Chapitre 24.3

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Sa question n’avait rien d’anodine.

Esmelia perçut le léger frémissement de Circé à l’évocation de la Nâga. Elle ressentait l'étonnement, la surpise, mais aussi l'inquiétude et la peur, et plus généralement une sorte de malaise général.

La Nâga était un groupe de Drægans dissidents. Ses membres avaient toujours refusé de passer pour des dieux aux yeux des sentients des différentes planètes conquises par les Drægans.

À peine acceptaient-ils de passer pour des magiciens ou des prophètes, ou même des visionnaires. La rumeur prétendait même qu’ils étaient, en partie, à l’origine de la chute des dieux, car l’un d’eux aurait révélé leur mortalité aux asservis. Pire encore, les Nâgas refuseraient de prendre des humanoïdes pour hôtes afin de bien se différencier des autres Drægans. Ils excluraient aussi de prendre des hôtes sans le consentement de ces derniers.

De nombreuses autres rumeurs couraient à leur sujet, mais aucune n’avait pu être vérifiée. En particulier celle concernant les hôtes. Il était inconcevable que des Drægans puissent vivre sous leur forme de larve ectoplasmique, plus encore hors de leur milieu initialement natuel. Leur espèce ne devait sa survie qu'à une découverte fortuite, un ou deux milliards d'années plus tôt. Sans elles, ils auraient tout aussi bien pu rester à végéter sur leur planète ignorant tout de ce que l'immensité de l'univers avait à leur offrir jusqu'à aujourd'hui, et pour des siècles, des millénaires à venir. Si tel était le cas, quels procédés pouvaient donc utiliser les membre de la Nâga non seulement pour survivre, mais aussi pour se déplacer, pour communiquer ? Quel genre de véhicule, autre que sentient, avaient-il pu trouver ?

D'après ce que les anciens dieux en savaient, ou du moins d'après ce qu'ils croyaient savoir, les membres de la secte vivaient en petits groupes disséminés dans plusieurs systèmes solaires, invisibles, clandestins, éloignés physiquement, psychologiquement et intellectuellement de leurs congénères.

Les Nâgas étaient considérés par les autres Drægans, au mieux comme un mythe auquel on pouvait croire sans trop s'en vanter, au pire comme des extrémistes, des hérétiques néfastes pour l’espèce toute entière qu'il faudrait exterminer, et, entre les deux, comme de dangereux rêveurs à surveiller, voire étudier de plus près.

— Circé pourrait peut-être nous éclairer sur le sujet. Elle est la seule parmi nous avec laquelle ils accepteraint d’avoir des contacts. Enfin, c’est ce qui se dit.

Erra ne cachait en rien l’aversion que lui inspirait la Nâga et tout ce qui s’y rapportait de près ou de loin. Aussi pouvait-il mépriser plus encore la jeune fille. Cependant, il n’avait pas la certitude absolue qu’elle ait eu le moindre contact avec eux.

Il n’était pas le seul.

Encore une rumeur qui devait tout de même avoir un fond de vérité. Restait à savoir laquelle.

Perséphone, Teutatès et Apollon soupçonnaient aussi d’autres liens entre la Nâga et la jeune fille. Cependant, la première n’aurait su que faire de la confirmation de ses doutes. Elle n’avait donc jamais cherché à vérifier.

Le deuxième avait des sentiments bienveillants à l’égard de la magicienne, et s’il n’affichait aucune antipathie envers la Nâga, que son existence soit réelle ou imaginaire. Il considérait que leurs convictions philosophicoreligieuse ne regardaient qu’eux seuls.

Quant au troisième, il ne voyait pas le moindre bénéfice à tirer d’une information sans fondement.

Aucun des trois n’avait jamais considéré Circé comme une adversaire à écarter ou une ennemie à anéantir.

Ce ne fut pas Circé qui répondit, mais Divona dont le passe-temps favori était justement d’enquêter sur la présence supposée d’espions, des Nâgas comme d'autres, dans ses rangs.

