Chapitre 21.4

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Son hôte avait le physique d’un homme à l'aube de la soixantaine qui aurait pris soin de lui à grands coups de cosmétiques, mais sans aller au-delà d’une certaine limite toutefois. Il se situait entre deux poids, plume et lourd, ce qui laissait supposer qu’il aimait prendre du bon temps, mais qu’il devait exercer une activité physique relativement intense. Ses cheveux, eux aussi, étaient entre deux couleurs : le gris et le blanc. Il avait des lèvres pincées, un regard dur, un front haut et un menton bas qui menaçait de se confondre avec son cou.

Il était connu des siens et de ceux sur lesquels il avait régné sous les noms d’Ishkur ou de Teshub. Dans un lointain passé, il avait été très lié à Baal dont il partageait de nombreux penchants. Les deux Drægans ne rechignaient alors pas à se mesurer sur certains terrains de compétition.

Ishkur était aussi connu comme un être volubile. Ce qu’il donnait d’une main, il pouvait le reprendre de l’autre. Joyeux un instant, colérique la minute suivante, même si l'âge l'avait grandement calmé. Ami un jour, ennemi le lendemain. Il était difficile de savoir ce qu’il pensait vraiment.

La rumeur disait encore qu’il avait assassiné son épouse, Shala, de ses propres mains, et envoyé quelques-uns de ses rares amis dans les geôles de Cottos.

Un seul en était sorti vivant : Baal.

Quant à ceux qu’il n’avait pas trahis, ils avaient pris le large, avant que ne vienne leur tour, tôt ou tard.

Les Drægans n’échangèrent aucune parole. D’ailleurs, il leur aurait été difficile de le faire sans crier à cause des martèlements, craquements et grincements ambiants.

Déjà naturellement sur leurs gardes, car ils se méfiaient, avec raison, des uns et des autres, ils préféraient être attentifs aux endroits où ils posaient leurs pieds.

Le tunnel était devenu une passerelle étroite. Le moindre faux pas pouvait à tout moment les précipiter, vers une fin prématurée, une vingtaine de mètres plus bas.

Esmelia les voyait, les observait, parfois comme s’ils étaient devant elle.

Apparemment, ils ne la voyaient pas plus qu’ils ne la percevaient pas non plus. Par quel miracle, si ce n’était celui du rêve où l’impossible devenait possible… Non. C’était autre chose : une sorte de pouvoir qui lui permettait d’être là sans l’être, d’observer sans être vue. C’était comme des visions prémonitoires. Mais rien ne lui disait qu'il s'agissait du futur. Pourquoi pas le présent ? Ou le passé ? Elle n’avait su répondre. Elle se sentait hors du temps. Aussi simple que cela ? Pas vraiment, mais c'était le mieux qu'elle avait trouvé pour représenter son état.

Elle se sentait elle-même et, dans le même temps, quelqu’un de tout Autre… Assez étrangement, c’était dans cet Autre qu’elle se reconnaissait.

Elle reporta son attention sur son environnement.

Plus elle suivait les Drægans à travers ce dédale d’acier, plus elle doutait être à l’intérieur d’un vaisseau spatial. Cet endroit était beaucoup trop grand, trop profond, trop bruyant, même pour un vaisseau, même amiral. Il évoquait plus le cœur d’une gigantesque station spatiale, positionnée quelque part dans l’espace… Ou un lieu qui, autrefois, aurait dominé les nuages et les violentes tempêtes en altitude, et aurait été baigné de lumières et de vies. Il n’en restait que les odeurs d’humidité et de fer rouillé, un profond sentiment d’abandon et les visions fugitives des ruines d’une cité d’un autre temps.

Ils s’étaient peut-être déplacés dans le temps et dans l’espace… sans heurt, sans ressenti. Le passage d’un lieu à un autre avait dû se faire à la sortie d’un tunnel.

Ils avaient certainement franchi une bouche sans qu'elle s'en rende compte. Il n’y avait cependant pas eu de tunnel. La téléportation avait dû être quasiment instantanée. Peut-être les Drægans utilisaient-ils différents types de téléportation…

Les anciens dieux s’arrêtèrent sur une passerelle qui offrait un accès vers trois voies. Ils hésitèrent un moment sur la direction à prendre.

Une quatrième porte, cachée des regards, même des plus attentifs, s’ouvrit alors dans un grincement lugubre. Un labiré vêtu d’une simple tunique blanche, sans signe d’appartenance à l’une ou à l’autre des maisons drægannes, apparut dansl'encadrement et les invita à entrer.

La porte était basse et petite. Perséphone entra la première. Elle dut baisser la tête sous le linteau pour que sa coiffe ne soit pas arrachée de sa tête.

Les uns après les autres, les Drægans la suivirent. Ils avancèrent dans un couloir plus étroit encore que ceux par lesquels ils étaient déjà passés. Ne pouvait s’y faufiler qu’une seule personne à la fois. Un véritable coupe-gorge au bout duquel, chacun à leur tour, ils aperçurent une forte lumière.

Avant d’y accéder, ils traversèrent un barrage de voiles colorés qui, s'accrochèrent furieusement à leurs vêtements et à leurs membres, comme s'ils étaient doués d'une vie propre. C'était sûrement le cas. Lorsqu’ils les touchaient, les nouveaux venus ressentaient une impression désagréable qui n’était pas sans rappeler celle d’un "gratte-langue", une plante invasive, urticante et collante qui foisonnaient sur une grosse planète particulièrement humide.

Savaient-ils qu’il s’agissait en fait d’un système de sécurité destiné à vérifier qu’ils ne portaient aucune arme, quelle qu’elle soit et, le cas échéant, à la leur retirer ou à la neutraliser ?

Et elle, comment pouvait-elle le savoir ?

La surprise d’Enki, lorsqu’il découvrit que sa précieuse dague avait disparu, n’échappa à aucun d’entre eux.

Tous vérifièrent aussitôt de manière plus ou moins discrète s’ils possédaient encore quelques moyens de défense. Aux regards méfiants qu’ils se jetèrent ensuite les uns aux autres, il était évident qu’ils en avaient totalement été dépouillés.

Ce qu’ils découvrirent ensuite n’avaient rien à voir avec une salle des machines ou les cales d’un vaisseau spatial.Ils se trouvaient dans une vaste salle de pierre lisse dont ils ne parvenaient pas à apercevoir les limites, plongée dans l'obscurité, autour d'eux ou au-dessus d'eux. Pourtant, ils étaient tous entrés dans un espace éclairé.

Nouvellement élus au Conseil, aucun de ces Drægans présents n’était encore venu en ces lieux. Même la cénobitique Lara avait les yeux arrondis par la stupéfaction, tandis que le sombre Ishkur gardait la bouche ouverte en tournant sur lui-même sans savoir où poser son regard.

D’autres groupes de Drægans sortirent des profondeurs obscures .

Chaque "divinité" affichait une expression de surprise ou d'extase. Sauf une, une jeune fille en robe et bottines noires que sa labirée dirigeait avec précaution, car elle était apparemment aveugle.Son visage était d'une neutralité glaçante.

Sa cécité était encore une incongruité chez un Drægan. De même que sa jeunesse apparente. Plus d’un parmi eux aurait donné cher pour posséder son hôte, ou son secret si la Dræganne en avait un, pour posséder cette jeunesse qui perdurait depuis un bon millénaire. Une chose qui ne s’était encore jamais vue. Priape était évidemment parmi les premiers à l’envier.

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