Chapitre 76 : Les petits champions

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Gwendoline sursaute lorsqu’Emma apparaît subitement dans l’encadrement de la porte de la cuisine. Aussitôt, elle retire la main de son ventre et la porte à sa poitrine, comme si elle voulait s’assurer que son cœur n’ait pas lâché.

— Tu as failli me faire avoir une crise cardiaque ! s’esclaffe-t-elle devant l’air malicieux de sa fille.

Cette dernière, véritable boute-en-train, ne perd jamais une occasion d’amuser la galerie. Devant l’air faussement chafouin qu’affiche sa mère, elle se pend à son cou et l’embrasse sur la joue pour se faire pardonner.

— Désolée, mais c’était trop tentant, la taquine-t-elle. Encore en train de regarder le tableau ? Il ne va pas s’envoler tu sais !

— Je ne peux pas m’en lasser, soupire la mère, en reportant son regard dessus. Tu es sûre d’être toujours d’accord pour que je donne le préavis de la maison ?

— Tu ne l’as pas encore envoyé ? s’étonne l’enfant.

— Pas encore, effectivement. Non pas que je doute que cela soit la bonne décision, c’est juste... que c’est une évolution importante pour toutes les deux. Ça mérite réflexion.

Comme à son habitude, lorsqu’elle devise avec sa fille de sa relation avec le beau Breton, Gwendoline a le sentiment de marcher sur des charbons ardents. Échaudée par la déception d’Emma face à l’annulation de leur week-end à Disney, elle s’oblige à faire preuve de réserve dès qu’il s’agit de nouvelles entreprises dont Erwann est à l’origine. Mais contrairement à sa mère, Emma ne se pose pas autant de questions et prend son bonheur argent comptant. C’est avec sa ferveur habituelle que celle-ci contre-attaque :

— Eh bien tu devrais arrêter de faire chauffer tes neurones à propos de tout ça, sinon on va finir pas voir de la fumée te sortir des oreilles ! Moi, je suis impatiente d’emménager dans notre superbe appartement, avec notre magnifique terrasse ! Depuis que tu me l’as fait visiter, j’en rêve la nuit ! En plus, il y a trois chambres, avec chacune leur salle de bain. C’est carrément génial. La suite parentale sera pour toi et mon beau-père, bien évidemment. L’autre pièce pour ma grande sœur et la dernière, qui est libre, pour moi. Comme si on m’attendait là-bas !

Gwendoline se met à rire en écoutant les projets d’agencement de sa gamine surexcitée. Elle se retient de lui dire qu’en réalité Manon-Tiphaine n’aime pas spécialement séjourner dans la cité nantaise, trop bétonnée à son goût, et préfère largement résider dans la villa de Crozon. De fait, les deux chambres qui entourent la suite parentale devraient potentiellement servir à Emma et au futur bébé qui grandit en son sein et dont personne n’a encore connaissance. N'étant que dans son premier trimestre de grossesse, Gwendoline préfère se montrer prudente et patienter avant de l’annoncer. D’un commun accord avec Erwann, ils avaient décidé de conserver cette information pour eux jusqu’à son entrée dans le quatrième mois.

— Et pour le fils d’Erwann, comment on va faire ? interroge la gamine, dont l’esprit tourne à plein régime.

Après l’incarcération de son compagnon, Gwendoline avait parlé à sa fille de la découverte de cet autre enfant, issu d’une précédente relation. Information qui n’avait pas perturbé Emma outre mesure, au grand soulagement de sa mère.

— C’est presque un adulte, tu sais, il ne viendra jamais vivre avec nous.

— Peu importe, il sera le bienvenu à la maison en tout cas. J’ai toujours dit que je voulais un grand frère, puis j’ai changé d’avis car je préférais une grande sœur. Mais maintenant, c’est comme si l’Univers m’avait entendu et m’envoyait les deux en même temps ! C’est encore mieux que ce que j’avais imaginé !

Gwendoline éclate de rire face à cet enthousiasme communicatif. Les yeux d’Emma pétillent tellement qu’elle a l’impression que c’est Noël avant l’heure pour sa fille et que celle-ci ouvre chaque jour une case supplémentaire d’un calendrier imaginaire.

— En réalité, c’est souvent comme ça que cela se passe. On anticipe des choses, on réclame des évènements, et au final, on reçoit plus que ce que l’on a demandé.

Avec nostalgie, Gwendoline se remémore cette phrase de développement personnel qu’elle avait autrefois épinglée sur le mur au-dessus de son bureau. Cette dernière s’inspirait d’une citation de François Truffaut et disait en substance : « Je m’ouvre au champ infini des possibles car la vie a toujours plus d’imagination que moi ».

