BONUS : Jour cent

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Au mois de mars, j’ai commencé à diffuser sur le site de l’Atelier des Auteurs, une petite bluette que j’avais commencé à écrire en décembre, juste après m’être séparée de mon ex, Jérémy, pour ceux qui s’en rappellent (devenu Konrad, par la suite).

J’allais très bien, j’avais le moral, et écrire m’est soudain apparu aussi vital que respirer. En dehors de la période Covid qui m’a un peu fatiguée en février, j’écrivais presque tous les jours, à raison de plusieurs heures, parfois jusqu’à dix d’affilée, sans m’arrêter ou presque.

C’était devenu mon air, ma bulle d’oxygène et lorsque j’ai commencé à publier mes écrits, j’ai été émue par les premiers retours, surprise et flattée que des gens veuillent me lire... Je n’étais pas du tout à l’aise avec l’idée de parler vrai, alors j’ai refourgué le texte dans une auto-fiction, qui m’a permis de dire ce que j’avais à dire, sans avoir trop peur des conséquences (mais à ce moment-là, croyez bien que je n’en menais pas large).

Et puis, j’ai commencé à prendre confiance en moi lorsque vers la moitié du tome un, j’ai réalisé que les retours étaient bienveillants, encourageants, presque non-jugeants. Cela m’a soulagé à tel point que j’ai commencé à faire de la pub sur ma page Facebook et mon compte Instagram, pour diffuser mon œuvre, ce que je n’osais pas faire au début, de peur de m’attirer les foudres du public.

Médicalement parlant, je n’allais pas très fort, car si le covid et la grippe n’avaient pas réussi à me tuer, il en était tout autre de la boulimie. Les dégâts commençaient à se faire sentir à tous les étages, j’enchainais les rendez-vous médicaux avec une gorge qui parfois ne pouvait plus supporter d’avaler une gorgée d’eau. Mais les résultats médicaux étaient formels : tout allait bien, hormis le fait que rien n’allait du tout.

Je savais que c’était en train de me tuer à petit feu, j’avais réduit les crises à quatre ou cinq par mois en moyenne, ce qui était mieux que le rythme quotidien que j’avais entretenu pendant des années, mais à chaque fois, j’avais peur d’y passer. Un jour, en vomissant un morceau de pizza, il s’est coincé dans ma gorge suffisamment longtemps pour que je vois ma vie défiler (c’est une expression, on ne voit rien du tout, on a trop peur de claquer !) Je n’ai plus jamais mangé de pizza après. Mourir étouffée par la bouffe, voilà bien une mort que je ne trouvais pas glorieuse et que je ne voulais pas voir apparaître sur mon certificat de décès.

Je n’ai pas fait de malaise comme Gwen, mais j’enchaînais les vertiges, les maux de ventre, les migraines, et les douleurs à l’œsophage. Des choses anodines mais qui misent bout à bout, m’affaiblissaient vraiment. J’avais peur que mon cœur lâche, peur que mon estomac éclate, peur de faire une fausse route. Pourtant, je ne pouvais pas arrêter.

Parallèlement, pendant que la bouffe m’étouffait littéralement, écrire me libérait. Je passais donc de plus en plus de temps sur l’ordinateur, de moins en moins à manger. J’étais fière de pouvoir limiter les crises, de les espacer, puis déprimée de ne les voir jamais disparaître définitivement...

Cet été, je suis partie en vacances avec ma fille et j’ai lancé le compte à rebours. Les J+, comme je le faisais souvent quand j’essayais de ralentir au maximum les crises, voir de m’en séparer. En général, j’atteignais J+16 avant qu’une nouvelle crise ne s’invite. À mon retour de Bretagne, dans la voiture, alors que j’étais sur le point de laisser ma fille chez son père, le compte à rebours me regardait en me demandant ce que j’allais faire. Continuer les J+ ou filer à la boulangerie...

J’en suis à J+100 aujourd’hui. Après ce trajet de retour, et ma décision de ne pas faire de crise ce jour-là, pour qui, pour quoi, la question ne s’est plus jamais posée. C’est comme si j’avais choisi de vivre au lieu de m’obstiner à essayer de me tuer.

Chaque palier a été une victoire, célébrée secrètement avec les gens qui savaient. Ils se reconnaitront, ils m’ont félicité à chaque étape, m’ont envoyé plein d’amour et d’encouragement. Et je les en remercie. Tout comme vous, les lecteurs, sans le savoir. J. Atarashi m’avait fait remarquer qu’il était risqué pour moi de m’exposer autant dans cette auto-fiction, car je disais des choses énormes, des choses que j’avais cachées pendant de nombreuses années, mais que le lien Gwen-Caroline était trop perméable, trop visible. Elle avait raison, c’était risqué, mais moins risqué que de claquer en me faisant vomir. La vie est une prise de risques perpétuels, il faut juste savoir lesquelles en valent la peine...

Lorsque j’ai constaté que le chapitre d’aujourd’hui (le 43, « meilleure amie ») tombait pile poil le jour des J+100, j’ai souri, évidemment. C’était trop gros cette coïncidence ^^ L’univers est toujours très fort ^^ Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, comme dirait Paul Éluard, et aujourd’hui j’ai rendez-vous avec la vie. J’ai passé de trop nombreuses années à flirter avec la mort pour savoir que pour le moment je préfère la tenir éloigner de moi.

La difficulté des gens qui souffrent d’addiction(s), et cela marche pour toutes les addictions, c’est de quitter le mode « survie », celui que l’on a mis en place en réaction aux évènements que l’on a eu à affronter. C’est un mode utile sur le coup, mais qui devient vite plus destructeur qu’aidant, si on ne prend pas garde à le quitter. Il devient ensuite l’habitude, le quotidien, la seule chose que l’on connait et il est très dur de changer ce cadre « rassurant » pour aller vers l’inconnu, vers la guérison.

