6. Pardon, à tout prix

5 minutes de lecture

Bien sûr, pour rajouter à ma malchance, mon RER était en retard, lui aussi. Et quand je réussis enfin à me faire une petite place à l’intérieur, serré entre une vieille meuf vulgos et une ado qui se gênait pas pour me mâter, le train s’arrêta au beau milieu des voies.

Une minute. Deux. Dix. Quinze. Putain !

J’en étais sûr, le mec allait pas me louper quand j’arriverais dans l’amphi avec trente minutes de retard, encore. C’était le même connard que le premier jour. Et en plus, on était encore dans les vieux bâtiments, le labyrinthe. Trente minutes, c’était si je trouvais mon chemin du premier coup. J’en doutais très sérieusement. J’étais trop con pour me repérer là-dedans.

Et en plus, quand j’arrivai devant l’entrée, le vigile me demanda ma carte d’étudiant. Sauf que je l’avais oubliée à l’hôtel, à cause de cette connasse qui m’avait dégagé de ma chambre. Je dus négocier et le supplier pour parvenir à entrer.

Quarante-cinq minutes. Bordel !

Bon, je regardai mon emploi du temps. C’était le même amphi que le premier jour. Ouais, sauf que je me souvenais plus comment on faisait pour y aller. Alors, je errai dans les couloirs pendant encore trente bonnes minutes.

Fais chier, putain !

J’étais enfin devant la grande porte battante qui menait à l’amphi. Sauf que j’avais une heure quinze de retard. Il m’avait défoncé pour moins que ça, le premier jour. Là, j’avais aucune excuse. Si j’étais parti plus tôt, j’aurais pas eu de problème de transport et j’aurais eu le temps de trouver la salle à l’heure. Sauf que je m’étais pas réveiller. À cause de Céleste qui avait détruit mon téléphone.

Je pris une profonde inspiration, prêt à me jeter dans la gueule du loup, à me faire humilier encore une fois, quand la porte s’ouvrit dans ma direction et manqua de me péter le nez. Et évidemment, face à qui je me retrouvai ? Non seulement elle avait cassé mon portable, mais en plus elle avait failli me défigurer. Enfin, le faire encore plus.

Elle m’adressa un sourire radieux. Je serrai les dents. Elle foutait quoi là ? Ça se voyait que j’étais vénère, que je faisais la gueule. Mais elle en avait rien à carrer apparemment, parce qu’elle continua à sourire et m’entraina avec elle dans les couloirs grouillant d’étudiants.

— Putain, mais lâche-moi, m’énervai-je.

Elle avait enroulé ses petits doigts gelés sur mon poignet et me trainait derrière elle. Céleste slalomait entre les gens. Moi, je manquais de me les bouffer à tous les coups. Et en plus, elle me disait rien. Elle m’emmenait juste avec elle, comme ça, sans explication.

— Tu prends un café ? me demanda-t-elle, lorsqu’on aperçut les machines au bout du couloir. Je te l’offre.

— Nan. Tu m’offres rien du tout, marmonnai-je. T’en as assez fait.

Elle m’écoutait même pas. Putain, mais elle était reloue, en fait ! J’avais de plus en plus envie de lui encastrer la tête dans le mur. De moins en moins envie de lui rouler une pelle. Quoique…

— Beau retard, encore, rit-elle, en me tendant un gobelet en plastique bouillant. Ça t’arrive d’être à l’heure plus d’une fois sur deux ?

— Mon réveil a fini sa course sous un métro, rétorquai-je.

— Je suis vraiment désolée pour ça, soupira-t-elle. Tiens, je me doute que tu en accepteras pas un neuf, mais mon frère vient d’en changer, je peux te filer son ancien en attendant que tu puisses t’en payer un nouveau. Pour me faire pardonner.

Elle m’adressa une moue enfantine, ou séductrice, je savais pas trop. Je dus cligner des yeux pour dévier des siens. Ils étaient vraiment trop bizarres. Son oeil vert était aussi un peu orangé, jaunâtre par endroits même. Et il y avait une tâche marron en plein dans le blanc, juste dans le coin gauche. Comme un grain de beauté, mais sur l’œil. Et puis l’autre était bleu nuit, presque noir, mais quand les néons du plafond se reflétaient dedans, il s’éclaircissait de gris et de jaune. J’avais jamais vu des yeux pareils.

— J’ai pas besoin de ta pitié, sifflai-je.

Les poings contractés, j’aimais pas le regard qu’elle me lançait. J’aimais pas sa main posée sur mon avant-bras en signe de compassion. J’avais pas besoin de ça. Clairement pas. Alors, je fis demi-tour, jetai le café dans la poubelle et traçai jusqu’à l’amphi.

Je profitai que quelques étudiants rentraient en groupe pour me glisser dans la pièce discrètement. Heureusement, le prof ne m’avait pas vu. J’étais tranquille. Sauf qu’en fait, pas du tout, parce que Céleste revint à la charge.

Plantée devant moi, les mains sur les hanches alors que ses potes la regardaient d’un peu plus bas dans les rangées, elle me fusillait du regard.

Je rêve ! Elle va m’engueuler alors que c’est elle qui est en tort.

— Tiens, me dit-elle, en me tendant un paquet de feuille et le portable. Le prof a distribué tout ça ce matin, j’en ai pris pour toi. Et prends le téléphone, s’il te plait. Ça ne te coûte rien.

Elle me sourit encore. Fallait vraiment qu’elle arrête de faire ça parce que ça m’empêchait de lui en vouloir. Ses lèvres étirées dévoilaient des dents du bonheur, pas au point de Vanessa Paradis non plus, mais assez pour qu’on le remarque. Elle avait une fossette qui creusait sa joue droite. Sur la gauche, il y avait un grain de beauté tout petit, juste au coin de sa bouche. Décidément, cette fille était vraiment… différente des autres. Ses cheveux bruns cuivrés remontés en un chignon décoiffé lui donnait un air farouche, vite adouci par sa petite voix.

— Mikaël.

— Quoi ?

— Alors, tu le prends ?

— J’ai pas envie de te devoir quoi que ce soit, répondis-je simplement.

— C’est moi, qui te dois quelque chose, Mikaël. Toi, tu as juste à accepter que je répare mon erreur. S’il te plait. Je suis vraiment désolée. Je n’aime pas être ce genre de personne…

— Quel genre ? m’étonnai-je.

— Le genre négligeante, qui se moque de tout.

— C’est bon, je le prends, soupirai-je, lassé par son manège bizarre.

Elle me faisait presque de la peine à se décarcasser comme ça pour se faire pardonner alors qu’on se connaissait pas du tout. Et elle avait pensé à me prendre les cours pour que j’aie pas à les demander au prof en fin d’heure et qu’il m’engueule encore. Fallait bien avouer que c’était sympa de sa part. Mais bordel, j’avais la très désagréable sensation que c’était de la gentillesse forcée, parce qu’elle avait compris que j’étais qu’une petite merde paumée. Je voulais pas de sa pitié. Et rien qu’y penser me fit de nouveau bouillonner, alors qu’elle était retournée à sa place depuis trente bonnes minutes.

Annotations

Vous aimez lire Elora Nipova ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0