Chapitre 29.4

7 minutes de lecture

Votre première déesse. Mais chez nous, elle est le fruit de plusieurs générations de Drægans qui n'ont cessé de se battre les uns contre les autres. Elle était la dernière survivante de son clan. Les Drægans, en ce temps, étaient différents de ce que nous sommes aujourd’hui. Du moins par nos enveloppes, car sous notre forme de naissance, nous sommes restés identiques.

Elle s’attendait à ce qu’il lui explique ce qu’ils étaient avant d’investir un hôte, mais il n’en fit rien et poursuivit :

— Le vainqueur de cette guerre se nommait Khosuetamos. Vous le connaissez, plus ou moins, sous le nom d’Ouranos. Il avait découvert que les Drægans pouvaient investir autre chose que des lézards volants ou rampants. Certes, après des milliers et des milliers d’années de fécondation, l'ADN de ces créaturesétait immuablement inscrit dans nos gènes, autant que nous l'étions dans les leurs. Il a fallu que des explorateurs, des bipèdes venus des étoiles, lointains descendants de reptiles, débarquent sur notre planète pour que nous nous découvrions de nouveaux horizons. Certaines légendes disent que ces visiteurs se sont baignés dans nos eaux, d’autres qu’ils s’y sont réfugiés. Il en est même pour dire qu’ils y sont morts. Toujours est-il qu’ils ont été investis par les créatures, mes ancêtres comme ceux de tout Drægan existant actuellement, qui y vivaient dans l’attente d’une enveloppe. Leur association a donné naissance à des êtres physiquement plus véloces, plus agiles et doués de facultés intellectuelles décuplées tout en conservant la personnalité des Drægans. Certes, ils avaient perdu en puissance physique, mais peu importait. Ils avaient gagné en autonomie, en rapidité, en souplesse.

Il se racla la gorge et s’humecta les lèvres avant de poursuivre, comme s'il avait soif, mais n'osait le lui demander. Ce qui était peu probable. Néanmoins, elle attrappa un verre sur la table voisine et lui versa de l'eau.

— Et donc, parmi ces Drægans d'un genre nouveau, l’un d’eux s’est distingué. Il s’est fait connaître sous le nom de Khouetamos. Ouranos devait sûrement être son nom secret. Nous en possédons tous un que nous ne donnons qu’à de rares personnes.

— Baal aussi ?

Teutatès acquiesça d’un signe de tête, et poursuivit :

— Khouetamos avait investi un très jeune hôte. Sans doute le plus jeune des visiteurs. Il s’est parfaitement adapté à sa nouvelle enveloppe. Il a pris le meilleur des deux mondes, selon la conception dræganne. Il a conquis celui de ses hôtes, avant de conquérir Dræga, sa planète natale. Il a envoyé les prisonniers capturés sur d’autres mondes dans les eaux où les attendaient les larves de Drægans jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule. Il a ensuite capturé toutes les productrices autochtones qu’il a pu trouver. Nombre d’entre elles ont préféré la mort à une vie d’éternelle pondeuses. Jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de les en empêcher. C’est ainsi qu’il a pu faire de Gaïa la productrice d’œufs qu’il a lui-même fécondé.

Elle trouvait déjà cette partie de l'histoire écœurante. Ce n'était que le début. Elle s'attendait à pire pour la suite.

— Grâce aux nouveaux hôtes, Khouetamos a levé une armée de Drægans. À leur tête, il a conquis près de la moitié de la galaxie. Mais c’était sans compter sur Gaïa et la nature des hôtes les plus âgés, chez lesquels l’assimilation n’avait pas été totale, et pour lesquels la notion de famille restait importante, au même titre que la notion de propriété, ainsi que leurs ambitions les plus diverses. Un mélange explosif qui a fait qu’une partie des enfants de Gaïa s’est élevée contre l’autre. Pour renforcer ses défenses, en donnant une enveloppe plus adaptée à la guerre à certains Drægans, Khouetamos a créé les Hécatonchires et les cyclopes. Les premiers étaient des scientifiques, auteurs de cette nouvelle technologie créatrice. Ils se sont eux-mêmes portés volontaires. Les seconds étaient des Drægans gravement blessés dans cette guerre qui n’avaient plus rien à perdre. Les Hécatonchires les ont rafistolés. Ils en ont fait des monstres, différents d'eux, mais des monstres tout de même. Grâce à eux, Khouetamos a gagné la guerre. Du moins, il l’a cru jusqu’à ce que celle qu'il considérait comme sa fille, Rhéa, qui lui était jusqu’alors restée fidèle, l’assassine pour prendre sa place. Elle ignorait que la défaite de Gaïa n'était que feinte. L’attaque suivante a obligé Rhéa à déposer les armes. Peu, parmi les fidèles de Khouetamos et de Rhéa, survécurent aux années de paix suivantes.

— Gaïa a pris le pouvoir ?

— Pas exactement. Contre toute attente, elle s’est retrouvée aux abonnés absents, de même qu'une partie non fécondée de sa future progéniture, et une vingtaine de ses plus fidèles gardiens. Elle a été remplacée par son fils Cronos.