Un jour, en rentrant d’une séance avec une thérapeute, il y a plusieurs années, j’ai entendu ce discours à la radio : « Pour remplacer une passion, il faut une nouvelle passion » et cela parlait des addictions (de l’alcool de mémoire) car même si on déteste notre addiction, elle devient une obsession, une passion. Elle occupe la majorité de notre temps, de nos pensées, de notre vie. Comme une passion. Je savais aussi que ma passion, la vraie, la saine, c’était l’écriture. Mais je ne voyais pas comment remplacer l’une par l’autre. J’avais la clef, mais pas la bonne serrure.

Alors, j’ai fait ce que je fais toujours lorsque je suis perdue : j’ai demandé de l’aide à l’Univers. Je lui ai demandé de me guider, de me montrer la voie, de m’accompagner sur le chemin.

Ce qu’il a fait, évidemment, toujours bienveillant, toujours généreux. Et petit à petit, d’étape en étape, de rencontre en rencontre, j’en suis là. À J+100. Ce n’est pas la première fois que j’arrive à atteindre un joli score, c’est la troisième fois en plus de 25 ans de carrière en addictologie. Et comme on dit « jamais deux sans trois », je me dis que c’est fois-ci, c’est forcément la bonne. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rater mon coup maintenant.

Le chapitre du jour « meilleure amie » nous parle de guérison, de décision, de rupture. Un jour moi aussi, j’ai décidé de rompre, j’ai dû le faire vraiment, pour être sûre de me libérer de l’emprise qu’avait la nourriture sur moi. Cette séance a vraiment eu lieu. Et comme après une rupture, il y a eu quelques rechutes, comme quand on revoit un ex trop insistant parce qu’un soir on n’a pas le moral ou qu’on s’ennuie. Et puis un jour, l’ex nous rappelle et on l’envoie bouler définitivement. Il n’y a pas de retour en arrière, c’est fini.

L’inconscient aime les symboles. L’inconscient aime que l’on s’adresse à lui comme s’il existait vraiment, qu’on n’y adhère ou pas, d’ailleurs. Alors j’ai rompu ce jour-là et je suis sortie de cette séance vidée, avec la sensation d’avoir fait la paix avec la partie de moi que je n’aimais pas. Celle qui avait tellement merdé, qui avait à peu près tout raté, que j’avais jugée inapte pour cette vie. La vraie séance a eu lieu il y a quelques mois, et j’en suis ressortie avec de la gratitude pour la boulimie, et pour cette femme qui avait passé toute sa vie à réapprendre à vivre pour ne pas mourir.

Je réapprends tous les jours. Jour après jour. Je réapprends à pleurer, à dire ce que j’ai à dire, à accepter que des fois je suis nulle, et que des fois je fais des choses bien. Je réapprends à accepter d’être triste ou en colère sans noyer l’émotion sous la bouffe. J’apprends à supporter ce que je ne supportais pas auparavant, les émotions désagréables. En fait, contrairement à avant, je n’ai plus besoin de camoufler ces émotions ni de combler le vide par la nourriture.

Et cela est en partie grâce à vous. Vous m’avez littéralement NOURRIE. Vos messages bienveillants, vos commentaires encourageants, vos critiques et remarques aidantes. Votre fidélité, votre soutien, tout cela m’a remplie et a participé à inverser la vapeur. La joie a pris le pas sur la tristesse et les déceptions. L’amour a remplacé peu à peu la colère et le désespoir.

Tout cela combiné ensemble a permis que je puisse atteindre ce palier facilement, car il n’y a même pas eu de difficulté majeure. Chaque fois que la pensée de refaire une crise surgissait, je me mettais à écrire, ou à relire mes chapitres et cela me faisait du bien. Pour « meubler » les temps morts et la place laissée vacante par les crises, j’ai beaucoup lu sur le site de l’atelier des Auteurs, ou les bouquins dont j’attendais la sortie avec impatience. J’ai passé du temps avec ma fille, évidemment. J’ai été au cinéma, j’ai fait des soirées dvds/Netflix, quelques shootings et quelques weekends en Bretagne... Je suis redevenue normale... tout simplement. Parfois on redoute la routine et la normalité, mais après avoir passé tant d’années à vivre en souterrain, dans une marginalité toute relative, j’ai trouvé cela salutaire. Reposant.

Suis-je guérie ? Dieu seul le sait. Mais j’ai envie de dire oui. Car je suis optimiste et rêveuse, car je suis confiante et sereine. Alors, oui je suis sur la bonne voie, la voie de la guérison, la voie de la paix, la voix du bonheur. Je marche sur cette voie depuis un moment déjà et je profite de chaque nouveau pas.

Merci à Kyllyn’, à Jean-Michel, à Julien, à Divgau, à jesuispasunerockstar, à J. Atarashi, à Philippe Barbey, à navigateurs, à Coralie Bernardin, à Tic Tac 69, à MartinSix, à Fabien qui a réalisé cette très belle photo qui fait la couverture du Tome Deux, à caminou03, Chacha2925, à Lucille, à ceux qui me lisent mais dont je n’ai pas le nom, à ceux qui me suivent ici ou sur Instagram, l’un ou l’autre ou les deux, un grand MERCI à vous pour cette célébration du centième jour, à laquelle vous avez éminemment contribué... Cœur sur vous !

Un grand merci à ma thérapeute, bien sûr et à Jérémy qui a été le déclencheur de cette saga (cela dit, il peut se coincer la bite dans une porte, j’en ai rien à carrer :-D désolée, on ne se refait pas ^^)

Caroline.

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