Chapitre 65 : L’explosif

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Sous le regard interrogateur d’Erwann, Richard raconte le coup de fil que Gwendoline avait reçu le vendredi matin, lorsqu’ils étaient tous les deux sur le point de partir et de fermer l’appartement d’Erwann. Pendant que Richard tapait le code, elle s’était éloignée de lui pour répondre au téléphone. Prêtant une oreille indiscrète, il avait compris qu’elle était en ligne avec son banquier et que celui-ci ne l’appelait pas pour la féliciter ou lui annoncer de bonnes nouvelles. Après quelques réponses furtives, Gwendoline lui avait répliqué qu’elle allait trouver une solution rapidement, et qu’elle attendait davantage de missions. Chose qu’elle avait dite en prenant l’air coupable de celle qui raconte un énorme mensonge à son interlocuteur.

Lorsqu’Erwann entend ça, son visage se pétrifie.

— Putain... J’en savais rien ! s’exclame-t-il, désabusé.

Pourtant, il réalise avec amertume qu’il aurait dû s’en douter ! Bien évidemment qu’en ayant moins de travail, elle n’allait pas rouler sur l’or. Et tout cela grâce à lui de surcroît, depuis son coup de sang contre Jocelyn à Brocéliande. Malgré tout, elle continuait de l’aider et de le soutenir. Quel idiot d’avoir été aussi inconséquent ! se morigène-t-il intérieurement.

— Bien sûr que tu auras toutes les procurations nécessaires, renchérit Erwann. Ce n’est pas un problème, j’ai entièrement confiance en toi.

— Fais-le pour elle aussi. Aide-la.

— Tu crois que je n’ai pas déjà essayé ? Le problème c’est qu’elle n’acceptera jamais. Elle refuse le moindre centime. Tu as bien vu ce qu’il s’est passé avec la voiture. J’ai dû tout annuler.

— Ben débrouille-toi pour la convaincre car, je te le dis, elle est en galère.

Les yeux tournés vers Richard, Erwann opine du chef, résolu à suivre ses conseils.

— Comment va Gwen justement ? intervient sa fille.

— Aussi bien qu’elle le puisse, je pense, d’après ce qu’elle m’a écrit. Elle est sonnée, bien évidemment. Comme nous tous...

Le détenu soupire, conscient qu’en réalité il n’en savait rien. Elle passait son temps à le protéger, ne lui montrant rien de ses sentiments face à cette affaire. Il se sent soudain très égoïste de ne pas s’être inquiété davantage de ce qu’elle devait réellement penser. Décidément, il avait accumulé les erreurs ces derniers temps.

— C’est chaud quand même… pour elle… reprend l’adolescente, dépitée. Tu t’es comporté comme un…

— Connard ? suggère Erwann, lucide.

Le Breton avait demandé à son ami d’expliquer à sa fille ce qu’on lui reprochait et de lui raconter, plus ou moins dans les grandes lignes, quel avait été son comportement des mois passés. Il espérait que Richard ait tenu parole en n’édulcorant pas la vérité.

— Pire, Papa. Une vraie ordure. Un salaud. À côté, Quentin est un enfant de cœur !

De toute évidence, Richard avait été on ne peut plus honnête. La comparaison aurait pu le faire sourire s’il n’avait pas été aussi accablé par sa pitoyable condition.

— Ouais, tu as raison. J’ai vraiment déconné. Je devrais lui rendre sa lib...

— Non, Erwann, ne fais pas ça, l’interrompt Richard en tournant la tête ostensiblement de droite à gauche, en signe de dénégation. Ne fais pas ça. N’agis pas sur un coup de tête. Rien n’est joué encore. Tu peux sortir plus vite que prévu. On y travaille. On cherche le meilleur avocat. J’ai plusieurs noms sous le coude mais les très bons sont tous débordés. Mais on va y arriver, t’inquiète.

— Les accusations sont graves, Bud.

— Et fausses, Gaz.

— Pa’, faut que t’y crois. Faut que tu t’accroches. Que tu te battes.

— Manon a raison. Baisse pas les bras, mec.

Erwann se tait, confus. S’il n’y avait que ça, mais d’autres choses le préoccupent et il doit en faire part à sa fille. Il n’avait pas eu envie de lui en parler par courrier. Il préférait le faire de vive voix, même s’il redoute à présent ce qu’il va lui révéler.

— Je sais que le moment est mal choisi pour t’annoncer cela, mais il y a quelque chose que tu dois savoir, ma chérie…

Erwann regarde Richard, qui lui fait un léger signe de tête en retour, pour l’encourager à se livrer.

— Je n’ai pas eu le temps de t’en parler car cela s’est passé très peu de temps avant mon arrestation, mais ce que je vais te dire va te faire un choc, crois-moi, et pas qu’un peu.