— Beaucoup de choses sont dites, et peu sont vraies. Pour ce que cela vaut, il paraît que la Nâga n’est plus ce qu’elle était du temps de Peche, Tacle et de Tenghy qui y croyaient dur comme fer. Lorsque celui-ci a été… tué… Leurs ambitions auraient radicalement changé de direction, selon Peche. Tacle ne s'est jamais étendu sur le sujet.

— Ce ne serait pas plutôt leur moralité qui aurait changé de direction ? ironisa Dercéto.

— J’ai entendu dire, enchaîna aussitôt Perséphone qu’ils sont devenus aussi corrompus que les Atrides, et qu’ils cherchent les moyens de prendre notre place…

— Ça, ce n’est pas nouveau, ma puce, fit Boann avec un léger sourire. Tout ce qui a un tant soit peu de jugeote a toutjours tenté de nous remplacer, plus encore en ce qui concerne les esprits radicalisés. En vain.

Erra la suivit :

— Ils seraient en lutte ouverte contre les labirés… les tehotoroos… Ceux menés par Gambre le Sanguinaire, Benoré, Raemati-Stah-Etm et quelques autres peuples.

On dit beaucoup de choses à leur sujet, Erra, fit de nouveau remarquer Horus. Un peu trop même pour que la moitié soit vraie. Beaucoup trop pour une faction dont nous n'avons pas la preuve réelle de l'existence.

— C’est un fait, acquiesça Erra.

Même s’il était rarement d’accord avec Horus, celui-ci connaissait le sujet, et son opinion était fondée.

— Il n’empêche, reprit Esus, on n’a plus beaucoup entendu parler des Nâgas ces dernières années. Peut-être qu’eux aussi, s'ils ont existé, ont-ils fini par être exterminés.

— Ou ceux qui avaient tout intérêt à propager ces rumeurs, ajouta Priape.

— Et on se demande bien qui sont les suivants sur la liste, maugréa Divona.

— Nous sommes pourchassés par nos anciens labirés et leurs alliés, et par des mercenaires venus de tous les horizons, intervint Shamash. Même nos alliés sont prêts à nous trahir. Nombre de nos semblables sont déjà morts sous les tortures de Gambre le Sanguinaire.

— Lequel de nos ennemis inconnus, ou connus, nous portera le coup de grâce en premier ? interrogea Esus.

— Sans doute celui qui aura le plus à gagner, répondit Boann.

Métis eut un rire sec.

— Le savoir des Drægans n’a rien d’un fabuleux trésor. Tout ce que nous possédons ou connaissons, nous l’avons pris à d’autres civilisations. Évidemment sans leur consentement.

Shamash plissa les yeux.

— Où veux-tu en venir Métis ?

— Ce savoir est un fardeau pour nous dans la mesure où nous devons prendre garde à ne pas en être dépossédés à notre tour. Toutes ces connaissances que nous avons acquises au cours des temps n’ont jamais été réunies entre les mains d’un seul et unique Drægan parce que nous n’avons jamais été faits pour nous entendre. Nous n'avons même pas un lieu, une bibliothèque, pour cela.

Quelques Drægans ne cachèrent pas le mépris que leur inspirait cette idée. Parmi eux, il y en eu tout de même pour songer qu'un lieu dépositaire de tout leur savoir, ou même une personne n'étaient pas une si mauvaise idée. Il y en eu même certains pour rêver, un bref instant, qu’ils pourrraient être ce Drægan, récipiendaire du savoir de centaines de civilisations.

— Dans beaucoup de civilisations, il existe un adage plus ou moins commun, continua Metis. Il dit quelque chose de similaire à ceci : "Celui qui reçoit des pouvoirs incommensurables possède aussi des responsabilités et des devoirs qui le sont encore plus".

— Un lieu bien commun, se moqua Era. Cela ne nous dit toujours pas où tu veux en venir.

Metis ne se démonta pour autant et persévéra dans son raisonnement :

— Sommes-nous faits pour les responsabilités ? J’en doute parce que nous ne sommes pas des êtres de devoirs. Nous ne sommes que des créatures parmi d’autres dans cet univers. Nos anciens asservis l’ont découvert avant nous et ils se sont montrés plus avisés que nous. Il est peut-être temps de le reconnaître et de LES reconnaître comme nos alliés possibles.

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