Chapitre III . Un bouquet de fleurs

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Lundi 28/11/22 , fin d'aprés-midi.

Décidément, Reeve cumulait les situations foireuses, les emmerdes et les mauvais coups. Son boss avait le don de la faire tourner en bourrique. Il se plaisait à l’appeler sa secrétaire. Comment pouvait-elle l'accepter ? La jeune femme avait trimé comme une damnée pour devenir architecte. Déterminée, elle n’avait pas voulu décevoir son grand-père Henry qui avait financé ses études. Le vieux monsieur avait été fier de voir sa petite fille se métamorphoser en femme. Que penserait-il d’elle aujourd’hui ?

Côté sentimental, ce n’était pas mieux. Son ex, Jules n'avait rien compris à l'amour. Cet abruti pensait qu’il suffisait de froisser les draps du lit pour la combler. C’était un boulet. Deux semaines s’étaient écoulées depuis son départ, la peine et les regrets s’étaient volatilisés. Certes, elle se sentait seule mais à côté de ça elle était à nouveau libre de rêver.

Maintenant à cette heure tardive, elle désespérait de trouver une place de parking. Un pauvre mec avait posé sa voiture n'importe comment, empiètant deux places. Il n’y avait pas d’autre mot, ignorant les convenances. C’était le pompon. Franchement, il était temps que cette journée se termine, qu'elle puisse s'écrouler dans le canapé moelleux, au moins le confort de celui-ci valait bien mieux que les bras d'un homme.

Une lueur brilla dans ses yeux, elle n'avait qu'une envie : se venger. Elle hésita, pour une fois ses talons aiguilles pourraient être utile. Éclater son pare-brise serait jouissif. En un seul geste, elle libérerait la colère accumulée au cours de cette journée. Son cher patron imposait à son assistante cette torture. Marcher, avec ces chaussures, devenait un vrai supplice pour ses pieds. Son chef disait sans aucun complexe qu’habillée en poule de luxe, cela excitait les potentiels investisseurs et les incitait à signer des contrats.

Le pire, pour la jeune femme, était les gestes déplacés que certain clients s’octroyaient. Sans gêne, ils caressaient ses fesses ou frôlaient ses seins. Ils étaient tous des porcs lubriques ! Elle n'avait pas étudié toutes ces années pour n’être qu’une soubrette. Enfin là, dans les mains, ses pointes de chaussures seraient idéales pour se défouler sur la carlingue de la voiture. Cette caisse, digne de son beauf de patron bourré au as, l’avait obligée à se garer à deux pâtés de maison de son appartement. Reprenant ses esprits, elle préféra les jeter dans la poubelle. Le chauffeur n'était pour rien dans sa frustration et peut-être qu’il n’avait pas eu d’autre choix pour se garer. Reeve se contenta d'apposer un post-it sur lequel elle déposa un message qu'elle glissa sous l’essuie-glace.

***

Mardi 29/11/22 ,20h00 dans l'appartement de Reeve

La nuit enveloppait la ville dans son habit de lumières artificielles. De la fenêtre de son vingt-cinq mètre carrés, elle apercevait la Seine et ses bateaux mouches débutant leur ballet sur les eaux avec leurs projecteurs. Elle s'amusait à les voir s'évanouir sous les ponts pour à nouveau révéler, comme par magie, leur ponton garni de petites âmes . Elle rêvait de s'offrir une soirée romantique à ciel ouvert et admirer les étoiles au clair de lune. Un courant d'air traversa la pièce, soulevant sa nuisette de soie noire, elle frissonna. Le souvenir de ce matin, de ces mains tatouées sur son corps, dessinèrent un sourire sur ses lèvres.

Du bout des doigts, elle poussa délicatement la fenêtre qui finit par claquer la faisant sursauter. Reeve attrapa le bouquet resté sur la table basse à côté de la tasse de tisane renversée. La jeune femme le serra contre elle, voulant sentir encore la chaleur de ce corps. Comment un simple mot sur un pare-brise, des excuses maladroites et des tulipes avaient-ils, pu ainsi, illuminer sa journée ? Était-ce frivole de vouloir que son corps vibre, que ses yeux pétillent ? Était-ce stupide de n’attendre qu’une chose, entendre sa main tambouriner sur la porte ? Cela avait été précipité, insensé et incontrôlé, cela ne lui ressemblait pas et pourtant elle sentait son cœur revivre.

