Le Monde des Éphémères (3/3)

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C'est dans le flou total que le professeur ouvre les yeux. Ses tempes battent, son esprit est embrumé, comme s'il avait passé des heures à se soûler. Ses paupières clignent dans l'espoir de distinguer les murs de sa chambre, pourtant sa vision reste imparfaite. Les souvenirs de son étrange rêve lui reviennent, semblables à des images lugubres qui dansent dans son esprit.

— Tu es déjà réveillé, constate une voix veloutée qui résonne en échos entre les parois de son crâne. C'est merveilleux, nous allons pouvoir jouer.

Luxure. C'est elle qui se réjouit.

Un frisson désagréable longe l'échine de Garrett quand il constate que cet horrible moment est bel et bien réel. Pas de rêve étrange ou de cauchemar terrifiant, les moments passés ne sont pas le fruit de son imagination débordante ni de son subconscient défectueux.

C'est avec la tête qui vacille qu'il se redresse afin d'examiner l'endroit dans lequel il se trouve. Malgré les voilages sombres suspendus à l'immense fenêtre, la pleine lune lui confère suffisamment de clarté pour détailler la pièce. C'est dans un lit à baldaquins qu'il est installé, au centre d'une chambre emplit d'objets divers, un attirail complet pour une longue torture. Entre les lames, les cravaches et fouets, il y en a pour tous les goûts, à l'exception peut-être de ceux de Garrett, enfin pour cette nuit seulement.

Si par le passé il a manié toutes sortes d'instruments avec dextérité, il est désormais pétrifié face à l'étalage qu'il a sous les yeux. Il est celui qui aime dominer lorsque les désirs charnels chantonnent une douce mélodie, seulement, être celui qui reçoit les châtiments ne l'a jamais intéressé. Sous ses airs inhibés se cache une bête vorace qui se repaît de gémissements, assoiffée de cyprine chaude et se délectant d'un fourreau de soie dans lequel il aime asséner des coups de boutoirs brutaux. Malgré ses fantasmes pervers qui refont surface lorsque son regard se pose sur un corps attirant, cela fait bien longtemps qu'il n'a pas donné de sa personne dans un enchevêtrement de membres brûlants. Le temps manque et ne lui permet plus d'agir à sa guise, c'est ainsi qu'il aime se consoler. La honte qui le tiraille avec les années qui passent est la raison pour laquelle il a cessé ses activités, mais jamais il ne sera suffisamment fort d'esprit pour se l'avouer. Ses soirées de sauvageries datent de l'université et lui manquent souvent. Pourtant, il refuse de succomber depuis qu'il est professeur dans un collège où déambulent des centaines de gamines innocentes. Sa raison le rappelle à l'ordre quand ses envies barbares tentent de forcer le passage.

— Quel beau facies, s'exclame une femme d'un ton exalté, si joli minois. Ma vue me fait défaut, je n'avais pas aperçu la symétrie de ton visage, ni la beauté de ton regard apeuré.

Les yeux plissés, Garrett tente de distinguer d'où proviennent ces voix qui semblent si proches de lui. Dans la pénombre, seul le scintillement des objets sur lesquels se reflète la lune est visible. Aucune trace d'une quelconque personne si ce n'est ces mots qui résonnent à ses oreilles.

— Qui est là ?

Un ricanement puis à nouveau le silence.

Un éclair provenant du sol illumine la pièce, prend la forme d'une sphère jusqu'à ce qu'un corps se matérialise aux pieds du lit. Le souffle coupé, Garrett fixe une dame aux joues potelées, aux courbes arrondis mais d'une splendeur sans pareille.

— Gourmandise, susurre-t-elle suavement en lui tendant la main, enchantée.

— Gour...

— J'ai eu échos de tes penchants pour les liquides sucrés, ronronne-t-elle en inclinant la tête. Je suis ici pour assistée ma très chère sœur.

— Liquides sucrés ? répète-t-il hébété. Je ne bois que de l'eau.

— Non. Non, mon ami, pas ce genre de boissons. Ne comprends-tu pas ? Je parle des fluides d'un corps appétissant, de ces jus savoureux que tu lappes avec délectation.

Garrett ouvre de grands yeux alors qu'une peur gargantuesque fait battre son cœur. Il ne sait toujours pas ce qu'il fait ici, ni pourquoi il a si bêtement décidé de se rendre dans ce manoir. Il aurait mieux fait d'ignorer cette invitation glissée dans sa boite aux lettres.

