Chapitre 32.4

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Le navigateur assistant expliqua à Esmelia que la petite armada dirigée par cette créature avait effectivement assez de puissance de feu pour les détruire, comme elle le suggérait. Le premier coup de semonce avait détruit l’un des propulseurs à l'arrière du vaisseau. Il avait été immédiatement suivi d’une impulsion thermique lourde qui avait mis hors d’état d’usage les canons à plasma. Tout cela à peine une seconde avant que le bouclier de protection du vaisseau se soit totalement déployé. En temps normal, il aurait été déployé au minimum pour éviter les impacts, mais le départ de Baal et de Will les avait obligés à stationner et à le baisser et en attendant leur retour, personne n’avait songé à le remettre en fonction alors que la zone spatiale était plutôt calme. D’autant que les navigateurs comme tous les autres officiers à bord craignaient un retour en urgence de leur protecteur. Ils ne tenaient pas à ce que son vaisseau s’écrase sur le bouclier.

Esmelia non plus.

Un pont avait été détruit en même temps que le propulseur. Les membres de l’équipage qui s’y trouvaient y étaient bloqués, blessés ou disparus.

— La plupart des vaisseaux en état de voler et leurs pilotes s’y trouvaient encore. Ils venaient d’effectuer un vol d’entraînement.

Voilà comment Pʘnyl les avait trouvés… Elle avait dû tomber par hasard sur l’escadron, ou bien, il avait peut-être simplement fallu d’un bref écho sur le radar de l’un de ses vaisseaux, et cela l’avait conduite jusqu’ici...

Si leur situation n’était pas encore désespérée selon le point de vue d’Esmelia qui espérait néanmoins un miracle de dernière minute, elle était pour le moins catastrophique.

— Pouvons-nous lancer une contre-attaque ?

— Pas sans une escouade de soutien… Il doit rester six ou sept vaisseaux qui n’ont pas encore volé depuis leur dernière révision. Ils sont stationnés sur le pont ventral, à tribord. Ce sera insuffisant. Et si nous baissons notre bouclier maintenant pour faire feu avec les canons à impulsions, nous serons immédiatement neutralisés et probablement détruits. Elle a été claire sur ce point.

Esmelia ne répondit rien.

Même avec le peu de chasseurs à disposition, toute riposte demeurait impossible. Avec un propulseur en moins, le vaisseau ne serait pas au maximum de ses capacités pour se retirer et prendre la fuite. Si, toutefois, il daignait bouger. Le tonnage de cet appareil devait s’évaluer en millions. Le propulseur détruit était l’un des plus puissants, et il n’équipait pas le vaisseau pour rien. Il ne restait plus que les boucliers pour les protéger, mais ceux-ci ne tiendraient guère longtemps sous un feu nourri.

Elle ne voyait donc qu’une seule solution : tenter un coup de poker afin de gagner du temps et sauver ce qui pouvait l’être si c’était possible.

Elle s’approcha du navigateur en charge de la négociation.

— Puis-je ? lui demanda-t-elle respectueusement.

L’homme la regarda un court instant en se demandant sûrement ce qu’en penserait Baal. Mais ce dernier était absent. Il ne le montrait pas, mais Esmelia le sentit perdu, dans l’indécision la plus totale à propos d’une situation qui sortait de son domaine de compétence.

— Je la connais bien, lui assura-t-elle en songeant qu’elle lui mentait éhontément, et sans en ressentir la moindre culpabilité. Je sais comment elle fonctionne. Nous avons eu le même employeur, alors… Techniquement… C’est une collègue.

Le navigateur la regarda avec un mélange de scepticisme et d’espoir avant de lui laissa sa place.

Silencieusement, elle pria Mead’ d’intervenir. Si elle voulait se montrer de nouveau utile, c’était le moment. Mais il ne se passa rien.

