Chapitre 05.3

5 minutes de lecture

Elle avait d’abord supposé que ses facultés exceptionnelles étaient une des conséquences de son voyage vers Feloniacoupia, via le C.E.T. Will l’appelait le Contracteur Espace-Temps.

Lorsqu’elle s’était retrouvée à la base en Antarctique, elle avait entendu des scientifiques et des militaires le nommer "Concentrateur", ou encore "Contortionneur d’Espace-Temps".

Peu importait l’appellation, l’objet restait le même, et son abréviation aussi : C.E.T. ou CET.

Le CET… ou les Bouches qu’elle avait pu franchir depuis. Les Bouches, les portes, les tunnels… Autant de noms que l’on pouvait leur donner, ne serait-ce que sur la Terre.

Ces passages espace-temps avaient donc modifié quelque chose dans sa physiologie… ou fait ressortir quelque chose qui s’y trouvait déjà à l’état latent, ou peut-être même les deux. Elle penchait pour cette hypothèse, car Will avait effectué cinq allers et quatre retours avec le CET, et plus encore de traversées avec les Portes utilisées par les Drægans, sans subir la moindre altération physique. Il y avait une raison à cela : le sérum que lui avait injecté Baal avant leur première traversée.

Elle avait reçu le même, mais contrairement à Will, elle n'avait pas été malade. Elle ne s'était même pas sentie mal. Cela avait-il un rapport avec ce qu'il lui avait expliqué ?

L’AMSEVE avait limité à cinq les voyages pour chaque membre d’expédition à cause des conséquences physiologiques.

Elle avait été informée sur le sujet lorsqu’elle avait intégré l’AMSEVE.

Les premiers Humains à avoir participé au programme, malgré les précautions sanitaires prises, avaient presque tous succombé à des infections diverses et variées, et à des cancers.

Ceux qui avaient survécu, peu nombreux, avaient fini par sombrer dans une névrose qui les avait conduits au suicide ou à l’asile…

Le général Doherty était le seul à s’en être bien sorti, mais une rumeur à la base courait sur son état de santé. Elle prétendait qu’il serait atteint d’un cancer.

Will savait qu’il n’aurait plus l’occasion de voyager dans l’espace et de visiter des planètes inconnues, d’aller aussi loin qu’il l’avait été dans l’univers. Il avait senti que cela lui manquerait au point de lui rendre son existence impossible. Il ne se voyait pas rester sur la Terre alors qu’il y avait tellement de choses à découvrir au-dessus de sa tête. Il ne se voyait pas non plus enterrer ses amis et ses collègues.

Il avait donc choisi de fuir lors de son cinquième voyage.

C’était lui qu’elle aurait pourchassé si elle ne s’était pas enfuie, elle aussi.

De toutes les façons, quelles autres alternatives s’offraient à lui ?

Ayant été un membre actif de l’AMSEVE, il aurait été maintenu au secret durant le restant de sa vie, C’est-à-dire au moins quarante bonnes années. Il aurait sûrement travaillé dans un laboratoire secret et étudié des artefacts rapportés par d’autres scientifiques partis en mission à sa place, ou envoyé sur Mars ou une lune dès l’ouverture d’une fenêtre de vol, sans espoir de revenir sur la Terre et de revoir les siens.

À moins que le programme devienne public, ce qui n’était pas près d’arriver.

Le choix pour lui n’avait donc pas été très compliqué. Il ne s’attendait pas, cependant, à ce que l’AMSEVE envoie un contingent à sa poursuite.

Pour Esmelia, compte tenu de l’état d’esprit des dirigeants de l’Organisation Internationale, cela semblait être une évidence.

Avec "l’accrochage américain", ils étaient sur des charbons ardents. La tension était ressentie jusqu’en Antarctique.

En tous les cas, c’était une raison supplémentaire pour éviter de se faire capturer.