Dans un sourire enjôleur, Gourmandise claque des doigts. L'instant suivant, la gorge du professeur se remplit d'un liquide brûlant. Un haut-le-cœur le secoue, le fait régurgiter mais sa bouche ne se vide pas pour autant. Il étouffe, se noie dans une rivière de cyprine qui inonde ses poumons. Dans un geste désespéré, il s'accroche aux draps, tente de se relever mais son corps est projeté contre le matelas. Son regard implore l'Initiée qui sourit de satisfaction. Il est persuadé que c'est elle qui le torture, bien qu'il ne sache pas comment elle s'y prend.

— Assez, s'exclame Luxure qui apparaît en un courant d'air. Ne fatigue pas mon Éphémère, il ne sera plus suffisamment en forme pour assouvir mes envies.

— Ce que tu peux être rabat-joie.

En un second claquement de doigts, les poumons de Garrett se vident, sa gorge s'assèche et ses narines s'emplissent d'air duquel il manquait. Un douleur fulgurante malmène sa cage thoracique alors qu'il respire difficilement.

— Qu'avez-vous fait ? marmonne le professeur d'un ton brisé. Vous êtes malades !

— Nous t'offrons ce que tu as si ardemment désiré, fanfaronne Gourmandise.

Garrett secoue la tête, si vivement que ses articulations craquent. D'un pas assuré, Luxure s'approche du lit, effleure la peau moite du trentenaire, puis ses ongles vernis de bordeaux forcent contre ses lèvres qui s'entrouvrent. Les doigts de l'Initiée appuient sur sa langue avec brutalité, font couler des gouttes de salive sur son menton.

— Ne me touchez pas, peste-t-il en repoussant le bras de Luxure.

Un sourcil haussé, elle le défie du regard. Ses iris framboise balaient le torse de L'Éphémère alors que le désir enflamme ses reins. Si c'est son devoir de malmener les êtres pervertis, elle y trouve tout de même son contentement et éprouve un plaisir passionné.

— Dis-moi ce que tu souhaites, murmure-t-elle en penchant la tête vers celle de Garrett.

— Rentrer chez moi et oublier toute cette mascarade ridicule, grince-t-il alors que les mains de l'Initiée parcourent doucement sa poitrine.

— Tu mens. Je réitère ma question et cette fois, j'aimerais que tu me montres ta sincérité. Que souhaites-tu, Garrett Blake, du plus profond de ton âme ?

Le regard framboise s'obscurcit, devient rouge sang lorsqu'il croise celui de L'Éphémère qui paraît soudainement hypnotisé. Les membres jusqu'ici crispés de Garrett se relâchent contre le matelas, son cœur se calme tandis que sa tête s'emplit de ces scènes érotiques et perverses de son passé.

— Chère dame Luxure, mon cœur susurre ses folles envies. C'est toi que je désire ; entre baisers brûlants et corps à corps incandescents, comment ne pas succomber à tes charmants attraits ? s'entend-il dire.

Stupéfait, il écarquille les yeux. Ce ne sont pas les mots qu'il aurait voulu prononcer, c'est son refus catégorique d'être là qu'il aimerait hurler, mais l'Initiée a pris possession de son esprit embrumé.

— Bien, acquiesce-t-elle satisfaite. Dans ce cas, débutons !

Luxure s'empare d'une lame sur laquelle glissent ses ongles manucurés. Un sourire ourle ses lèvres carminées alors qu'elle rejoint le lit. Habillement, elle découpe les vêtements en un seul coups de poignet. La pointe d'acier effleure le torse de Garrett qui serre les dents d'anticipation. Il souhaiterait riposter, s'éloigner de l'Initiée qui semble emportée par une fureur sexuelle mais il est cloué au lit, impuissant et ravagé par l'appréhension.

Luxure se cambre sur le corps de Garrett, son posterieur moulé dans sa robe noire est parfaitement mis en valeur. Elle est sublime, mais il ne la désire pas. Comment le pourrait-il alors qu'elle a entre les doigts un couteau de vingt centimètres ?

Les lèvres peintes en rouge se posent lentement sur le buste du professeur, parsèment sa peau de baisers langoureux tandis que l'épiderme de Garrett s'enflamme. Il ne s'agit guère d'une brûlure plaisante, c'est même le contraire du plaisir. Sa peau fond à chaque pression de la bouche de Luxure ; chaque baiser lui administre une souffrance brutale et inssuportable. Une odeur de chair calcinée s'élève dans la chambre, rend malade l'homme paralysé. Ses hurlements de douleur restent coincés dans sa gorge alors qu'il regarde avec horreur son corps crépiter d'étincelles qui picorent son corps.

