Le 24 mars 1XXX

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Voilà si longtemps que je n’ai écrit dans ce journal. Il faut dire que la vie à bord ne m’en laisse plus tellement le temps, depuis que j’apprends à me battre. Je manie maintenant plutôt bien le sabre, mais l’arc me résiste toujours.

Nous voguons depuis maintenant quatre mois, et je ne sais où nous allons. Les navires vont et viennent, et les combats font rage. Je me suis peu à peu accoutumée à la vie en mer, à ses libertés mais aussi à ses périls. J’ai, pendant ces trois mois, pu aborder un navire, et égorger mon premier ennemi. Je pensais que cela m’affecterait plus. Il se passe énormément de choses à bord, et il me serait trop long de les relater tous ici, bien que je le désire. Des plus grandes batailles aux rires partagés entre membres d’équipage, j’aimerais prendre autant de pages que je veux, mille, même, s’il le faut, pour tout relater, à partir du point où je m’étais arrêtée. Tout ici me paraît si important qu’il faut que je le décrive. Je voudrais tout dire, mais je me contenterai de rassembler ici mes impressions les plus prégnantes, car le temps me manque.

La mer est étrange, plus étrange que je l’aurais prédit. Il n’existe rien de commun entre ce que l’on aperçoit depuis le port et la réalité de ce qui se trouve derrière la ligne d’horizon.

Je me trouvai la nuit dernière en haut du mât de misaine, remplaçant Louise qui occupe habituellement ce poste. Je m’étais, durant une tempête qui nous avait surprises quelques jours auparavant, montrée habile à grimper dans les cordages. Pour cette raison, je fus choisie pour assurer la vigie durant toute la nuit. Monter la garde dans ces conditions n’est pas la tâche la moins ardue du monde. Le vent souffle fort là-haut, on n’a aucune place où s’asseoir confortablement, et les doigts nous démangent à force de s’agripper. Je chantai les chansons que m’avait apprises la Bretonne, qui ne répondait d’ailleurs pas à d’autre nom que celui-là, au sein de l’équipage. Le bruit courait qu’elle-même avait oublié son nom de baptême. Il en avait d’autres comme elle parmi l’équipage : nous les appelons la Juive et l’Égyptienne, puisque c’est tout ce que nous savons d’elles.

Les chansons de la Bretonne m’aidaient à tenir dans le froid et la nuit. J’avais les yeux rivés à l’horizon, dans l’espoir d’apercevoir un navire à piller, une lame de fond ou un nuage orageux, n’importe quoi pour égayer ma longue nuit au cœur de cet océan de brume.

Je ne voyais pas les flots, ni même le pont. Ils étaient engloutis par un brouillard épais, au travers duquel on ne voyait rien.

Puis, je l’entendis.

Clair comme le son d’un carillon, une longue plainte s’éleva à bâbord. Elle résonna tout autour du navire, comme venant de nulle part et partout à la fois. C’était le cri long et plein de détresse d’un animal blessé. Je crus tout d’abord qu’il s’agissait d’une baleine, comme nous en avions croisées plusieurs depuis quelques jours, mais je devinai vite qu’il ne s’agissait pas de cela. C’était une créature que je n’avais encore jamais croisée, et qui, j’en étais sûre, n’était pas de ce monde. Elle s’approchait, s’éloignait, puis se rapprochait encore. Elle nous jaugeait. Elle se demandait ce que nous étions, si nous étions dignes d’intérêt. Si nous étions une proie, peut-être. Je tendis la main vers la cloche d’alerte, sans toutefois tirer la corde. Était-ce une menace ? Ou était-ce tout simplement un grand animal d’un genre inconnu mais paisible. Je ne le sais toujours pas à l’heure où j’écris ces lignes.

Je finis tout de même par faire sonner la cloche, quand la créature frôla la coque. Je ressentis la vibration de son passage jusqu’en haut de mon mât, même si je ressentais dans le même temps que la chose n’était pas grosse. Ce n’était pas une baleine, j’en étais alors sûre. Ce n’était même pas un gros dauphin. Le frisson remonta dans mon échine. À ce moment précis, je sus qu’il se passait quelque chose d’étrange.

La capitaine était sortie de la cabine avant que j’aie tiré sur la corde. Elle avait été alertée par la créature en même temps que moi, j’imagine. De mon piédestal, je ne vis rien de ce qui se passait, et ne pus faire confiance qu’à mes oreilles. Plusieurs équipières sortirent rapidement de la cale, et s’éparpillèrent tout autour du navire, sous les ordres de la capitaine. « Suivez-la ! », hurlait-elle, courant d’un bout à l’autre du pont. Nous virâmes rapidement de bord, si brusquement que je faillis tomber de mon perchoir. Il y avait tant d’agitation que nous aurions tout aussi bien pu être en pleine journée, si ce n’était que le ciel au-dessus de moi était sombre et parsemé d’étoiles. Personne ne dormit plus de la nuit. Celles qui avaient les meilleurs yeux s’emparèrent de longues vues, et scrutèrent, scrutèrent encore et encore, faisant des signes à celles qui se trouvaient plus en arrière et qui maniaient les voiles. On monta sur mon mât, constata qu’on n’y voyait goutte, et on redescendit. Je finis par retourner sur le pont, moi aussi, alors que le soleil n’était pas encore levé. On me donna un filet et un harpon, en m’ordonnant bien de me servir du premier avant le deuxième, si jamais je voyais approcher la créature. Quoi que ce fut, il nous la fallait vivante.

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