Lorsqu’il s’agissait de se battre, Mead' rappliquait à toute vitesse, sans prévenir. Pour la négociation, Esmelia avait remarqué qu’elle était plus souvent aux abonnés absents. Jamais elle n’avait eu à se confronter à Baal ou même, bien longtemps avant lui, à Kolya ou à son père. La Terrienne refoula la nostalgie qui commençait à l’envahir. Ce n’était absolument pas le moment.

Elle prit la place du navigateur en chef, qui resta néanmoins à côté d’elle, et respira profondément.

Elle était Mead’. Mead’ était elle, songea Esmelia. Elle se le répéta plusieurs fois comme un mantra.

Pʘnyl apparut à l’écran. Elle avait coupé les communications pour leur laisser le temps de réfléchir à ses propositions. Le délai était maintenant passé.

La créature fronça les narines en découvrant sa nouvelle interlocutrice.

En matière de négociation, Esmelia était certaine de ne pas être la mieux placée, mais au moins, elle devait essayer.

Il lui fallut d’abord comprendre comment fonctionnait l’Intercom. Son voisin appuya sur un bouton jaune sur la console face à elle, et d’un signe de tête lui indiqua qu’elle pouvait parler.

— Ici, le commandant de … L’Orage

Elle n’avait jamais demandé quel était le nom de ce vaisseau, ni même s’il en avait un. Elle avait pris le premier qui lui était venu à l’esprit… et qui n’était pas sans rapport avec l’ancien dieu.

— Puis-je savoir pourquoi vous avez attaqué mon vaisseau ?

— Votre vaisseau ? s’étonna la créature.

— Mon vaisseau, confirma Esmelia avec tout l’aplomb dont elle était capable.

La créature au visage caprin plissa à nouveau le nez, et les yeux. Sa petite bouche se tortilla un moment comme si elle mâchait une poignée d’herbe.

Esmelia s’en voulut de faire de l’anthropomorphisme inversé.

— Sachez que, sur la Terre, vous tomberiez sous le coup d’un paquet de lois.

— Je connais bien la Terre.

— Je sais. J’aurais aussi pu éviter de vous rappeler qu’en plus de cela vous seriez redevable de tellement de dommages et intérêts que la somme obtenue lors de la vente des reliques que vous avez volées à l’AMSEVE ne suffirait pas à vous acquitter de votre dette, mais j’en avais vraiment très envie. Au passage, Jor Pʘnyl, vous avez les salutations du Général Doherty. Pas les plus cordiales, cela va sans dire.

Elle avait l’impression de fanfaronner plus que de raison, mais c’était aussi une manière de montrer à cette voleuse d’artefacts qu’elle ne la craignait pas. Cet excès de confiance semblait avoir bien fonctionné sur l’ancienne agente de l’AMSEVE qui s’était littéralement décomposée.

Pʘnyl coupa brutalement toutes les communications. Elle disparut de l’écran qui redevint noir.

De son côté, Esmelia demanda à un navigateur en chef dont le teint avait viré au cireux de ne couper que le son. À la fois pour voir l’assaillante dès qu’elle reprendrait contact, et pour éviter que celle-ci entende ce qu’elle dirait aux navigateurs qui n'avaient sans doute jamais assisté à un tel début de négociation.

Le second navigateur s’approcha d’eux. Le regard qu’il lança à son supérieur était tout autant interrogateur que craintif.

Celui-ci eut un sourire crispé, et lui répondit d’un signe de tête.

Autorisé à parler, le jeune sumérien se lança :

— Pourquoi a-t-elle coupé la communication. Elle est fâchée ?

Son supérieur lui rendit un regard qui disait clairement : "Tu m'étonnes !"

— Elle est contrariée, lui confirma Esmelia. Son plan ne se déroule pas exactement comme elle le souhaiterait.

— Elle risque d’être encore plus en colère, fit remarquer le navigateur en chef.

— Vous vous attendiez à ce qu'elle nous offre des fleurs ? Vous savez, comme moi, qu'en aucune manière nous n'accèderons à ses demandes. Au moins, cela nous aura fait gagner un peu de temps.

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