Chapitre 36.1

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La dernière bouche par laquelle ils sortirent était une gigantesque porte faite d’étain, de bronze, de cuivre et d’or. Ses motifs n’étaient pas sans évoquer la Porte de l’enfer de Rodin.

Plus que sortie, Esmelia eut le sentiment d’être désolidarisée d’un passage noir comme l’onyx. De cette dernière traversée, il lui restait la désagréablement impression d’avoir été récurées, brûlée, à l’intérieur de son corps, comme à l’extérieur, avec un abrasif. L’attitude de Will lui indiqua qu’il ressentait plus ou moins la même chose qu’elle. Il semblait épuisé et soulagé d’être sorti.

Une brève auscultation mutuelle leur montra qu’ils n’avaient pas la moindre brûlure ou écorchure. Ni l’un ni l’autre n’aurait eu la force de poursuivre le voyage si cela n’avait pas été le dernier passage.

L e portail se trouvait dans une caisse éventrée. Ce qui laissait supposer qu’ils n’étaient peut-être pas les premiers à s’en extraire. Sans doute Baal l’avait-il utilisé plus d’une fois dans le passé, ou bien par un curieux hasard, il était arrivé avant eux. Il existait une autre possibilité à laquelle Will et elle préféraient éviter d’aborder à voix haute comme si cela pouvait lui donner une réalité.

Instinctivement, sans se concerter autrement que par un regard significatif, ils redoublèrent de prudence. 

Elle sortit l'une des dagues à plasma de son sac à dos en espérant ne pas avoir à s'en servir. Elle remarqua ensuite qu’ils se trouvaient dans une pièce sombre, mais agréablement chauffée.

Will avait sorti les lampes torches et lui en donna une. Ce fut à la lumière de celles-ci, qu’ils constatèrent la présence de vitrines contenant de nombreux objets anciens et, très certainement, précieux.

Pensant se trouver dans un musée, ils avaient d’abord craint de déclencher une alarme silencieuse. Il leur serait effectivement difficile d’expliquer qu’ils y avaient pénétré par la version proche de La Porte de l’Enfer qui se trouvait au centre de la pièce, encerclée de vitrines d'objets précieux qui se trouvaient à bonne distance de l'immense caisse toutefois. Celle-ci, avec tous les objets qu’elles contenaient, semblaient s’en tenir à distance. Celui qui l’avait installé ici avait-il une idée de sa véritable utilité, autre que purement artistique ?

Sa conception était purement humaine, mais Esmelia n’y trouva pas la patte du célèbre concepteur de la véritable Porte de l’Enfer. « Véritable », sauf s’il en existait une donnant sur le véritable enfer. Non… Celle-là avait été créée par une femme, au moins quatre cents ans plus tôt. Par une Rheya plus exactement. Un souvenir de Mead’ probablement. L’avait-elle connue ? Comment se faisait-il que celle-ci, bien qu'humaine, ait pu créer une bouche ?

Esmelia eut un léger étourdissement. Elle était bien trop fatiguée pour réfléchir à ce genre de question, ou estourbie par ce dernier voyage. Elle décida de se concentrer sur le présent.

Ne voyant pas de gardien venir leur demander des comptes, Will et elle décidèrent de visiter les lieux.

La jeune femme ne put s’empêcher de penser que le point de ralliement décidé par Baal ne manquait pas de panache : un lieu rassemblant des objets historiques, dont la plupart semblaient sortir de l’ère préchrétienne. La plupart, mais pas tous. Il y avait là plus de deux mille ans d’histoire, peut-être trois mille, voire quatre. Les faire arriver dans un pareil endroit, cela correspondait bien au sens de l’humour un peu particulier de leur ancien hôte. Aussi curieux que cela puisse paraître, les reliques étaient toutes extrêmement bien conservées. Plus d'un archéologue et historien aurait tué pour les posséder, ne serait-ce que quelques minutes.

