Chapitre 32.1

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Le vaisseau avait mis près d’un mois à retrouver une quiétude relativement normale. Toutefois, les voyageurs s’attendaient à une nouvelle attaque et se demandaient si elle viendrait d’Amaterasu, d’Anat ou d'un autre ennemi encore inconnu.

Grama avait demandé la plus grande discrétion à ce sujet, mais cela n'avait pas empêché les bruits de courir au sein de l'équipage. Esmelia et Will n'en avaient que des échos, mais cela suffisait à leur faire comprendre que les craintes étaient réelles au cas où ils en auraient douté, ou les avaient oubliés un instant.

Ne pouvant être remis en état, le pont central avait été condamné. Dans l’attaque, ils avaient perdu six des neuf vaisseaux de transport des personnels, parmi lesquels le yacht*.

Baal avait fait savoir par la voix de son Second qu’ils ne feraient aucune escale terrestre avant un moment. Une décision qui ne fut pas difficilement acceptée, car tous savaient qu’à terre, ils deviendraient des cibles faciles, mais cette situation ne pourrait pas durer éternellement. Tôt ou tard, ils auraient besoin de se réapprovisionner en air.

Esmelia n’avait pas revu Baal depuis l’attaque. Apparemment, il n’avait plus besoin de ses services. Se méfiait-il d’elle ? Savait-il ce que Mead’ avait fait ? Comment elle avait tué, puis s’était débarrassée de trois des gardes d’Anat ? Elle-même n’en avait plus que très vagues souvenirs, comme si Mead', de son arrière-plan psychique, les avait estompés. Pourquoi avait-elle fait cela ? Esmelia avait besoin de se souvenir au contraire. En tous les cas, Grama avait dû lui rapporter les faits.

Baal ne semblait plus être sorti de ses appartements depuis l’attaque. Peut-être l'avait-il fait en toute discrétion. Elle s’était même demandé s’il était encore sur le vaisseau. Un temps, elle avait cru qu’il avait été enlevé par Anat. Elle en avait fait part à Will qui l’avait assurée que l’ancien dieu était bien présent parmi eux.

Will avait ajouté que l'ancien dieu ne comptait pas laisser impunie ce qu’il qualifiait d’agression majeure. Pour l’heure, les seules personnes dont il acceptait les visites étaient Grama et lui.

Si elle avait trouvé la limitation des interactions sociales du Phénicien à deux personnes, elle ne s’en était pas formalisée. Elle supposait que cela avait un rapport avec les recherches de Will. Recherches auxquelles, elle avait finalement peu pris part.

Par ailleurs, depuis qu’elle se trouvait à bord, il y avait eu des périodes assez longues où elle ne l’avait pratiquement pas vu.

Une autre raison pouvait expliquer que Baal n’ait plus de temps à consacrer à ses séances de lecture et que les traductions qu’elle effectuait pour lui ne soient plus à l’ordre du jour : l’attaque avait montré les failles de la sécurité à bord. Il était clair qu’il fallait y remédier au plus vite. Cela demandait d'importantes améliorations étant donné l’état peu reluisant du vaisseau.

Les tours de gardes avaient été triplés. Désormais, la jeune femme ne pouvait plus courir sans rencontrer un groupe de trois ou quatre labirés au moins toutes les cinq minutes dans les coursives. Des fouilles étaient régulièrement pratiquées dans les quartiers des passagers, sous le regard attentif de Grama, mais aussi dans la soute, les coursives, et tous les endroits susceptibles de permettre à un ou plusieurs passagers clandestins de se cacher, ou encore d’être fragilisé par l’explosion d’une bombe ou par une décharge électromagnétique ou à plasma.

La salle de détente avait été fermée et un couvre-feu avait été instauré de vingt heures à six heures pour tous les personnels non essentiels au fonctionnement de la vieille forteresse volante. Tous les labirés étaient nerveux, au point qu’aucun d’entre eux, pas plus qu'elle, ne se serait risqué seul dans les coursives en pleine nuit.

Will avait obtenu une autorisation spéciale de Baal en personne. Par deux fois, Grama était venu le chercher quelques heures après le couvre-feu. À son retour, elle avait demandé à Will pourquoi Baal l’avait convoqué. Will s’était d'abord montré évasif, puis il avait fini par lui expliquer qu’il ne pouvait rien dire. C'était un ordre de leur hôte qui estimait que le secret serait désormais le meilleur gage de leur sécurité. Elle aurait pu fouiller l’esprit de son compagnon, mais cette idée la révulsa aussitôt qu’elle l’avait eue.

