Chapitre 27.3

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Esmelia hocha la tête.

Ok.

La fin du monde, c’était l’obsession de Mead’. Pas la sienne. Pour l’instant, elle avait des questions plus terre-à-terre.

— Tu les as aimés ? interrogea Esmelia.

Elle faisait référence à son père et ses ascendants, et aux filles que Mead’ avait créées, d’une certaine façon, avec eux. Simple curiosité qui lui permettrait peut-être de mieux la cerner, mais elle corrigea aussitôt :

— Est-ce que tu nous as aimés ?

— Je vous ai tous aimés. Mais s’il avait fallu vous détruire pour accomplir ma mission, je l’aurais fait sans hésiter.

Elle riposta pour la forme :

En d’autres circonstances, Esmelia aurait senti son sang bouillir. Là, rien. Elle ne ressentait rien. Elle se contentait d'analyser froidement.

— Ça, ce n’est pas de l’amour. C’est de l’indifférence. Tu prétends que tu agis pour le bien de l’humanité alors que tu es incapable d’aimer le moindre être humain.

— Pas seulement l’Humanité, la reprit Mead’ d’une voix neutre. J’aime tout ce qui vit dans tous les univers existants, et je m’efforce de sauver tout ce qui peut l’être, car viendra le jour où je ne pourrai plus le faire moi-même. C’est dans l’ordre des choses. Il en a toujours été ainsi. Cependant… Je comprends ta frustration…

Elle ne se sentait pas plus frustrée qu'autre chose.

— J’en doute, lâcha-t-elle sèchement.

Mead’ eut une esquisse de sourire avant de poursuivre :

— Will a aussi un rôle à jouer… Il est nécessaire qu’il soit aux côtés de Baal. Seuls, ils ne pourront survivre ni l’un ni l’autre… Je te conseille d’utiliser le peu de temps qu’il te reste à le préparer à ce qui l’attend. Nous le lui devons bien.

— Et après ? Qu’adviendra-t-il de... nous ?

Une nouvelle fois, Mead’ changea furtivement d’expression.

Esmelia crut comprendre. Elle ignorait de quoi serait fait cet après.

Cette dernière la détrompa immédiatement.

— En d’autres temps, je serais seulement partie… et ton enveloppe se serait consumée. Mais il semble que nous soyons plus liées que je ne l’imaginais… J’ignore ce qui arrivera vraiment… Mais les Terrans sont si proches… et je ressens de plus en plus l’appel de la Horde, et tu la ressens, toi aussi.

Mead’ tendit ses bras parcourus de fines lignes irisées frémissantes devant elle comme si elle les voyait pour la première fois… ou la dernière. Esmelia ne les avait pas remarquées non plus.

Son double poursuivit l’examen jusqu’à ses mains, puis ses doigts. Chacun de ses mouvements était empreint de grâce.

Esmelia était fascinée par cet être qui lui ressemblait tant tout en lui étant étranger.

— Tu n’es pas la seule à être condamnée. Telle que tu me voies… c’est la dernière fois… avant que je devienne autre chose.

La première et la dernière fois, eut envie de corriger Esmelia.

— Pourquoi ? demanda-t-elle finalement.

— Je te l’ai dit : je sens l’appel de la Horde, de la Nuée.

Esmelia blêmit. Elle avait beau se dire que ce n'était qu'un mauvais rêve. Elle avait l'impression de se faire rabrouer comme une enfant après une bêtise.

— Les miens ont rejoint les Terrans malgré eux, poursuivit Mead’. Ils sont la Nuée qui les précède et fait place nette pour eux… pour leurs maîtres. Je résisterai autant que possible, mais je finirai par les rejoindre…

— À deux, nous pourrions peut-être…

Elle ne termina pas sa phrase. C’était inutile.

Mead’ posa une main douce et caressante sur son visage.

Esmelia ferma les yeux pour mieux en éprouver ce contact apaisant.

Qui étaient les Terrannihilisateurs ? Qu’était vraiment la Nuée avant ? Avait-elle ressenti leur appel elle aussi ?

Elle eut une sensation de vertige, brutale.

Elle rouvrit les yeux et se trouva à nouveau dans le cockpit de la frégate. Elle y était revenue aussi soudainement qu’elle en était partie.

Elle ressentit une forte douleur au niveau des épaules, sûrement à cause du harnais de sécurité. Tout semblait normal autour d’elle. Sauf la présence du visage de Baal face au sien. Jamais il n’avait été aussi près d’elle. Seule, leurs visières les maintenaient à distance.

L’espace d’un instant, elle le vit franchement inquiet, mais il avait aussitôt repris cette expression narquoise qu’elle lui connaissait le plus souvent.

— Enfin revenue du pays des songes, fit-il sur un ton qui se voulait sarcastique, où pointait néanmoins une légère anxiété. On peut dire que vous avez le sens du timing. Si vous aviez fait votre petite crise cinq secondes plus tôt, nous serions sûrement morts tous les deux.

— Je vais mourir, articula-t-elle encore abasourdie.

— Pas dans l’immédiat. Vos signes vitaux sont corrects et stables. Même si les moniteurs de mon vaisseau vous ont donnée pour morte durant la traversée de la bouche. Comme vous et moi, ils n’aiment pas beaucoup les traversées.

— Je suis restée inconsciente pendant combien de temps ?

Elle ne voulait surtout pas dire morte.

Ni vivante ni morte.

— Quelques secondes. Le temps de la traversée, lui répondit Baal en se détournant d’elle pour reprendre les commandes de son vaisseau. L’un des tirs a probablement touché le système de surveillance organique de ma frégate. Je le ferai vérifier à notre retour.

Elle entendait à peine ce que disait l’ancien dieu.

La traversée n’avait duré que quelques secondes, et pourtant elle avait l’impression d’avoir passé au moins une bonne heure avec Mead’.

Elle sentait son cœur battre anormalement vite. Ce n’était pas le moment de faire une crise cardiaque. Mead’ lui avait promis qu’elle aurait du temps avec Will… Et puis, était-ce vraiment son cœur ou celui de Mead’, ou encore celui d’une morte ambulante ? Battait-il vraiment ou n’était-ce qu’une mécanique apparente destinée à tromper les moniteurs et à faire croire qu’elle était humaine ?

— Pourquoi avez-vous dit que si j’avais fait ma crise cinq secondes plus tôt, nous serions morts ? lui demanda-t-elle.

— Parce que les cinq premières secondes d’entrée d’un vaisseau dans une bouche sont cruciales. Cinq secondes d’inattention et une mauvaise manœuvre, au pire nous pourrions errer éternellement dans le tunnel, au mieux nous serions désintégrés.

— Quitte à choisir, je préfèrerais le contraire.

— Vous n'avez aucune idée de ce que peut être l'éternité ?

Il semblait sincèrement étonné.

— J'aurais pourtant juré du contraire, ajouta-t-il après un court moment de silence.

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