De l'autre côté du lit, Gourmandise s'empare d'un martinet aux lanières en cuirs qu'elle tend à sa sœur en souriant de malice. Si son réel plaisir est d'étouffer ses Éphémères de diverses manières, elle apprécie voir à l'œuvre ses semblables lorsqu'ils deviennent plus cruels que Satan lui même. En un regard complice, Luxure remercie l'Initiée puis reporte son attention sur sa distraction. D'une démarche féline, elle contourne le lit puis s'éloigne de quelques pas. Un claquement sec retentit quand les cordages en cuirs s'échouent brutalement sur le ventre de Garrett. Sa peau se déchire, des traînées sanguines ruissellent sur ses flans et viennent souiller les draps de satin. La douleur du martinet mélée à celle des brûlures fait flancher L'Éphémère. Ses cris s'élèvent enfin, se réverbèrent contre les murs de la chambre et rendent désireuse la maîtresse des lieux. Des larmes perlent des yeux brumeux du professeur, ses sanglots résonnent, se mêlent à l'hystérie de Luxure qui abat une seconde fois l'arme qu'elle maintient avec ferveur. Les coups se multiplient, la souffrance s'accroît, le palpitant de Garrett martèle si puissamment ses côtes que sa respiration s'enrage.

À travers les voilages, la pleine lune illumine les perles de sang qui brillent comme un millier de rubis. Le regard flou du martyr cherche un point d'ancrage, un espoir sur lequel se reposer alors que l'Initiée rampe sur le matelas. Les mains désormais libres, elle s'empare du membre endormi de L'Éphémère. Ses lèvres pulpeuses se posent sur l'extrémité du sexe, y déposent quelques baisers incandescents avant de l'avaler de tout son long. Dans un bruit de succion obscène, elle stimule le plaisir de Garrett qui tente de résister. Résistance qui se révèle vaine lorsque son désir s'érige contre son gré. Sa plainte se meurt contre la bouche de Gourmandise lorsqu'elle se rue vers lui. De nouveau, un liquide visqueux et sucré parcourt sa langue, inonde sa gorge alors que Luxure s'empale brutalement sur le sexe enflé de L'Éphémère. Il aimerait gémir, faire entendre son désaccord ainsi que le plaisir qui se répand en lui à la vitesse de l'éclair, mais sa bouche est pleine, à tel point que des coulées de cyprine débordent des commisures de ses lèvres et longent son cou. Les yeux écarquillés, il fixe le plafond, tente de respirer mais ses poumons sont obstrués.

Dans une danse torride, Luxure se donne du plaisir en rebondissant sur les hanches du trentenaire. Son membre la pourfend, la fait gémir bruyamment, tandis que la souffrance et le désir qui tiraillent les traits de Garrett lui confère une satisfaction malsaine. Les doigts de l'Initiée parcourent le buste souillé, étalent le sang sur la peau abimée, puis partent à la découverte d'une partie plus au sud du corps qu'elle malmène. Un son étouffé par le liquide tente de s'élever alors que d'un coup de poignet, l'index et le majeur ensanglantés passent la barrière de muscles les plus sensibles de Garrett. Une algie subite s'étire dans son bas-ventre, puis un délice nouveau se répand en lui et enflamme ses veines. Oscillant entre plaisir et douleur, il perd l'esprit, ne sait plus sur lequel de ces sentiments se reposer. La vision de Luxure qui se déhanche sur son corps le rend cotonneux, la souffrance qui le tiraille par tous les côtés le fait vaciller. C'est un doux calvaire, un pénible bonheur qui pèsent sur lui tel un fardeau à évincer.

Les yeux framboise de la jeune femme se révulsent quand son orgasme la foudroie. Son fourreau incandescent se contracte sur le membre de Garrett, si puissamment, si ardemment que sa peau veloutée se consume. Une dernière poussée des doigts de Luxure et la jouissance du professeur explose dans un jaillissement de cyprine qui s'élève de sa bouche et éclabousse les Initiées aux regards féroces. Le plaisir de l'homme est tel que son cœur s'emballe, s'enrage et éclate dans un claquement sinistre.

Le corps gisant repose toujours sur les draps teintés d'éther alors que les maîtresses discutent, un verre au liquide ambré entre leurs doigts manucurés.

— Orgueil avait vu juste, soupire Gourmandise. Cet Éphémère n'a pas tenu plus d'une heure.

— Je déteste donner raison à ce vaniteux, râle Luxure. Mais s'il y a bien une chose sur laquelle il a eu tort, c'est que Garrett Blake s'est avéré plus intéressant qu'il n'y paraissait.

— Ses larmes de peur avaient bon goût, admet l'Initiée en haussant les épaules.

— J'ai adoré que tu m'assistes cette nuit. Je serai ravie de te rendre la pareille à la prochaine pleine lune !

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