— Oula… encore... tu commences à me faire peur, dit-elle sur ses gardes.

L’air grave et effrayé qu’elle affiche en dit long sur les nouvelles craintes qui prennent vie en elle. Elle s’attend vraiment au pire. Lorsqu’Erwann lui raconte sa rencontre avec Anthony, la jeune fille, jusqu’alors suspendue à ses lèvres, se tourne vers Richard, le visage impassible. Puis regarde à nouveau son père, stupéfaite. Elle rompt le silence la première :

— Genre un vrai fils ? Mais il a quel âge ? Et qui est sa mère ? Il s’appelle comment ?

Erwann explique du mieux qu’il le peut la situation, avec sincérité, sans omettre son rôle peu glorieux concernant son comportement envers Solvène. Lorsque Manon-Tiphaine redemande le prénom, l’âge et le lieu de résidence du jeune homme, Erwann répond avec franchise.

— Wow. Ça fait tout de suite très réel toutes ces précisions, conclut-elle, abasourdie.

Ses yeux ronds comme des billes reflètent toute sa surprise face à cette incroyable révélation.

— Oui, je sais ma puce, je ne t’épargne pas en ce moment. Personnellement, je me réveille tous les matins en me demandant quelle est la prochaine merde qui va me tomber sur la tronche.

— Oh bah à ce stade, je pense qu’on est bon là, t’es au max quand même ! plaisante Richard pour essayer de détendre l’atmosphère.

— Mais cet Anthony, qu’est-ce qu’il te veut, au juste ? reprend l’adolescente, de plus en plus soucieuse.

— Apprendre à me connaître, j’imagine... puisque je suis son père.

— Mais il sait peut-être que tu as touché un gros héritage et c’est pour ça qu’il veut renouer avec toi ! Pourquoi il débarquerait comme ça, du jour au lendemain, sinon ?

— Je ne crois pas qu’il soit intéressé par ça... C’est juste qu’il a découvert la vérité très tard, et cela a dû lui prendre un certain temps pour le digérer et faire des recherches pour me retrouver.

— Mais, je ne comprends pas. Tu vas l’adopter ?

— Non, le reconnaître. C’est déjà mon fils.

Le regard de l‘adolescente, soudainement blanche comme un linge, s’embue de larmes qu’elle se force à contenir. Erwann lui prend les mains et la regarde droit dans les yeux.

— Qu’est-ce qui t’inquiète, ma puce ?

— Tu as toujours voulu un fils...

— Manon, Anthony ne va pas te remplacer dans mon cœur. C’est un bonus. Tu es ma précieuse, personne ne prendra ta place. Je vais juste légaliser la situation, pour que sur les papiers, tout soit en règle, que vous soyez tous les deux reconnus comme mes enfants. Tu sais, pour toutes ces histoires d’héritage et pour qu’il porte mon nom surtout, s’il le veut.

— Mais il ne te connait même pas ! Et tu ne le connais même pas non plus !

— Je sais. Manon, je sais que cette situation est déroutante pour toi. Cela dit, ne te mets pas en rogne contre lui, il n’y est pour rien. Lui aussi est tombé des nues en découvrant que l’homme qui l’avait élevé n’était pas son vrai père. Et je pense que ça doit être terrible d’être la victime de la trahison de sa propre mère.

Erwann le sait d’autant mieux qu’à peu de choses près, il avait vécu une situation similaire, n’apprenant que tardivement la vérité sur l’existence de son géniteur. Mama, comme Solvène avec Anthony, avait longtemps conservé le secret, trompant Erwann durant son enfance et une partie de son adolescence. L’histoire se répète, constate-t-il à regret pour lui-même. La différence entre le cas d’Erwann et celui d’Anthony était pourtant notable. Le père d’Erwann avait su pour la naissance de son fils, l’avait reconnu, puis s’en était détourné comme si l’enfant avait été un objet défectueux. Lui donner son patronyme et lui léguer une fortune colossale n’avait pas suffi à contrebalancer la douleur de ce rejet, que le Breton n’avait jamais accepté.

De peur que sa fille ne nourrisse des sentiments négatifs à l’égard de son demi-frère, Erwann prend la défense du jeune homme :

— Anthony n’est pas responsable, ma puce. Et si tu apprends à le connaître, tu te rendras compte que cela peut être une bonne chose dans nos vies.

Manon-Tiphaine est à présent en larmes, submergée par les peurs que cette découverte déclenche en elle. Pour elle, ce frère tombé du ciel n’est pas un cadeau. C’est juste le fils prodigue qu’Erwann avait toujours voulu mais dont il avait été privé si longtemps. Effrayée d’être relayée au second plan par ce concurrent déloyal, la panique l’envahit.

