Chapitre 31.2

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Esmelia se demanda ce qu’elle faisait devant le téléporteur.

L’alarme lui vrillait les oreilles. Pourquoi personne ne l’éteignait-elle donc pas ? Elle sentit quelque chose couler dans le creux de sa main droite. Elle la regarda et y vit du sang encore frais que sa manche avait dû absorber. Elle avait beau ne pas se souvenir des détails, le sang, le téléporteur, l’alarme et sa propre absence temporaire parlaient d’eux-mêmes.

Elle songea à Will. Les informations récentes affluèrent soudainement dans son esprit. C'était nouveau. Habituellement, Mead' gardait tout pour elle. Simultanément, Esmelia eut un mauvais pressentiment. Où se trouvait-il en cet instant ? Et pourquoi le vaisseau paraissait-il si désert, alors que l’alarme continuait à hurler ? À cette heure-ci, les labirés auraient dû vaquer à leurs activités matinales. Avaient-ils été neutralisés par d’autres membres de la garde d’Anat, infiltrés à bord ? Et Baal ? Si Anat l’avait tué... Comme Tiater, l’ex-petite amie de Grama que Mead’ venait d’éliminer une bonne fois pour toutes, la déesse avait un fort désir de vengeance. Les deux femmes étaient prêtes à tout, y compris à mourir, pour y parvenir…

La Terrienne mit de l’ordre dans ses idées. D’abord Will. Si Anat avait voulu s’en prendre à elle, il y avait de forte chance pour qu’il soit, lui aussi, sur sa liste de victimes.

Elle se mit à courir comme une dératée, grimpant d’un niveau à chaque fois qu’une échelle ou un escalier se présentait. Elle courait comme si elle voulait rattraper le temps perdu à se laisser submerger par toutes sortes de questions. La bibliothèque, où Will devait être à cette heure, se trouvait dans les étages hauts du vaisseau. Si Baal avait reçu Anat une partie de la nuit, il y avait peu de chance pour qu’il ait déjeuné avec Will, et qu'elle le trouve avec Grama au réfectoire. Quant à ce dernier, autre cible éventuelle, elle ignorait où il pouvait bien se trouver.

Pour rejoindre Will, il lui fallait grimper deux niveaux au-dessus du réfectoire. Un vacarme inhabituel, en plus de la sirène du vaisseau, l’alerta lorsqu’elle passa sur le pont qui le surplombait, quelques poignées de secondes plus tard.

En se penchant par-dessus la rambarde, au milieu des tables et des chaises renversées, elle vit Grama en mauvaise posture, le bras d'une garde d’Anat, qui se trouvait derrière lui, lui enserrant le cou, l'empêchant de respirer normalement tandis qu'elle maintenait fermement ceux de sa victime dans son dos. Une autre garde arrivait sur lui, une lame à plasma en main. Vu le désordre qui régnait dans le réfectoire, la confrontation devait durer depuis au moins une bonne quinzaine de minutes. Peut-être plus. Contrairement aux gardes, le Second n'était sûrement pas habitué aux longs combats. Il y avait une différence certaine entre les entraînements et les situations réelles.

Esmelia eut à peine le temps de penser à ce que ferait Mead’…

Mead’ sauta d’un bond par-dessus la rambarde et atterrit souplement juste derrière Grama et la garde qui le retenait prisonnier.

Celle-ci n’eut pas le temps de réagir. Elle se trouva aussitôt propulsée vers l’arrière, entraînant Grama avec elle.

Il en profita pour se libérer et s’ébroua comme un jeune chiot mouillé pour rétablir son souffle, et la circulation sanguine dans ses bras. Il eut à peine un regard pour sa première assaillante qui était allée s’écraser contre une rangée de chaises et de tables derrière lui.

Mead’ le vit ensuite foncer sur la seconde garde qui hésitait entre la fuite et la contre-attaque, mais il était déjà trop tard. Grama armé lui aussi de sa propre lame arrivait sur elle. Il ne la laisserait clairement pas quitter le réfectoire. Pas vivante en tous les cas.

Mead’ jugea qu’il pourrait s’en sortir sans trop de mal, à condition qu’elle le débarrasse de son autre adversaire. Celle-ci s’était déjà relevée, prête à en découdre avec Mead’ qui se demanda si la force et l'endurance des gardes étaient naturelles, ou si elles carburaient à quelque chose d’autre. La force du choc contre le mobilier du réfectoire aurait dû estourbir la femme plus longtemps.

Mead’ savait qu’elle n’avait pas de temps à perdre. Son instinct concernant Will et un danger éventuel se faisait de plus en plus fort. Et puis, il y avait Baal. Il fallait que Grama le rejoigne aussi vite que possible…

En un éclair, les deux guerrières se jetèrent l’une contre l’autre.

