Chapitre 27.1

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Sans trop savoir comment, elle se retrouva soudain baignée de lumière. Une lumière d’un jaune si vif qu’il lui écorchait les yeux. Il lui fallut un moment pour s’habituer.

Esmelia bascula en arrière et se retrouva assise, estourbie au milieu d’un champ de colza en fleurs… Elle regarda autour d’elle. Du jaune à perte de vue sous un ciel d’un bleu azur sans le moindre nuage, et rien d’autre. Pas même un chant d’oiseau, pas même un souffle de vent. Juste le soleil qui réchauffait sa peau qu’elle sentait glacée sous le contact de ses doigts. Pourtant, elle n’avait pas froid.

Curieusement, elle ne sentait pas cette odeur forte et enivrante qui accompagnait la floraison de la plante. Contrairement à beaucoup de personne sur Terre, elle aimait cette flagrance. Cela avait sans doute à voir avec quelques-uns de ses meilleurs souvenirs de son enfance passée avec son père… Le temps de l’insouciance. Elle se raccrocha à l'idée de cette odeur pour reprendre pleinement conscience, et se releva.

En baissant les yeux, elle vit qu’elle portait une petite robe verte à fines bretelles qui laissaient ses bras et les trois quarts de ses jambes nues. Elle ne souvenait pas avoir porté de robe aussi courte. Toutefois, il n'y avait aucune comparaison avec les tenues que Baal et ses labirées avaient tenté de lui faire porter quelques semaines plus tôt.

Ses longs cheveux roux étaient nattés sur sa nuque. Elle sentait la lourde tresse lui caresser le dos.

Elle était seule au milieu de nulle part… Non… Elle se trompait… Un mouvement dans l’air… Un souffle sur sa nuque… Une présence.

Elle se retourna vivement et faillit retomber à la renverse en découvrant une hôtesse de l’air à quelques centimètres d’elle. Esmelia recula, prudemment, d’un pas.

La femme, parfaitement humaine, portait un uniforme d’hôtesse couleur prune, une jupe, une veste sur un chemisier blanc, un foulard aussi jaune que les fleurs de colzas, noué autour du cou…

La jeune femme se demanda pour quelle compagnie travaillait cette hôtesse…

Avant de réaliser, qu'en fait, rien de tout cela n’avait de sens. Elle se trouvait dans un vaisseau spatial, pas sur la Terre ou sur une autre planète jumelle de la Terre. Il ne pouvait pas y avoir de champ de colza en fleurs, encore moins d’hôtesse de l’air. Elle s’avisa alors d’une chose qu’elle aurait dû remarquer immédiatement : la femme lui ressemblait trait pour trait.

Elles avaient cette même chevelure rousse, épaisse, et nattée. Elle avait la même taille qu’elle, la même peau très claire avec les mêmes taches de rousseurs, les mêmes yeux marrons presque, noirs et en amandes. Si elle avait été brune, elles auraient l’une et l’autre… Elle corrigea mentalement : elle aurait facilement pu passer pour une Asiatique.

Esmelia se rendit compte qu’elle se sentait plus légère qu’elle ne l’avait jamais été. Quelque chose, dans son esprit se fit jour : ce poids en elle, cette rage, cette bête qui menaçait à tout moment de se libérer de sa cage thoracique n’était plus en elle...

Elle était devant elle.

Son double lui sourit. SON sourire lorsqu’elle se voulait bienveillante et rassurante.

— Je m’appelle Mead’, dit-elle simplement d’une voix douce et apaisante.

Même sa voix devait être la même. Pourtant, celle qui disait s'appeler Mead' n’avait pas ouvert la bouche. Pas un des traits de son visage n'avait remué le temps de prononcer ces mots.

Même si son nom lui semblait plus que familier, Esmelia s’abstint de lui répondre, car elle n’oubliait la bête qui n’avait cessé de gronder en elle durant ces dernières mois, encore moins les souvenirs manquants de plus en plus nombreux depuis qu'elle avait franchi la première Bouche à l'AMSEVE.

Elle observa Mead' encore et encore, à la recherche de la moindre différence entre la créature et elle, à la recherche de quelque chose qui trahirait le monstre, ou de quelque chose qui la rassurerait, elle. Quelque chose qui pourrait lui permettre de comprendre ce qu'elle étaient l'une et l'autre et l'une pour l'autre.

— Tu dois me laisser prendre le relais maintenant.

— Je pense que tu l’as assez eu ces derniers temps, répondit-elle d’une voix aussi assurée que possible.

Ce qui était loin d’être le cas.

— Tu as toujours su que j’étais là, n’est-ce pas ? Tu as toujours su que j'attendais le moment de revenir pour reprendre ma place, ta place... Notre place.Une et une seule.

— Et pour cela, il me faudra mourir ? Comme les autres, avant moi ?

— Pour mourir, il faudrait vivre.

— Je suis vivante. J’existe. Je pense. J’aime…

L’image d’un Will souriant, la couvant du regard alors qu’il pensait qu’elle ne le voyait pas, s’imposa dans son esprit. Il l’aimait, et elle l’aimait aussi en retour, même s’ils ne se l’étaient pas encore avoué l’un à l’autre.

— Tu n’es ni vivante, ni morte.

— Je suis quoi alors ?

— Mon vaisseau. Mon point d’encrage en ce …

Elle s’arrêta net.

Son visage n’offrait aucune expression permettant de la lire. Esmelia n’arrivait pas à savoir ce qu’elle ressentait vraiment à son égard. Elle aurait pourtant voulu la haïr, mais elle n’y parvenait pas.

— Depuis quand…

Mead' s'arrêta net.

Depuis quand : quoi ? Qui ? Ou bien, Comment ?

Esmelia ne répéta pas la question de Mead’. Elle en connaissait la suite. Comme des jumelles dont l’une finirait les phrases de l’autre.

Depuis quand se sentait-elle pleinement consciente ? Pleinement elle-même ?

Elle ne se souvenait pas de chaque instant de sa vie, mais de toutes les étapes importantes qui lui avaient permises de se construire jusqu’à ce jour.

Elle avait des souvenirs épars, désordonnés et flous comme devaient l’être tous les souvenirs, et d’autres, précis, de certains événements et de certaines personnes… Mais s’était-elle vraiment sentie vivre avant de rencontrer Will ?

Qu’est-ce qui différenciait l’avant de leur rencontre et l’après ? Pourquoi n’en prenait-elle vraiment conscience que maintenant ?

Ni vivante, ni morte ? Alors quoi ? D’aussi loin qu’elle se souvenait, elle avait été préparée à une mission, mais laquelle ?

— Vous aviez TOUTES la même mission : trouver Baal, ou Adad Melqart, le nom que ses proches lui donnent.

— Je ne savais même pas qui il était avant… avant que Will me dise qui il était… Alors comment aurais-je su ou pu le trouver ?

— Je l’ai déjà rencontré, à plusieurs reprises. La dernière fois, c’était il y a plus d’un siècle terrien. J’ai gravé son souvenir dans la mémoire de tes ancêtres, et dans la tienne.

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