Cela valait pour Will comme pour elle, car entre leur départ et leur retour, les antagonismes politiques et économiques n’avaient quasiment pas changé. Seul l'état naturel du monde autour d’eux avait évolué différemment, mais pas complètement. Certains éléments étaient restés gravés dans le marbre temporel.

Même s’il savait ce qu’il pouvait lui en coûter, elle n’avait pas eu à forcer Will à revenir sur la Terre. Ne serait-ce que pour revoir sa famille une dernière fois, lui dire qu’il était vivant…

Ce n’était pas une bonne idée, mais elle n’avait pas l’intention de l’en empêcher. Il était conscient que ce serait très différent de ce qu’il avait imaginé avant son retour. Elle l’accompagnerait sans doute après cette mission. Il aurait besoin d’elle, pas seulement pour échapper à ses poursuivants…

Will connaissait les grandes lignes de sa mission, et souhaitait autant qu’elle que leur cible s’en sorte indemne. Il n’aurait pas été dans les mêmes dispositions au moment de leur rencontre quelques mois plus tôt.

Il voulait aussi veiller sur elle.

Elle trouvait cela louable de sa part, et elle n’avait pas jugé utile de l’en dissuader. Au moins, elle l’avait pratiquement en permanence, sous les yeux. De fait, elle se sentait encore, en partie, responsable de la sécurité de Will.

Depuis leur retour à Ketchikan, il avait bien senti qu’elle avait pris ses distances avec lui.

Elle lui avait expliqué pourquoi dans les grandes lignes et il l’avait accepté. Mais elle sentait qu’il en souffrait profondément.

Entre ce monde qu’il ne reconnaissait pas, sa famille qui n’était plus vraiment la sienne, et elle qui n’était plus totalement la femme dont il était tombé amoureux. Plus qu’amoureux. Il avait ressenti un véritable coup de foudre pour elle, lui avait-il dit.

Elle se demandait s’il n’allait pas craquer.

Cela ne m’empêchait pas de s’inquiéter pour elle. Il craignait, notamment, qu’elle prenne trop de risques en abusant de ses pouvoirs.

Elle-même se demandait s’ils seraient permanents ou non, ou bien limités par des éléments extérieurs comme la composition de l’air ou la pesanteur, par exemple. Ou simplement par elle, inconsciemment.

L’un de ses "pouvoirs" était l’empathie.

Il avait évolué au cours de ces deux dernières semaines. Elle savait qu’elle n’en était plus à sa capacité maximale. Elle pouvait parfois capter de véritables pensées, mais il lui fallait se concentrer très fortement pour percevoir autre chose que des sensations.

Il y avait toujours cette autre part de sa conscience qui savait qu’elle pouvait faire beaucoup mieux, comme avant.

Ce pouvoir avait toujours fait partie d’elle sans qu’elle ait pu le définir ou mettre un nom dessus.

Enfant, elle avait apprécié cette hypersensibilité qui lui faisait lire dans le cœur et l’âme de ses amis comme dans un livre ouvert, et parfois dans ceux de personnes qui lui étaient totalement étrangères.

Ces mêmes personnes n’avaient jamais trouvé cela agréable. Certaines l’avaient même traitée de sorcière, d’autres avaient essayé d'exploiter son don.

Bien qu’à son jeune âge, cela soit resté sans conséquence, Brent lui avait fait comprendre qu’elle devait rester discrète et éviter d'en abuser, voire d'en user. Elle y avait donc mis fin à ses petits tours de voyance en feignant de se tromper au moins deux fois sur trois.

Il n’en restait pas moins qu’elle était capable de ressentir les émotions sans fournir le moindre effort. Elle pouvait ainsi ressentir la bonté d’une personne ou la méchanceté d’une autre, la colère, la joie, le mensonge… Elle pouvait tout percevoir. Elle, qui ne ressentait aucune émotion profonde, elle éprouvait celle des autres.

Annotations

Vous aimez lire Ihriae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0