Installée devant la gazinière, Reeve se préparait une omelette aux champignons. La jeune femme se contenterait de ce repas pour adoucir le reste de sa soirée. Quelle idiote ! Elle n'avait pas pensé à demander son numéro à son voisin et avait encore moins eu la vivacité d'esprit de lui donner le sien. Si elle voulait le revoir, il suffisait de descendre de quatre étages. Pourquoi ne l'avait-elle jamais croisé jusqu'à aujourd'hui ? Un hasard, une coïncidence, le destin, balivernes, songea-t-elle. Reeve versa sa préparation dans une assiette, une des dernières du service de sa grand-mère. Maladroite, la porcelainelui échappa.

En pareille situation, combien de fois avait-elle tenté de recoller les morceaux, espérant se donner une seconde chance. Ce soir, la fatigue l’envahissait et elle ne prendrait pas la peine de quoique ce soit, la poubelle enfermerait le puzzle de sa vie. L'architecte pleine d'enthousiasme se fanait depuis qu'on l'avait reléguée à un poste de potiche, juste bonne à rouler les fesses. Elle, qui rêvait d'un monde sans simagrées. Son univers personnel se résumait à cet appartement qu’elle avait décoré à son image de princesse d’autrefois. Son ex lui avait reproché de vivre dans une autre époque, celle de rois de Versailles. Il jugeait que son goût pour les temps anciens était dépassé. Pour la femme qu’elle devenait jour après jour, l'appartement au lieu de ça reflétait son désir d’être aimée avant tout pour ce qu’elle était.

Assise dans le canapé, la télé en bruit de fond, seule compagne de ses soirées depuis quelques temps, Reeve jouait à agiter sa cuillère dans la tasse devant elle créant un tourbillon dans laquelle son esprit se perdait. Elle attrapa le plaid qu'elle déposa sur ses épaules. La même couverture dans laquelle leurs corps s'étaient enveloppés avant de s'assoupir dans les bras l'un de l'autre.

La simple évocation de ce souvenir fit dresser ses tétons sous le tissu. Le désir de retrouver le plaisir partagé avec l’homme au bouquet de fleurs, brulait tout son être. Elle ne le connaissait pas et pourtant elle s'était offerte sans retenue. En songeant à cette fin de matinée, ses mains glissèrent sur sa peau, là où les lèvres d'Etienne étaient venues se perdre. Tout à coup, elle se sentait moins seule et le simple fait de l'imaginer à ses côtés, déposant ses baisers sur son corps, la rendait dingue. Qui sait peut-être, ne le reverrait-elle plus avant bien longtemps ?

Elle se redressa, ramassa les restes de son repas et chercha un récipient pour les fleurs qui avaient, elles, aussi, besoin d'attention. À force de fouiller dans les placards, elle découvrit un pichet d'eau. Cet objet serait idéal pour les tulipes qu’elle avait déposées dans l'évier.

Plus tard, elle saisit les carnets dans lesquelles elle écrivait ses poèmes et ses haikus. Attrapa ses croquis, ses crayons et nettoya le plateau qui n'était autre qu'un jeu de solitaire. Toute cette activité lui changerait les idées, c'était claire qu'elle avait besoin de vider son esprit. Reeve posa le bouquet, sa tasse fumante de thym et verveine, s'assit en tailleur sur le pouf et commença une partie. Ce qu'elle appréciait plus que tout, s'était d'être toujours gagnante à ce jeu.

Ses battements de cœurs s'accélèrent quand elle entendit tambouriner à la porte. Si c'était son beau voisin, Etienne qui se tenait là, derrière. Elle se redressa et se précipita vers l'entrée. Avant d'ouvrir, elle vérifia dans le judas de la porte. Elle avait photographié les moindres détails de son visage, déformation professionnelle. Son expression l’interpella, son regard s'était assombri, ses traits marqués.

Reeve ouvrit avec l’envie folle de se jeter à son cou pour l'embrasser. Elle se figea en découvrant stupéfaite que dans ses bras se trouvait une autre femme. Comment pouvait-il faire ça ? Mais après tout, chez elle, il pouvait bien faire ce qu'il voulait.

Elle lui claqua la porte au nez et fonça s'écrouler sur son lit pour pleurer. Elle frappa l'oreiller, regrettant de ne plus avoir ses talons pour déverser sa colère sur sa « putain » de voiture mal garée. La jeune femme s'en voulait d'avoir cru que le maladroit aux tulipes pouvait être différent.

Ce salopard tenait une pouffe dans ses bras, cette vision l’avait anéantit, le peu d'amour qu’elle gardait au plus profond d’elle semblait emporté par le flot de ses larmes.

*A.R*

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