Elle se souvient combien ce mantra l’avait motivée pour dépasser ses croyances limitantes et aller plus loin que son esprit l’y autorisait. Pour l’enfant apeurée et percluse de pensées toxiques qu’elle était encore au fond d’elle, cette phrase avait ouvert un vaste monde d’opportunités. Grâce au pouvoir rassérénant des mots, qui s’écoulaient en elle comme de l’eau bienfaisante dans une terre aride, Gwendoline était devenue plus forte et vaillante pour affronter ses défis.

La magie opérait à chaque fois et opère encore aujourd’hui. Quand elle a besoin de s’abreuver à une source régénérante, elle puise dans ses cahiers d’écriture et journaux intimes. Ceux-ci sont remplis de belles citations et il lui suffit de les ouvrir et de s’y plonger pour éprouver un regain d’énergie.

La lettre d’Erwann venait d’ailleurs de lui procurer le même effet. En la parcourant, elle s’était sentie nourrie de toute cette gratitude qu’il exprimait à son égard. Ce constat l’enchante. Erwann lui fait du bien. Même à distance, il lui apporte ce dont elle a besoin. Les mots détiennent indéniablement un puissant pouvoir guérisseur, se dit-elle pour elle-même, avant de se faire aussitôt la remarque qu’ils peuvent, également, se montrer destructeurs.

— J’ai vraiment hâte d’y être, reprend Emma, le visage illuminé, en tournant sur elle-même.

— Tu m’en diras tant, lui rétorque Gwendoline, enchantée de la voir si joyeuse. Moi aussi, ma chérie, moi aussi. Tout est en bonne voie à présent et il n’y a plus qu’à s’attendre au meilleur pour que celui-ci arrive. Mais avant cela, nous avons un diner à préparer. S’il te plaît, aurais-tu l’obligeance d’arrêter de faire la toupie, ça commence à me donner le tournis !

Le ton délibérément pompeux utilisé par Gwendoline faire rire Emma aux éclats. Heureuse, elle se jette dans les bras de sa mère et se pelotonne contre elle pour un tendre câlin improvisé.

— Je t’aime maman.

— Moi aussi je t’aime ma princesse, répond-elle en l’embrassant. Et toujours plus grand que l’Univers et plus fort que l’océan, comme depuis que tu es née.

Après quelques instants serrées l’une contre l’autre, elles se détachent sur un dernier baiser.

— Allez, enfilons nos tabliers, déclare la maman pour s’encourager. Cette délicieuse soupe maison ne va pas se faire toute seule.

Tandis qu’Emma se lave les mains et s’équipe pour cuisiner, Gwendoline saisit le courrier d’Erwann et le glisse dans la poche arrière de son jean. Elle se réserve la fin de la lecture pour après dîner, lorsqu’Emma sera couchée. Concernant le préavis de départ qui attend dans son sac, elle se fait la promesse de le poster demain à la première heure.

Une fois protégées de leur tenue de travail domestique, c’est légères comme une brise d’été que toutes les deux se mettent à chanter en épluchant les légumes. La cuisine se met à résonner de ces échos de félicité qui accompagnent toute décision prise avec le cœur. Gwendoline ressent cette joie au plus profond d’elle-même, comme si son âme la validait. Alors elle se laisse emporter par ce tourbillon céleste qui s’accompagne de belles promesses.

À l'heure du coucher, une main posée sur son ventre légèrement bombé, l’autre tenant la missive d’Erwann, Gwendoline savoure ce moment de quiétude. Sa paix intérieure est d’autant plus grande qu’elle sait désormais qu’Erwann a autant de chance d’être le père de l’enfant qu’elle porte que le client qu’elle soupçonnait de l’avoir engrossée. Et cette information change considérablement la donne. Comme lui, elle prend désormais le parti de se tourner uniquement vers cette éventualité plutôt que sur l’autre, beaucoup moins plaisante. Depuis cette révélation, elle n’a plus en tête de subir un énième avortement et se montre, au contraire, plus attentive que jamais à sa santé. Par acquis de conscience, elle avait pris rendez-vous avec son médecin traitant pour commencer un traitement à l’acide folique, vitamine recommandée à toute femme envisageant ou démarrant une conception. Dans la foulée, elle avait également programmé sa première échographie, qui devait avoir lieu un mois plus tard, juste avant Noël.

Étant donné que ni son âge, ni la pilule abortive, qu’elle avait prise trop tardivement, n’avaient eu raison de cette nouvelle vie en gestation, Gwendoline est désormais persuadée que le bébé qui grandit en elle ne peut être que l’œuvre d’Erwann. Un embryon aussi têtu et tenace ne peut résulter que d’une création du Breton ! Elle se souvient parfaitement du manque de vivacité et de la difficulté éprouvée par son client pour maintenir une érection vaillante lors de leur unique rapport. Cela la convainc de penser qu’une telle absence de vigueur ne peut donner une semence bien fertile. Alors qu’a contrario, elle ne doute pas que les réserves de petits soldats d’Erwann, connu pour son tempérament de feu, contiennent des milliers de futurs petits champions.

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