Mead’ visa les yeux en y enfonçant ses pouces de toutes ses forces. Surprise, l’autre hurla de douleur et lui asséna des coups de poings partout où elle le pouvait.

Mead’ sentit la douleur à plus d’une reprise. À ce train-là, Esmelia n’aurait plus la force physique de rejoindre Will. Elle-même sentait l’épuisement la gagner à cause des différentes transitions effectuées successivement au cours de cette dernière demie heure. L’une de ses mains glissa jusqu’au cou de la fille pour l’enserrer. Elle assura sa prise lorsque son adversaire commença à manquer d’air malgré sa combativité, les pieds bien plantés au sol pour n'en presque plus bouger. Elle avait l'impression de capter l'énergie du vaisseau pour la transformer en une force propre à vaincre n'importe quel ennemi. Son autre main descendit au niveau du cœur de la combattante. Elle n’eut plus qu’à penser, à visualiser son prochain geste.

Sa main disparut, puis la moitié de son avant-bras pour pénétrer dans le buste de son adversaire, sans le moindre effort, comme s'il s'agissait d'une pointe particulièrement effilée. L’autre, surprise, écarquilla les yeux, et ouvrit la bouche sur un cri muet. Mead’ relâcha alors son étreinte sur son cou. Sa prisonnière tomba au sol, sans vie, son sang s’écoulant doucement de sa poitrine. Mead’ posa le cœur qu’elle tenait dans son poing sur la table la plus proche.

Ce cœur sanglant fut la première chose que vit Esmelia en revenait à elle, puis sa main pleine de sang jusqu’à la moitié du bras. Elle eut d’abord une grimace de dégoût. Mead’ ne faisait pas dans la dentelle. Esmelia réprima un haut-le-cœur. Elle se rendit compte que Grama continuait à lutter contre l'autre garde d'Anat. Il avait réussi à lui décocher quelques estafilades, mais elle entendait bien lui rendre la pareille. Elle était plus jeune, plus menue, plus souple et plus rapide que lui. Ses coups n'en risquaient pas moins d'être mortels.

Esmelia eut une inspiration subite. Elle prit le cœur sans hésiter. Ce n’était pas le moment d’être sentimentale. Elle héla la garde et, associant le geste à la parole, elle lui lança le cœur.

Celui-ci traversa la distance qui les séparait jusque dans la main libre de la tueuse. Son visage exprima l’horreur pure lorsqu’elle reconnut la nature de la chose, puis de la rage.

Ou peut-être était-ce tout simplement parce que Grama avait profité de ce très bref moment d’inattention pour lui ficher mortellement la lame à plasma dans le ventre.

La garde mourut dans l’horreur et le déshonneur de ne pas avoir réussi à accomplir sa mission, comme les deux autres, avant elle.

Esmelia chercha rapidement un morceau de chiffon traînant sur l’une des tables autour d’elle, en vain. Elle se résolut à essuyer son bras sur son tee-shirt. Du sang coulait aussi de sa narine gauche. Elle le chassa d’un revers de main.

Elle vit que Grama l’observait. Son regard était différent de toutes les autres fois. Elle crut même y percevoir de l’admiration.

Il reprit très vite une expression neutre, même si l'épuisement dû au combat restait visible.

— Allez voir si votre ami est toujours en vie, lui ordonna-t-il. Je m’occupe de Baal.

Elle sortit de la fosse en grimpant aussi vite qu’elle le pouvait. Elle avait mal partout. Ses côtes étaient douloureuses. Il faudrait sûrement qu’elle rende visite à la shamane une fois cette histoire terminée. Les coursives et les deux niveaux qu’elle eut à parcourir lui semblèrent extrêmement longs et difficiles. Enfin, elle parvint à la bibliothèque.

Ici aussi, il y régnait le plus grand désordre.

— Will ? Appela-t-elle essoufflée pour de bon cette fois, et surtout inquiète, au bord de la panique et des larmes.

La réponse de Will lui parvint aussitôt

— Je vais bien... Mais peut-être pas pour longtemps.

Elle n’aimait pas ce qu’elle venait d’entendre.

La voix de son compagnon était tremblante et faible.

Elle traversa la pièce dans bien que mal en essayant de ne pas glisser sur les montagnes de livres ou de se prendre les pieds dans les étagères. La bibliothèque était en forme de T. Au son de sa voix, et surtout du fait qu’elle ne pouvait pas le voir, elle devinait qu’il se trouvait tout au fond, dans la partie longue, impossible à voir de l'entrée et de la première partie de la pièce.

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