever. On remercie d’un sourire, puis on bouscule celui qui nous a aidé. Alors on rit, on se tourne vers le groupe sur scène et on l’incite à envoyer du plus gros. Et le bassiste répond, puis les autres suivent. Le gentil rockabilly dégénère en concert punk à chien. On sort de là exténué, les oreilles sifflantes à cause des enceintes poussées trop fort. On a sué des litres, on pue et on crève de soif. Alors tous ensemble, on se rue sur le comptoir, comme si un autre concert commençait de ce côté-là. On essaye de dépasser les autres, attirer l’attention d’un ou d’une serveuse, on recroise des gens qui ont bien failli nous mettre K.O. sans trop le faire exprès, et on rit ensemble. Puis une fois servi, on va chercher un peu d’air, retrouver ses potes, attendre le prochain groupe, s’il y en a un, parce qu’on n’a pas trop su combien sont passés, ni même combien étaient prévus. On savait qu’il y avait un concert et on est venu, simplement.

Dehors, sur le trottoir, Liz retrouva ses amis. L’ambiance était détendue, paisible. Un peu plus loin, Alan riait avec d’autres hommes de la bande. C’était ainsi, pour elle, que ça devait se passer. Aussi intense que puisse être une baise, ça ne reste qu’une baise. Pas besoin d’épiloguer là-dessus. Mais Véro n’était pas de son avis, Véro n’était quasiment jamais de son avis. C’était peut-être d’ailleurs pour ça qu’elles étaient si proches. Et quand Véro avait une idée en tête, elle ne l’avait pas ailleurs ! Liz avait beau la connaître par cœur, elle se laissa avoir encore une fois dans ses manœuvres pour l’écarter un peu du groupe et lui poser la question qui la titillait depuis près d’une heure :

— Alors ? C’est un bon coup ?

— Putain, Véro... Ouais, c’est un bon coup, mais va pas t’ima­giner quoi que ce soit. On a juste baisé.

— Ouais, lui répond Véro sur un ton que Liz ne connaît que trop bien. Mais un type bien, qui partage la plupart de tes idées, et qui te baise bien... Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?

Véro était du genre bien trop pragmatique pour Liz. Elle avait des critères bien arrêtés, en ce qui concernait les mecs. Jamais elle ne serait tombée amoureuse d’un bedonnant qui n’est pas guitariste, par exemple. Son guitariste, elle l’avait trouvé et était heureuse. Liz savait bien que si elle voulait à un tel point voir sa meilleure amie casée, c’était parce qu’elle voulait partager ce bonheur avec elle. Être amoureuses en même temps. Mais Liz avait beau regarder autour d’elle, elle ne voyait franchement aucun avec qui elle réussirait à se projeter dans un avenir en commun. Elle n’était pas faite pour être fidèle, comme Véro. Elle n’était pas faite pour les mots d’amour, ou les caresses sensuelles. Elle savait qu’elle serait capable d’aimer au point d’en mourir, mais même si dans le fond elle désirait cela plus que tout, elle était incapable de se lancer, de s’ouvrir à qui que ce soit. Même pas complètement à sa meilleure amie. Alors elle décida de couper court à la discussion, et elle savait comment le faire. Elle fourra sa cigarette entre ses lèvres, calée entre ses dents et plaqua sa main libre sur un sein de Véro :

— Une paire de nibards comme les tiens !

Véro recula aussitôt. Elle n’était pas contre le fait que Liz se tape parfois des nanas, mais elle ne supportait pas qu’une autre femme la touche. Chacun fait ce qu’il veut de son corps et elle faisait ce qu’elle voulait du sien ! Et Liz le savait très bien, tout ça. Elle recula et la fusilla du regard :

— Quand tu seras seule, vieille et moche, viens pas te plaindre... Je t’aurais prévenue. C’est pas si difficile que ça, tu sais.

Puis elle lui tourna le dos pour retrouver la bande, hautaine, comme elle savait si bien le faire. Liz ricana jaune, mais ricana, pour la forme. Ne jamais montrer qu’on a été touchée. Elle s’avala le reste de sa bière cul-sec et s’enfouit dans le bar où un autre groupe terminait de se préparer. Putain, mais il a craqué, le patron ! Il y a combien de groupes, ce soir ?

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