Chapitre 16.4

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Elle se souvenait que c’était le matin de son départ pour Feloniacoupia. L’homme venait d’avoir une discussion avec le général qui avait reçu l’ordre de le rapatrier sur le continent américain et de faire abattre les chiens, tous âgés et parfaitement inutiles dans un lieu où il n’y avait plus la moindre trace de glace depuis des années et où il n’y aurait sans doute plus de neige avant très longtemps…

Évidemment, Lafferty s’y était opposé. Autant à son départ de l'Antarctique qu’à la mise à mort de ses chiens. Il fulminait lorsqu’il était entré. Elle avait vu avaler d’une traite deux tasses de café noir arrosées d’une bonne dose de vodka.

Comme personne parmi les cinq hommes et femmes présents ne disait rien, et que le sort des chiens l’attristait tout de même un peu, elle avait osé un timide :

— vous devriez essayer de les faire adopter.

A peine avait-elle dit cela qu’elle le regretta aussitôt.

Tous les visages s’étaient tournés vers elle. Elle s’était sentie comme une mouche sur la cible à fléchettes qui se trouvait juste à côté d’elle. Mais le pire fut le regard de Lafferty qui semblait soudain voir en elle une surdiplômée de l’idiotie.

Ce n’était pas que cela avait une grande importance, mais cela ne lui était encore jamais arrivé. Elle était alors restée figée, attendant le coup de grâce.

Il se contenta d’un soupir de lassitude, et sortit de la pièce comme il était entré. Une bourrasque qui avait envahi son espace personnel et l’avait entièrement saccagé.

Qui savait si ses chiens n'avaient pas transmis quelques puces à leur maître ? Sans le savoir, il avait pu les transférer sur les personnes présentes dans la pièce. Ces bestioles savaient faire des bonds immenses par rapport à leur taille, et elles pouvaient devenir la cause de la destruction de toute vie n'ayant jamais été armée contre elles, ou être la raison d’un changement extrême de la biologie locale...

Elle était bien placée pour savoir que même les envahisseurs les moins agressifs en apparence pouvaient faire les plus gros dégats, ou devenir de redoutables prédateurs.

Sortant de ses pensées, Esmelia se rendit compte que Will était déjà arrivé. Il attendait, installé dans un fauteuil qui ne devait rien avoir de confortable.

Elle remarqua qu’il frottait le haut de son bras sans vraiment y penser. La veille, dans la soirée, il lui avait montré le tatouage qu’il venait de se faire faire. Allez savoir pourquoi il avait eu envie d’un motif en forme d’anneau représentant un dragon se mordant la queue, un Ouroboros.

Parfois la vie est bien faite…

— Ça fait mal ? demanda-t-elle un poil ironique.

— La méthode dræganne, sûrement.

— Sans doute.

Ils éclatèrent d’un même rire.

Elle n’avait aucune envie de savoir en quoi consistait la méthode dræganne. Elle avait déjà ses propres douleurs à maîtriser. Voire à faire taire, si c’était possible. Mais elle se rendit compte qu’elle aimait le voir rire. Et ses yeux… Ses yeux si bleus, si vifs et perçants, sans la moindre once de méchanceté…

Il la regardait lui aussi avec une intensité qu’elle avait rarement connue chez un homme. Inutile d’être voyante pour savoir ce qu’il y avait derrière ce regard.

— Il y a quelqu’un dans ta vie ? lui demanda Will d’une voix difficile.

La question lui sembla étrange, alors qu’elle était pourtant directe et un peu maladroite. Sans doute était-ce à cause de la situation dans laquelle ils se trouvaient.

— Non, pas vraiment, finit-elle par répondre. Enfin… plus depuis un moment. Et toi ?

— Je suis sorti avec la sœur d’un collègue de l’AMSEVE. On devait se … Bref, les choses ne se sont pas faites.

— Tu le regrettes ?

— Je n’ai pas vraiment pris le temps d’y penser. Mais parfois, je me demande si elle pense encore à moi, de temps à autre. Quand cela arrive, je fais tout pour ne plus y penser…

— Qu’est-ce que cela te fait quand nous…

Elle ne savait pas vraiment comment l’exprimer.

Il acheva sa phrase à sa place :

— Quand nous sommes ensemble ?

Elle acquiesça.

— Sûrement la même chose qu’à toi.

— C’est peut-être parce que nous sommes les seuls humains à bord de ce vaisseau.

— Je ne crois pas, et puis humains ou humanoïdes… Je ne suis pas certain que les Drægans, ou les Sumeriens fassent la différence. Hier soir, j’ai même imaginé que Baal t’avait convoquée pour tout autre chose qu’une simple discussion...

Une petite pointe de jalousie ou son instinct protecteur ? Un peu des deux sûrement.

— Je ne crois pas que Baal s’intéresse à moi, le rassura-t-elle. Il a déjà son harem.

— Mais toi, tu t’intéresses à lui, n’est-ce pas ?

— Pas pour les raisons que tu sembles imaginer.

Il attendit qu’elle en dise plus, mais elle garda le silence.

Il tenta alors un autre angle d'attaque :

— En tous les cas, lui, il s’intéresse beaucoup à la Terre. Il la connaît même très bien, je pense.

— C’est vrai. Pour le peu que j’ai vu de ses quartiers, j’ai remarqué qu’il avait beaucoup d’objets qui semblaient avoir des origines terriennes. Et des plantes aussi…

— Tu n’as vu que ses quartiers de travail ? Un labiré m’a expliqué qu’il y dormait la plupart du temps.

— Il y avait un lit, c'est vrai. Mai il ne doit pas y dormir beaucoup.

— Il paraît qu'il n’est dans ses quartiers personnels que lorsqu’il reçoit, et qu'ils n'ont rien de comparable au reste du vaisseau. Il y aurait des oeuvres d'art, des meubles rares, une décoration fastueuse digne d'un dieu, de la vaisselle précieuse... Et tout ce qui pourrait impressionner ses invités.

— Tu t'intéresses à la vaisselle des dieux ?

Étonnant, songea-t-elle en même temps. Surprenant, même. Il l’avait reçue dans un lieu qui n’avait rien d’ostentatoire sans doute pour ne pas l’impressionner. À moins qu’il ait eu quelque chose à lui cacher.

Will eut un léger sourire.

— Si jamais on doit prendre la fuite, autant partir avec quelques objets faciles à échanger.

— Tu serais capable de voler un dieu ?

— Si les circonstances l'exigeaient, pourquoi pas ? J'ai bien trahi mes amis et, d'une certaine manière, ma famille.

Au final, sa conversation avec Will avait changé d’orientation en douceur à son grand soulagement. Quoi que…

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