— Il l’a assassinée, supposa-t-elle.

— Probablement, acquiesça Teutatès. Ensuite, Cronos a épousé Rhéa. Il lui a fait payer sa trahison en l'obligeant à quitter son hôte, et à devenir, à son tour, une procréatrice.

— Comment de… larve, passez-vous à dragon ?

— Ils ne sont pas exactement les dragons de vos légendes. Les nôtres sont plus gros. De véritables armes de destruction massives. Hors de leur milieu naturel, les larves sont obligées d’évoluer, de s’adapter. Soit, elles parasitent un hôte leur permettant d’exploiter leurs capacités physiques ou intellectuelles, et elles restent alors des sortes d'ectoplasmes larvaires, soit elles évoluent vers une forme naturelle, adaptée à la survie dans un monde où celle-ci s'avère infiniment difficile et où la loi du plus fort et du plus malin prévaut, pour devenir des créatures douées d’une force brute. C’est sous cette forme que Rhéa a donné naissance aux enfants de Cronos. Il les a soumis à des hôtes peu après leur naissance. Vous connaissez Héra, Hadès, Poséidon et Zeus Il y a aussi eu Choria. C’est elle qui a aidé Rhéa à prendre la fuite avec sa progéniture. Elle l’a payé de sa vie. L’histoire se répète, n’est-ce pas ? Ils se sont réfugiés là où Cronos ne les chercherait pas avant un moment. Ce qui devait leur laisser le temps de préparer leur riposte. Ayant appris qu’il existait d’autres enfants de Gaïa éparpillés dans la galaxie, Rhéa les avait rassemblés sous la conduite de Zeus. Ils ont ensuite combattu Cronos et ses armées et, malgré de lourdes pertes des deux côtés, parmi lesquelles Rhéa, ils les ont vaincus.

Une ombre passa dans les yeux de Teutatès. Elle n'aurait su dire s'il s'agissait de nostalgie ou de tristesse à l'évocation de cette période de son passé. Avait-il lui aussi perdu un être cher ?

— Vous étiez un de ces enfants de Gaïa ?

Il acquiesça.

— Le monde dans lequel j'ai grandi était un monde paisible. Cette guerre nous a beaucoup pris. J'étais encore jeune... et malgré le temps passé, il y a des choses que je ne parviens toujours pas à oublier. Vivre des centaines d'années n'est pas toujours un bienfait. Nous avons certes, plus de jeunesse que la plupart des créatures de l'univers, mais aussi plus de souvenirs. En ce qui me concernent, ils sont plus tristes que joyeux. Je n'ose penser à la vieillesse qui arrive. Elle aussi sera plus longue. Si seulement l'âge pouvait nous rendre plus sage.

— Je suis désolée.

Elle compatissait vraiment. Autant à ce qu'il avait pu vivre et voir de cette guerre qui, indéniablement l'avait marqué, qu'à ce qu'il éprouvait en cet instant.

Il reprit son récit :

— Pour ne pas reproduire l’histoire de leurs ancêtres, Zeus a placé tous les enfants de Gaïa à égalité, de même que ses frères et sœurs. Ensemble, ils ont alors conquis de nouveaux systèmes planétaires, et ont instauré simultanément leurs cultes sur toutes les planètes où s’était développé un semblant de civilisation. Ils ont aidé celles-ci à se développer. Au passage, ils ont choisi des hôtes à l’image des êtres qu’ils gouvernaient pour être plus proches d’eux. Du moins au début. Au cours de leurs nouvelles conquêtes, les Drægans ont découvert une planète bleue qu’ils ont appelé Gaïa, et des êtres qui taillaient des pierres pour en faire des outils et des armes, ce qui dénotait un début d’intelligence. Quel Drægan comprit le premier qu’ils venaient de découvrir une planète où les créatures étaient les plus adaptées à leur propre génétique ? Nul ne le sait. Peut-être était-ce Khouetamos qui les avait créés lors d'un précédent passage, à force de croisements génétiques. Sur Gaïa, nous découvrîmes que le moindre mammifère pouvait devenir un hôte potentiel, mais un, en particulier, nous intéressa : l’Homme. Il n'était pas encore la créature aboutie que vous êtes aujourd'hui, mais avec notre aide, et au travers de l'évolution qui a suivi, il l'est devenu. Du moins jusqu'à un certain stade, car il lui reste encore du chemin à parcourir. Durant des millénaires avant cela, seules cinq ou six espèces pouvaient devenir des hôtes acceptables, c’est-à-dire sans grande limitation physique ou intellectuelle, ou encore, temporelle. Mais jamais nous n'avions pu passer outre ces trois limites en même temps.

Un sourire grave effleura ses lèvres. Plus que sa beauté, c'était son charisme qui la frappa à cet instant. Il ne l'attirait pas, surtout que maintenant, un homme faisait battre son cœur, mais il n'empêchait, cet ancien dieu avait dû en briser des cœurs.

Annotations

Vous aimez lire Ihriae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0