— Mais… mais je veux pas que tu l’aimes plus que moi ! dit-elle en se jetant dans ses bras.

La sonnerie signalant la fin du parloir retentit, implacable et cinglante.

— Putain, rugit Erwann, tandis que sa fille est en train de verser de chaudes larmes dans son cou. C’est pas possible !

— Fin de parloir Le Bihan, annonce le maton en passant dans le couloir.

Voyant que les trois occupants de la cabine ne bougent pas, ce dernier vient toquer à la vitre et répète plus fort :

— Parloir terminé ! Le Bihan, levez-vous et sortez.

Manon s’accroche à son père, complètement désespérée, et Erwann la serre plus fort que jamais :

— Manon, ma puce, je t’en prie, soit forte, je t’en supplie.

Sa voix est cassée, en écho au cœur brisé de son enfant pendu à son cou. Erwann jette un regard suppliant en direction de Richard, qui lui répond d’un hochement de tête. Ce dernier sait qu’il va devoir prendre le relai et gérer cette crise après le départ du père. Des trémolos dans la gorge, Erwann ajoute :

— Richard est là, il va s’occuper de toi ma puce. Il va… te raccompagner à la maison.

Sur l’ordre silencieux d’Erwann, Richard se lève de sa chaise et, à contrecœur, arrache la jeune fille des bras de son père dans un mélange de force et de douceur.

Deux surveillants déverrouillent la porte et attendent Erwann dehors, le visage renfrogné. Ce dernier, bouillonnant de rage, se lève brutalement sans jeter un dernier regard aux deux visiteurs. Puis passe la porte en deux enjambées rapides, une expression dure et froide affichée sur sa face esquintée.

Dans la prison, les murs semblent aussi épais qu’une feuille de papier à rouler. Lorsque le détenu est à l’extérieur de la cabine exiguë, dans le couloir, Richard et Manon-Tiphaine l’entendent hurler :

— Putain de bordel de merde !!! Lâche-moi connard ou je t’en colle une ! Lâchez-moi ou je vous défonce !!!!!!

Manon-Tiphaine sursaute en resserrant ses bras autour de Richard. Ce dernier ferme les yeux, conscient qu’Erwann est littéralement en train de péter les plombs de l’autre côté de la mince cloison. La détresse de son ami lui fend le cœur, tout autant que les larmes désespérées de sa fille, s’épanchant à grandes eaux contre son torse.

Gaz, ne lutte pas, ne lutte pas, je t’en prie. Ne dis rien, laisse-les croire qu’ils ont gagné.

Des bruits de coups et de brimades se font entendre à travers le mur en préfabriqué, laissant imaginer que le détenu se débat, aux prises avec plusieurs personnes, qui essaient probablement de le maîtriser. Un dernier gros bruit sourd résonne, suivi d’un silence lourd de signification, informant Richard qu’ils y sont parvenus. Plus personne n’entend Erwann. Richard visualise malgré lui son meilleur ami à terre derrière la cloison blanche en placo, probablement K.O.

Ils l’ont eu. Ils ont eu mon pote. Connards !

Lorsque l’on vient déverrouiller l’autre côté de la cabine, celui par lequel les deux visiteurs sont entrés, Richard emmène Manon-Tiphaine, en la portant presque à bout de bras. Les yeux brillants, il regarde la surveillante qui vient les chercher :

— C’est pas bien ce que vous faites, Madame, c’est pas humain.

Lorsqu’il se réveille à l’infirmerie, Erwann est sonné.

— Je ne pensais pas vous revoir si tôt, Monsieur Le Bihan.

— Humm... ma tête... qu’est-ce qui s’est passé ?

— Un surveillant a fait du zèle. J’ai fait un rapport au directeur, allant dans votre sens. Cette personne a déjà eu des problèmes de comportement de ce genre. Il sera sanctionné.

— J’ai perdu mon calme, reconnait Erwann.

— Oui, mais d’autres membres du personnel auraient eu plus de tact au vu de la situation. La prison est une poudrière. Ce n’est pas malin de gratter une allumette près d’une bonbonne de gaz.

Erwann sourit en entendant son surnom, qu’il confie à l’infirmière. Il lui explique l’origine de ce sobriquet, en précisant que c’était justement le meilleur ami qui était venu le voir aujourd’hui qui le lui avait trouvé. Et que ce dernier l’avait rebaptisé ainsi en raison de ses talents sur la piste de danse.

— Je ne sais pas si c’est seulement lorsque vous dansez que vous vous enflammez, dit-elle en souriant, mais au quotidien, vous avez l’air explosif, Monsieur Le Bihan.

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