Chapitre 03.3

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Elle avait treize ans lorsque son père fut victime d’une crise cardiaque dans un aéroport, entre deux de leurs voyages.

Elle n’avait pas été inquiète à l’idée de se retrouver seule. Elle n’y avait même jamais songé.

Elle avait ressenti une vague tristesse, mais rien de comparable à ce que les personnes qu’elle avait pu rencontrer au cours de sa jeune vie semblaient ressentir à la perte d’un proche.

Elle aurait pu se demander pourquoi elle ne ressentait rien. Elle ne se posa même pas la question. Elle s’était seulement dit qu’il aurait préféré mourir ailleurs que dans une chambre d’hôpital. Sûrement en montagne, ou bien dans le désert, ou encore au milieu d’une forêt.

En fait, sa préoccupation première concernait tout ce que son père ne lui avait pas encore dit ou appris. Elle avait cherché dans ses affaires sans rien trouver d’intéressant. Cela avait été rapide. Bien que fortuné, Brent n’était pas dépendant des biens matériels, du moins jusqu’à un certain point. Il lui avait appris à être comme lui. Il disait que moins on était attaché aux choses et aux personnes, plus il était facile de tout quitter du jour au lendemain.

Elle avait ensuite cherché dans ses souvenirs qu’elle eut beau retourner dans sa tête des centaines de fois, mais il n’y eut aucun déclic.

Sa seconde préoccupation était les services sociaux. Son père et elle avaient toujours vécu en dehors du système, et elle ne tenait pas y entrer. Surtout par cette voie. Elle n’avait aucun besoin de famille d’accueil. À quinze ans, elle se sentait capable de s’assumer seule.

Comme à son habitude, Brent avait anticipé la suite des événements.

Il avait pris des dispositions pour que son corps soit incinéré, quel que soit l’endroit où il trépasserait, et pour que sa fille soit rapatriée aux États-Unis.

À peine descendues de l’avion, sa gouvernante et elle avaient été prises en charge par Nikolaï Anassenko, un homme en costume sombre qui dégageait une sorte d’aura féline et dangereuse.

Elle se méfia immédiatement de lui. Il lui avait fallu un peu de temps pour qu’elle lui accorde sa confiance.

Cela avait été plus ou moins réciproque dans la mesure où il s’était attendu à faire face à une préadolescente contrôlée par ses hormones.

Le fait qu’elle ne corresponde pas à son idée le fit se méfier d’elle encore plus. De son fort accent franco-russe, il leur souhaita la bienvenue en Amérique et

leur indiqua qu’elles pouvaient l’appeler Kolya. Il devait avoir le même âge que son père, peut-être un peu plus.

Ses cheveux étaient courts, légèrement ondulés, et grisonnants comme sa barbe de quelques jours. Il avait des yeux gris très vifs, et chacun de ses gestes semblait mesuré. Sa distinction naturelle montrait qu’il était habitué à évoluer dans des milieux aisés.

Cependant, elle s’en rendit compte plus tard, il pouvait aussi faire preuve d’une extrême vulgarité. Il ne se montrait jamais violent physiquement, mais ses paroles pouvaient avoir le même effet qu’une gifle. D’autant qu’il avait une voix très douce, presque sirupeuse.

Elle n’avait jamais rien su sur son passé ou ses rapports avec son père. En avait-il seulement eus, ou bien cela remontait-il à sa mère ou à l’une de ses ancêtres ?

À l’époque, elle était déjà certaine d’une chose : il n’avait pas toujours été celui qu’il disait être. Nikolaï Anassenko n’était même pas son véritable patronyme.

Un jour, au centre commercial, alors qu’ils sortaient d’une boutique de vêtements, elle avait entendu un homme l’appeler par un autre prénom : Igor.

Il avait fait mine de ne pas l’entendre. Il ne s’était pas retourné et avait continué à marcher à ses côtés en discutant.

Elle avait néanmoins ressenti un changement dans son attitude et les traits de son visage s’étaient légèrement durcis.

Kolya cachait beaucoup de choses. Même son apparence pouvait être trompeuses… Quant à son accent, il le perdait dès qu’il n’était plus que tous les deux… lors des entraînements. Il ne lui parlait alors qu’en français.

Après les avoir accueillies à leur descente d’avion, il les avait conduites dans une luxueuse propriété, un ancien ranch. Tandis que sa gouvernante prenait possession de ses quartiers, il lui avait expliqué que cette maison appartenait à son arrière-arrière-mère, Helena. Elle en avait hérité de son propre père. Cela faisait donc cinq générations que la demeure était dans sa famille, et jamais Brent ne lui en avait parlé.

C’était une grande maison de la taille d’un manoir, bâtie sur deux étages, situées au milieu de nombreuses dépendances. Elle datait vraisemblablement du début du 19e siècle. Le bois y était maître. Il y avait aussi de la brique importée de France dans ses murs, et de la pierre sans doute extraite d’une ancienne carrière située à quelques kilomètres de la propriété.

Les écuries, les enclos et les herbages environnants étaient vides de vie animale. La grange et le silo à grain étaient aussi propres que s’ils étaient balayés tous les jours. Mais loin d’être vides. L’un et l’autre servaient de salles d’entraînement. Quant à l’atelier, il contenait une cache d’armes telles qu’elle ne les aurait jamais imaginées. Kolya lui avait appris l’usage de certaines d’entre elles.Trois personnes s’occupaient de la propriété en permanence. Elles étaient si

discrètes qu’elle les voyait à peine au cours de ses journées bien chargées en occupations.

Maintenant que Brent était mort, le domaine lui revenait.

Finalement pas si détaché que cela des biens matériels, le paternel, mais de là à imaginer qu’il avait acquis une majestueuse propriété près de Jackson Hole, dans l’état du Wyoming.

Au moins, elle savait où était passé une partie de l’argent gagné par son père tout au long de sa carrière de chasseur de trésors. Kolya lui apprit que le reste, non négligeable, dormait dans le coffre, d’une banque suisse. Du moins, ce qui n’avait pas été rapatrié aux États-Unis pour leur usage personnel dans les années à venir.

Ayant suivi les instructions de Brent, inscrites dans une lettre testamentaire, Kolya en avait fait rapatrier une partie aux États-Unis.

Cet argent, ainsi que sa présence aux côtés de la jeune fille devaient permettre d’achever son éducation et de la préparer à son destin.

Bien entendu, sur ce sujet, elle lui avait posé les mêmes questions qu’à son père. Elle avait eu droit aux mêmes réponses.

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