Chapitre 09.2

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Elle devait bien avouer que quelque chose l’attirait chez lui, mais cela n’avait rien à voir avec la séduction. Cet être était une énigme. Mead' ressentait, chez lui, une soif intense de pouvoir qui dépassait le simple désir d’assujettir un seul, ou des milliers d’êtres vivants.

Ce qu’il désirait ardemment, ce n'était pas gouverner des univers entiers… Non… Il voulait que l’on croie que c’était ce qu’il souhaitait. Cette ambition qui lui était prêtée, c’était l’arbre qui cachait la forêt… de l’esbroufe…

Il y avait autre chose…

Si le pouvoir n’était pas ce qu’il recherchait, quels desseins nourrissait-il ? Entraveraient-ils ce pourquoi il était destiné ? Qu’est-ce qui pourrait le convaincre et l’obliger à aller jusqu’au bout de sa route sans jamais en dévier et sauver ces espèces qui, sans lui, étaient condamnées ? Plutôt que de les conquérir ?

Elle cherchait.

Elle essayait de percevoir chez cet être le levier dont elle avait besoin… De rentrer dans sa tête… de trouver la faille…

Elle ressentit un nouveau choc, violent, au fond de son crâne. Il était différent du précédent, néanmoins. C’était comme si on venait d’y fendre violemment une bûche.

Le choc la fit claquer des dents.

Il l’avait éjectée de sa tête. Dans le même temps, il lui avait semblé remarquer une douloureuse grimace sur le visage du Drægan. Cela avait été furtif.

Il avait aussitôt baissé la tête. Il ne souhaitait pas que des individus, autour de lui, remarquent cet instant de faiblesse. Sa main qui n’avait pas quitté l’épaule du scientifique de l’AMSEVE s’était tout de même violemment crispée.

Surpris, l’écossais avait grimacé de douleur.

Lorsque le Drægan redressa la tête. De son regard redevenu impénétrable, il fit le tour de l’assemblée, lentement, étudiant chaque individu. Il LA cherchait. Mead' le devinait. Elle était entrée dans son esprit trop vite. Cela l’avait conduit plus profondément qu’elle ne l’avait souhaité.

Il l’avait sentie. Il l’avait sortie de sa tête avec une force et une facilité dont elle ne l’aurait jamais cru capable. Il avait dû s’entraîner durant des années pour parvenir à une telle puissance.

Aujourd’hui, il pouvait contrer des individus comme elle. Des êtres entraînés et possédant à la fois force et finesse pour pénétrer les esprits et s’y agripper.

Mead' n’avait pas ce souvenir, cette réminiscence ancestrale, de lui. Deux-cent-cinquante ans, c’était très long… Beaucoup de choses avaient pu lui arriver durant ces années, et le corrompre.

Il n’était plus celui qu’elle pensait retrouver…

Elle ne pourrait plus recommencer, elle le savait. Pas seulement parce qu’il avait rétabli ses barrières mentales. Elle avait agi imprudemment.

Il était temps pour elle de disparaître avant qu'il ne la trouve et lui fasse subir le sort tacitement promis deux siècles plus tôt si elle osait violer à nouveau son esprit.

Belle Gueule II la saisit par le bras. Il lui fit monter les quatre marches de l’estrade. Encore étourdie par sa perte de conscience ou ce qu'elle préférait appeler son absence, Esmelia buta sur la dernière.

Son gardien la retint juste assez pour l’empêcher de tomber et la secoua pour lui faire reprendre ses esprits. Il devait la prendre pour une idiote.

Sa maladresse n’était pas passée inaperçue. Des rires avaient fusé autour de l’estrade.

Comme elle s’y était attendue, beaucoup d’acheteurs avaient quitté les lieux pour voir s’il n’y avait pas mieux ailleurs, mais d’autres, apparemment moins riches, les avaient remplacés en espérant que l’occasion d’acquérir enfin un esclave à bas prix se présenterait. Mais ils n’auraient que faire d’une servante maladroite.

Elle aurait préféré attirer l’attention du scientifique. Au lieu de cela, elle croisa le regard aussi perçant qu’une dague du Drægan.

Il n’avait peut-être pas seulement appris à se protéger, mais aussi à lire dans les esprits…

La menace avait résonné dans son esprit comme un avertissement.

Il s’attarda à peine sur sa personne. Durant ces quelques secondes, Esmelia avait eu l’impression d’être transpercée par ce regard aussi sombre que les ténèbres. Elle y décela aussi de la souffrance. Il la portait comme un talisman rassurant. Comme si, sans elle, il ne pouvait survivre…

Survivre à quoi ?

Elle se demanda quel genre de créature pouvait vivre ainsi ? Était-ce seulement une vie ?

Sans la moindre résistance, attirée comme un aimant, elle ne le quittait pas du regard comme si celui-ci avait le pouvoir de l'extraire de la petite foule d'acheteurs et de l'amener jusqu'à elle, sur l'estrade.

Esmelia aurait pu s’en sentir soulagée qu'il ne s'intéresse pas plus à elle. Ce n'était pas ce qu'elle souhaitait. Il fallait que leur destin se croisent et soient liés durant un temps. Elle le sentait. Savoir qu'il pouvait disparaître était une déchirure, et si en plus elle devait rester seule sur cette planète...

Les enchères commencèrent.

Elle se sentit mal à l’aise d’en être l’objet, et en colère. Dire qu’une de ses ancêtres avait milité contre la ségrégation raciale…

Tous les enchérisseurs n’étaient pas antipathiques. Il y en avait un qui, en plus d’avoir une belle tête de satyre, semblait être le comique de service. Il n’arrêtait pas de sourire tout en faisant de drôles de gestes avec ses six bras qui le faisaient ressembler à un insecte.

Un autre, avec sa tête vaguement équine semblait plus bête que méchant. Un troisième, qui aurait pu être son frère jumeau, était impatient d’aller épancher sa soif. Esmelia s'imagina que sa femme avait dû lui demander d’acheter une nouvelle domestique. Comme il ne souhaitait pas dépenser tout son argent pour cela, il attendait les dernières offres pour lesquelles les enchères monteraient moins vite, et surtout moins haut. Ensuite, il irait vider une série de chopes de sa boisson préférée à l’auberge locale.

Il y en avait un, néanmoins, qui se détachait du lot. Un troisième humain. Elle s’étonna de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Dans ce monde, il semblait que les humanoïdes fassent tout pour rester discrets.

Celui-là semblait tout autant humain que MacAsgaill et son ravisseur, si ce n’était ses yeux…

Il était de taille moyenne, vêtu d’un manteau jaune orangé dont la capuche qui lui couvrait l'arrière de la tête faisait ressortir la couleur mordorée de ses yeux, ainsi que ses boucles brunes. Son visage était blafard, ses joues creusées, mais non départi d'une beauté certaine.

En l’observant plus attentivement, elle remarqua la tristesse de son étrange regard…

Tellement de tristesse et de résignation qu’elle les sentit soudain s’abattre sur elle comme une mauvaise pluie.

Ce type était tout à fait capable de rendre un empathe ou un télépathe totalement dépressif. À se demander s'il n'était pas là pour cela.

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