De fait, Will et elle ne trouvaient pas particulièrement rassurant de se retrouver dans un musée avec tous les risques que cela pouvait comporter. Surtout à une époque où les trafiquants étaient prêts à prendre tous les risques pour répondre à la demande de leurs très riches clients.

À moins que cette demeure ne soit celle du quasi-immortel. Qui d’autre laisserait une telle maison et ses précieux biens à l’abandon durant des années ?

Ils longèrent les vitrines en évitant soigneusement de les toucher.

Will balayait les murs avec sa lampe torche à la recherche d’une sortie.

L’endroit n’avait rien d’une grotte. L’air y était sec, contrôlé, et il n’y avait pas la moindre once de poussière sur le sol dallé ou sur les vitrines, comme si quelqu’un venait y faire le ménage régulièrement.

— Pas si abandonné que cela, lâcha Will qui avait suivi la même raisonnement qu'elle.

Ils avaient fait le tour des lieux en suivant les murs. Ils n’y trouvèrent pas de fenêtre. Il y avait bien une porte, mais elle était fermée à clé et trop massive pour être défoncée.

Ils trouvèrent un compteur électrique. Will y jeta un coup d'œil. Il constata que seuls le chauffage et la climatisation avaient été programmés. Le reste avait été déconnecté. Il décida de ne remettre que l'éclairage en route malgré le risque d’attirer l’attention sur leur présence. Il n’y avait pas de fenêtre, certes, mais n’importe quel système de surveillance serait alerté par la mise en fonction de l’électricité.

Au moins, cela leur permit d’avoir plus de lumière pour appréhender leur nouvel environnement.

— Oui, il n’y a pas de doute, fit Will en embrassant la pièce du regard. On est bien chez un collectionneur d’œuvres d’art.

Elle soupira de soulagement.

— Ou d’un pilleur d’épaves, ironisa-t-elle. En tous les cas, nous ne sommes pas dans un musée, même si cela y ressemble beaucoup. Donc pas de risque avec les agents de sécurité. Sauf si nous sommes tombés chez un trafiquant d’œuvres d’art. Et là, dans ce cas, on aura affaire à ses hommes de main.

— Nous savons tous les deux qui en est le propriétaire, la rassura Will.

— Ça, pour moi, c’est un mystère.

Sans s’en rendre compte, ils avaient fait le tour de la pièce et étaient quasiment revenus à leur point de départ, ou d’arrivée. C’était selon.

Esmelia s’était de nouveau rapprochée du portail inerte. Il dominait le centre de la pièce, majestueux et mystérieux. La plus belle œuvre d'art qu'elle eut jamais vue sur la Terre. Et ailleurs, peut-être. Elle exerçait sur elle une curieuse attirance.

Cette porte massive, faite d’un alliage d’étain, de bronze, de cuivre et d'or avec ses dragons, et ses chimères de toutes sortes, finement ciselés, et ses créatures dont certaines, vaguement humanoïdes, semblaient souffrir atrocement, était digne d’un écrit de Lovecraft. Elle se demanda si la Rheya avait eu une vision de l’avenir.

Puis, elle ausculta la partie abîmée de la caisse qui protégeait la porte. C’était l’ouverture de la bouche qui avait dû l’arracher et le signe que quelqu’un l’avait utilisée après qu’elle ait été transportée ici. À moins qu’un curieux ait voulu voir ce que contenait le coffre, mais il aurait sûrement fait beaucoup moins de dégâts.

En tous les cas, cela ne s’était pas produit récemment car, là où il avait été fendu, le bois avait vieilli au contact de l’air. Mais il lui était impossible de dire si cela datait de cinq, dix ou cent ans. Elle n’était pas spécialiste de ces choses. En général, c’était des laboratoires spécialisés qui se chargeaient de ce genre d’expertise. Son père et elle y avaient eu recours de nombreuses fois.

Cela pouvait-il être dû à l'arrivée de l’ancien dieu ?

Selon Will, il ne devait pourtant arriver qu’après eux.

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