Une nouvelle Aube

Les hommes avaient effectué un très dur labeur, toute la journée, et il était normal qu'ils fussent, pour la plupart, exténués. Ils avaient, aussi, extrêmement bien travaillé, et tout était maintenant fin prêt.

Désormais, tous attendaient que la nuit fût tombée, que la fraîcheur du soir les atteigne. Mais le soleil semblait les narguer en ne voulant pas plonger derrière les lointaines montagnes, aux portes du désert.

Samuel Cnox considéra longuement les trois astronautes qui étaient assis à côté de lui. Ils constituaient l'équipage de la fusée qui décollerait en premier. Holgerson, le visage grave, mâchait consciencieusement un chewing-gum. Werner lisait 2001, L'Odyssée de l'Espace. Et Sutland observait le sable qui voletait au dessus des dunes jaunes.

— Cigarette ?, fit-il.

Mais naturellement, personne ne lui répondit.

*

Le soleil était enfin passé au delà de l'horizon, et seule luisait encore une mince bande rosâtre sur laquelle se découpaient les pics déchiquetés.

Tous, ou presque, dormaient, allongés sur le sol encore brûlant.

Dans le ciel immobile, seule, Vénus étincelait.

Les fusées fines comme des aiguilles étaient pointées vers le firmament, comme autant de doigts qui semblaient dire : « C'est là qu'il faut aller ». Sous leurs coiffes luisantes, il y avait les vaisseaux de la forme d'une lampe torche qui iraient jusqu'à Mars. Chacun était pour l'instant logé dans un cocon métallique qui ne s'ouvrirait que lorsque les fusées auraient atteint le plein espace. Chacun attendait l'heure à laquelle il serait activé et bondirait vers les étoiles d'or.

C'était un soir nouveau sur un désert déjà glacé.

Le vent soufflait en rafales qui secouaient les fragiles mâts d'antenne, les poteaux supportant les fils électriques et les haut-parleurs.

Les tentes aluminisées sous lesquelles s'étaient réfugiés les techniciens frissonnaient, fouettées par le sable. Tout était immobile sur les neuf pas de tir.

Cnox se secoua et se retourna. Il regarda longuement les parois vibrantes de la tente, puis s'extirpa de son sac de couchage et se leva. Il faisait frais. Réprimant un léger tremblement, il alluma le radiateur électrique et jeta un coup d’œil au dehors. C'était une nuit comme toutes les autres. Enfin, pas entièrement… Car, à tout moment, on pouvait l'appeler et lui demander de faire décoller les fusées le plus rapidement possible.

Il sourit et entreprit de s'habiller. Puis, engoncé dans son anorak, il sortit. Le vent lui arracha un hoquet de surprise et d'indignation. Comme d'habitude, il ne s'était pas attendu à ce qu'il fasse aussi froid. Mains dans les poches, il marcha longuement et inspecta soigneusement les neufs tours de lancement. Les câbles d'alimentation étaient encore reliés aux fusées, et les pompes prêtes à remplir les réservoirs.

Soudain, une voix l'interpella.

— Cnox ! Eh, Cnox !

Il se retourna : c'était son adjoint, Spaulding. Celui-ci le rejoignit en courant et lui tendit une enveloppe. Cnox la saisit et la déchira.

— Qui vous l'a remise ?

— Le radio.

Cnox grimaça, lut, et d'un pas rapide se hâta vers le camp.

*

Le personnel de la base était au complet dans la grande salle de réunion.

Spaulding nota avec amusement que beaucoup somnolaient sur leurs chaises. Debout sur l'estrade, Cnox parlait.

— … Les Russes peuvent faire partir les leurs d'une minute à l'autre. Peut-être même est-il trop tard. C'est pourquoi nous devons faire vite.

Un brouhaha général suivit, noyant ses dernières paroles. Mais l'essentiel avait été dit.

Vers minuit, une agitation fébrile gagna le camp. Les tours de lancement furent inondées de lumière par une multitude de projecteurs dissimulés dans les dunes, et les techniciens procédèrent aux ultimes essais et vérifications. Les tentes furent démontées à la hâte et chargées sur des camions qui les emportèrent, ainsi que tout le matériel inutile, à plusieurs kilomètres de là. Enfin, le personnel, à l'exception des techniciens travaillant dans le blockhaus de contrôle, s'éloigna lui aussi loin des fusées.

Les astronautes prirent place dans les vaisseaux.

Samuel Cnox resta un peu plus longtemps pour contempler une dernière fois la réalisation dont il avait été l'auteur. Puis, quand les lumières baissèrent, il sauta dans sa Jeep et partit loin des colosses éclipsant les étoiles.

*

« Encore deux heures », songea Spaulding. Il se versa un autre café, bien fort, qu'il avala d'un trait. Combien en avait-il déjà bu ? Une dizaine, peut-être. Mais c'était sans aucune importance. Cnox n'avait, lui, aucunement besoin de café. Il était déjà bien assez nerveux comme ça. L'impatience le rongeait, et il regardait fréquemment sa montre. S'il eût pu faire avancer le temps…

Mais tous étaient comme lui, impatients de voir les flammes jaillir des tuyères, la poussière et la fumée former un nuage opaque sur un bon kilomètre de diamètre.

Encore une heure.

Spaulding lisait, pour tuer le temps. Cnox, de plus en plus impatienté, faisait les cent pas sur le sable froid.

Plus que trente minutes.

La voix d'un des techniciens enfermés dans l'abri de béton jaillit avec force dans les haut-parleurs.

« Décrochement de toutes les alimentations énergétiques externes. »

Cnox serra les dents : tout allait bientôt se jouer.

— Un peu de café ? lui proposa Spaulding.

— Non merci.

Spaulding hocha la tête, et s'en servit une pleine tasse.

Quinze longues minutes encore. Vers l'orient, en direction des fusées, un dégradé rose annonçait la venue prochaine du soleil.

Cnox regardait fixement les tours de lancement rendues minuscules par la distance. « Bientôt », se dit-il. « Bientôt ».

Cinq minutes. Attendre, toujours attendre.

Au moment où l'astre flamboyant parut, à l'instant précis où brilla le premier rayon, un torrent de flammes jaillit du dessous des fusées. Elles hésitèrent un moment, accélérèrent doucement, et se perdirent dans le ciel pur, laissant derrière elles neuf sillages d'or.

Un instant oublié, le silence retomba sur le désert.

Cnox murmura quelque chose et se tourna vers Spaulding.

— Venez. La journée va être longue.



Première publication : Association mulhousienne de Science-Fiction (AMSF), anthologie Jeunes Auteurs alsaciens, novembre 1984.

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