Elle ne lui posa plus de questions sur ses absences ou ses convocations tardives. Elle se contenta de ruminer les faits.

Les deux premiers jours qui avaient suivi l’attaque, elle n’avait pas vu Will. Lorsqu’enfin, il était venu la retrouver dans sa cabine, c’était pour lui dire qu’il avait un accès illimité aux précieux ouvrages de Baal, ainsi qu’aux carnets qu’il avait trouvés sur Feloniacoupia, mais durant un temps qui devait être, quant à lui, limité, avait-elle supposé, vu le peu de temps qu’il avait pu passer avec elle par la suite.

Sans travail, sans réelle occupation, elle employa ses journées comme elle le pouvait.

La première semaine, elle l’avait passée à remettre de l’ordre parmi les livres que Will avait accumulés dans ce qui devait tenir lieu de bibliothèque du vaisseau. Elle lui devait bien cela.

Il avait réussi à lui dégotter des pommades, dans le fourbi de la shamane, pour soigner les hématomes qui étaient apparus après l’attaque. Contrairement à ce qu’elle avait pensé, elle n’avait pas de côtes cassées. Elle avait néanmoins mis quelques jours avant de bouger normalement, et un plus avant de retourner à la salle de sport.

Esmelia s’était alors prise de passion pour un nouvel instrument de musique qu’elle avait découvert, dans son étui, dans la bibliothèque de Will. Si le meuble qui la cachait n'avait pas été renversé dans la bagarre contre la garde d'Anat, jamais elle n'aurait mis la main dessus.

Il avait dû être déposé là depuis des années par un membre d’équipage, ou caché, puis oublié derrière un meuble. Elle se demandait bien pourquoi. Mais lorsqu’elle l’essaya, elle comprit. L’instrument ressemblait à une flûte traversière, fait d’un bois et d’un métal inconnu. Les flûtes qu’elle connaissait ne couvraient que trois octaves. Celle-ci en couvrait deux de plus, presque trois. Les graves auraient fait sursauter un cochon des haies, pourtant réputé pour être sourd, et exploser les tympans de n’importe quel être humain au bout de dix minutes d’exposition continue au son.

Après trois semaines, presque quatre, d’apprentissage, ou plutôt de tentative d’apprentissage, elle n’arrivait toujours pas à jouer quoi que ce soit de correct. Ce fut alors que l’ancien dieu fit son entrée sans s’annoncer dans ses quartiers.

Elle prit sur elle pour cacher sa surprise de le voir enfin. Elle remarqua immédiatement son air revêche à son port de tête hautain et à la tension qu’elle pouvait ressentir en lui.

Il se tenait à l’entrée de sa cellule, les mains dans le dos. Une attitude qu’elle avait déjà remarquée chez lui dans les premiers temps de leur rencontre. Pourtant, là, quelque chose n’allait pas.

Elle remarqua qu’il était pâle comme un linge. Ses joues étaient anormalement creusées, et ses yeux plus sombres que d’habitude brillaient d’une fièvre rageuse.

Trop de nuits sans sommeil, songea-t-elle.

Il ne s’était pas rasé depuis plusieurs jours, alors qu'il prenait grand soin de son physique habituellement.

Comme toujours, il ne s’embarrassa d’aucune forme de politesse, sauf celle qui consista à rester sur le seuil de la cellule comme s’il craignait de pénétrer plus en avant sur un territoire qu’il considérait comme ennemi. Ce qui était assez étonnant venant de quelqu’un qui donnait habituellement l’impression d’être le maître absolu partout où il passait.

Il ne lui demanda qu’une seule chose, assortie toutefois de lourdes menaces :

— Pourriez-vous cesser, par pitié, de torturer… cet objet, et par la même occasion, mes nerfs. Si par malheur, je l’entends encore une fois, ce soir, ou dans les prochains jours, toute ijà’kô que vous soyez, je vous le fais avaler comme certains de vos magiciens terriens avalent des épées. Croyez-moi, dans ce tour, il n’y aura pas de magie.

* Note de l'auteur : Les occurrences précédentes concernant "la frégate" seront retirées et remplacées par "le yacht". Le vaisseau en question, n'étant ni un navire de guerre ni un vaisseau de protection, d'autant qu'il n'est pas armé, ne peut donc être une frégate...

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