Chapitre 38.1

5 minutes de lecture

Will sentait que la tension montait entre Grama et Esmelia. L’un et l’autre ne s’étaient jamais très bien entendus, sauf après l’attaque d’Anat qui datait de quelques semaines pour Esmelia, et d’un peu plus de huit ans pour Grama. Pourtant, la jeune femme ne l’avait jamais poussé à ce point dans ses retranchements. Il lui en voulut un peu, même s’il devinait pourquoi elle agissait ainsi. Lui aussi avait le sentiment que Grama passait certaines informations sous silence.

Il décida d’aborder un autre sujet.

— J’imagine que les Terriens n’ont pas appris que les extraterrestres existaient soudainement, un beau matin, alors qu’ils prenaient leur petit-déjeuner.

— Si... Enfin, plus ou moins. La plupart n’y ont pas cru. Pas comme vous le pensez.

— Il y a plusieurs manières d’y croire ? s’étonna Will.

— Pour ce que j’en sais, le mot extraterrestre n’est plus approprié, expliqua Grama qui ne semblait pas avoir entendu sa remarque. Il existe plusieurs autres noms : Xénomorphes, Xénohumanoïdes, Xénosapiens, Non-terrestres, Non-Terriens, Intells, et les noms que se donnent certaines espèces… On leur a aussi attribué des noms de créatures légendaires supposés les identifier clairement : Titans, Banshees, Goules, Orcs, Elfes ou encore Sylphes… Extrasolaires et Intells restent cependant les appellations les plus utilisées. Même si beaucoup de Terriens refusent de croire que les extraterrestres aient une conscience et une intelligence, et que celle-ci est parfois supérieure à la leur.

Il soupira.

— Cette Terre n’est pas celle que j’avais quittée. C’est comme cela que j’ai découvert l’altérité… Les changements temporels… Il n’y avait pas d’extrasolaires, ni de xénomorphes, ou de non-terrestres, dans mon monde… Enfin, je le croyais. Si c’était le cas, personne ne le savait officiellement… Je pense que j’ai été le premier humain à en voir, plusieurs, de près.

Il se tut un moment pour leur laisser le temps d’assimiler ce qu’il venait de leur raconter.

Esmelia connaissait l'histoire de la rencontre de Grama avec Baal. Et même si cela n'avait pas été le cas, sa propre histoire le prouvait. Ses réalités se confondaient désormais. Toutes ses réalités, pas seulement les deux dernières. D'autres changement s'étaient inscrits dans le temps des différentes existences de Mead'. Elle en avait conscience, sans pour autant les définir autrement que par des impressions : un paysage sous une lumière plus vive, une inspiration d'air sous un soleil plus chaud, une odeur du passé sans le souvenir exact de ce qu'elle évoque, le vent du désert se glissant dans ses cheveux comme une main caressante...

— Pour en revenir à la révélation, cela s’est passé en plusieurs fois, poursuivit Grama. Il y a d’abord eu des rumeurs, au début du XXIe siècle, différentes de celles qui existaient avant… Des témoignages qui pouvaient être pris au sérieux. Et puis, un matin, très tôt, un jour de l’année 2028, lorsque les Terriens ont ouvert leurs écrans, leurs radios ou leurs journaux, au moment de leur petit déjeuner ou sur le chemin de leur travail, ils ont pu entendre la Présidente américaine Maïenna Carter faire une allocution des plus surprenantes.

— Maïenna Carter ? s’étonna Will.

Will aurait pu citer les noms de tous les présidents des États-Unis, comme ceux des ministres du Canada et de la Grande-Bretagne. Il ignorait tout de la présidente Maïenna Carter.

— L’arrière-arrière-petite fille de Jimmy Carter, précisa Grama. À mon époque, même les gamins français de moins de dix ans connaissaient Mister Cacahuètes. Les Américains l’appréciaient parce gérait leur pays en agriculteur, sous la devise : rien ne se perd, tout se transforme et se multiplie comme les cacahuètes. Cela fonctionnait plutôt bien. Ils l’ont élu au moins trois fois en vingt ou vingt-cinq ans, je crois.

— Je n’aurais jamais vu l’histoire sous cet angle, reconnu Will.

— En tous les cas, sur le continent américain, cela a fait l'effet d'un sacré choc aux habitants d’apprendre cela de la bouche de la Présidente des États-Unis. Non seulement l'Humanité n'était plus seule dans l'univers, mais encore, des milliers d’extraterrestres vivaient parmi eux en toute quiétude.

— Tu m’étonnes. Il y en a sûrement plus d’un qui a dû sauter au plafond.

Même s’il ne comprit pas vraiment l’image, Grama le prit comme une affirmation teintée d’ironie de la part de Will.

Il poursuivit :

— Il n’a pas fallu plus d’une heure pour que le monde entier soit au courant. Au milieu de la journée, la moitié de la population était partagée entre l’incrédulité et la certitude d’une mauvaise blague. Beaucoup ont supposé qu’une folie soudaine avait atteint la Présidente. Elle avait déjà inquiété les citoyens de son pays par des problèmes de santé. Ils avaient été mis sur le compte d’une fatigue physique. Cela dit, après cette annonce, aucun représentant d’État ne lui avait emboîté le pas. Le lendemain, elle était hospitalisée et, trois jours plus tard, remplacée par son Vice-président, Victor Baxter.

Esmelia l’écoutait tout en suivant avec attention ce qui se passait sur l’écran : les guerres civiles, les catastrophes naturelles, les scandales politiques, les émeutes locales avaient laissé place à des images de l’espace. Elle mit un moment à reconnaître les limites du système solaire dans lequel évoluait la Terre. Quelque chose avait changé… Des étoiles manquaient à l’appel. Était-ce le sujet de cette page d’information ? Le son étant coupé, il lui était difficile de le savoir, mais elle aurait parié que oui.

Le regard bleu de Grama se balada d’un client à un autre sans en voir un seul. Plongé dans des souvenirs qu’il n’avait pas vécus personnellement, il ne ressentit pas l’inquiétude d’Esmelia.

Il poursuivit :

— Vingt ans plus tard, c’est le Président d’un petit pays africain qui annonçait qu’une invasion extraterrestre était imminente… Parce qu’il avait fait un rêve… ou un cauchemar.

Grama esquissa un sourire en pensant sûrement que l’humour de Will déteignait sur lui.

— Personne ne l’a pris au sérieux. Lui-même a prétendu, après coup, qu’il s’agissait d’une blague privée à l’encontre des Américains qui avaient mis son pays sous un embargo sans concession. Deux ans plus tard, les relations entre les deux États étaient revenues au beau fixe, et puis il a été assassiné par un extrémiste, un « Croyant du Grand Complot International ».

Il y avait de l’amertume dans sa voix.

Grama n’était plus de cette planète, encore moins aujourd’hui qu’avant, et il n’était pas destiné à y rester. Elle le pressentait. Alors pourquoi tout cela le touchait-il autant ? Se demanda-t-elle tandis qu’il poursuivait ses expériences.

— Il y a dix ans, un politicien français a commencé à faire parler de lui en écrivant des livres où il affirmait que Maïenna Carter, en son temps, avait raison, et qu’elle n’avait pas été victime d’un empoisonnement ayant irrémédiablement altéré ses facultés mentales. Simplement, elle avait parlé trop, et trop tôt, et personne n’y avait été préparée. Et lui aussi confirmait que des êtres venus de systèmes solaires lointains vivaient sur la Terre.

Annotations

Vous aimez lire Ihriae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0