Le poids de grandir
"Ne soit pas pressé de grandir. Tu regretteras vite ton enfance."
C'est ce que nos parents avaient tendance à nous dire. C'était leur phrase fétiche dès qu'on faisait allusion à notre envie de grandir.
Je me souviens de suivre ma mère partout lorsqu'elle passait l'aspirateur. Je l'ennuyais pour le faire moi-même en disant que j'avais hâte de grandir et d'être adulte. Aujourd'hui, je donnerai n'importe quoi pour que quelqu'un le passe à ma place. Ce que c'est lassant de le faire, d'entendre son bruit infernal et de devoir le vider tous les quatre matins.
Aujourd’hui, je comprends enfin pourquoi elle disait cela.
La vie d'adulte... Il n'y a rien de plus angoissant. Les factures, le boulot, les courses, la vie sociale, l'entretien de la maison... Ce que c'est épuisant. Une charge mentale sans pareille.
J'ai quitté ma maison depuis un an ce mois-ci. Et depuis, je n'arrive pas à avancer.
La vie m'effraie. L'avenir me repousse. Le passé me hante. Le présent file à toute allure. Moi qui ai tant attendu de quitter le nid, aujourd'hui, j'aimerais y voler à nouveau et retrouver mon ancien cocon. Aujourd'hui, j'aimerais regarder ma mère, plonger dans ses yeux bleus et lui dire :
"Je suis désolée."
Mais la vérité, c'est qu'il était trop tard quand je pensais tout cela. Je ne pouvais que sourire et avancer. Au diable les doutes et les angoisses, me suis-je dit. Il faut se lever et foncer droit devant.
"Est-ce la bonne personne ? Est-ce que ce job me plaît réellement ? Est-ce que j'aime la vie que j'aie ?"
J'ai des factures à payer et un appartement à ranger. Je ne peux pas me permettre de sombrer. Sinon, maman ne serait pas fière de moi. C'est ce que je me disais non-stop.
Pourtant, la chute a été si brutale. Parce qu'à force de penser ainsi, j'ai savouré le goût du bitume. J'ai vu mon sang s'étaler sur les dalles grises de l'entreprise. J'ai vu mon âme s'émietter sur les sièges verts du bus. Et j'ai entendu ma mère s'exclamer à travers le téléphone :
"Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ? Ne raconte pas de bêtises Mimine, maman est fière de toi. Je serai toujours fière de toi."
Mimine... Ce surnom qui ne me quitte pas depuis l'enfance. Les larmes m'ont piqué les yeux, ce jour-là; et un soulagement s'est abattu sur moi. Un soulagement brut et vif. Un de ceux qui m'a redonné le sourire pendant plusieurs jours.
J'ai quitté le job qui a dévoré mon être, mais cette question reste en suspens dans ma tête :
"Pourquoi est-ce que je me sens toujours aussi vide ?"

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