Chapitre XXVIII

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La lumière matinale de ce vendredi était idéale, et Bébert achevait la seconde couche de peinture au plafond. La loge serait bientôt prête. Le futur gardien de la « Maison pour tous » avait déposé son préavis la veille : il rendrait son deux pièces fin mai, pour s’installer chez Jacky dans la foulée. Avec Françoise, ils avaient recensé plusieurs aménagements nécessaires avant l’ouverture du refuge, à commencer par le cloisonnement de la partie cave à vins. Ce déménagement prématuré lui permettrait de bricoler à son rythme, sans pression, tout en économisant trois mois de loyer.

Tout bénéf ! pensa Bébert en se moquant de lui-même.

Pour la première fois de sa vie, il découvrait la satisfaction de s’investir dans un projet et songeait même à épargner. Dilapider ce pécule providentiel en refaisant le monde au coin du bar lui paraissait désormais stupide, voire inconvenant. Il trouvait bien plus économique, et donc respectueux envers l’abnégation de Jacky, de picoler tout seul à la maison.

Midi sonna, alors que Bébert estompait les dernières traces de rouleau. Satisfait de son travail, il descendit de l’escabeau, décapsula une bière et alluma la télé sur une chaine d’info. Les mutineries sévissaient depuis maintenant cinq jours. Des meneurs émergeaient d’ores et déjà du tsunami de populace soulevé par le mouvement des « gilets verts », comme l’avaient baptisé les médias. Ces influenceurs appelaient à une mobilisation nationale pour le week-end. « Retour à la Terre » résonnait en mot d’ordre et le code vestimentaire, relayé depuis quelques jours par tous les réseaux, s'érigeait en signe de ralliement. Les émeutiers se confectionnaient des pardessus en cousant, ficelant, tressant toutes sortes de feuillages et autres branchages pour manifester ainsi fagotés devant les caméras. Les inspirations de style s’échelonnaient de la plus stricte rigueur militaire, façon treillis sans rien qui dépasse, à l’hérésie psychédélique, délirante et farfelue. On pouvait presque psychanalyser un manifestant à son accoutrement. Le panel de profils était aussi large que celui des costumes. Du casseur violent au petit rebelle en quête d’identité ; en passant par le militant convaincu, en qui le texte de Jacky résonnait vraiment : d’une certaine manière, chacun affichait la case dans laquelle il rentrait par sa tenue. En nettoyant ses pinceaux, Bébert ne put retenir un éclat de rire ému à la vue d’une pancarte « JE SUIS JACKY », quelque part dans la foule d’un rassemblement le matin même, à Paris.

La sonnette retentit à cet instant mais Françoise ne prit pas la peine d’attendre qu’on lui ouvrît la porte pour entrer.

— Bonjour Bertrand. Alors où est-ce qu’on en est ?

— Ah, Françoise...Tu tombes bien, je termine à l’instant.

— Les émanations de solvants ont l’air dangereuses, dis-donc... On t’entend rire de dehors ! 

— Non, non, regarde : notre Jacky est une star !!! s’exclama-t-il en montrant l’écran du doigt. Je t’offre une bière ?

— Volontiers ! Dans ce cas, je vais chercher un pâté-croûte chez P’tit Pain… Ça te dit qu’on mange un morceau ensemble, devant les infos ?

— Ma foi, avec plaisir !

Alors qu’ils terminaient de déjeuner, la vidéo où l’on apercevait une pancarte « JE SUIS JACKY » tournait en boucle. Bébert en profita pour s’enquérir de nouvelles des deux aventuriers.

— Aucune depuis la semaine dernière, répondit laconiquement Françoise. Ils ont quitté la zone de couverture. Jacky ne sait même pas qu’il est célèbre !

Une sonnerie de téléphone résonnant dans son sac à main interrompit Françoise et son air mélancolique. À la vue du nom sur l’écran, elle sembla aussi surprise que ravie.

— Excuse-moi, Bertrand. Je dois répondre…

— Oui, oui… Aucun souci ! approuva Bébert en s’emparant de la télécommande pour baisser le son.

— Iris… Quelle joie de t’entendre ! Comment vas-tu ? (…) Vraiment ? Quelle bonne idée ! (…) Ne t’inquiète pas pour le compte rendu de la réunion, il n’y a pas d’urgence ! (…) Nous sommes justement chez Jacky avec Bertrand. (…) Écoute, je lui en touche deux mots et on se tient au courant dans l’après-midi, ok ? (…) D’accord. Bisous, ma belle. À tout à l’heure…

En raccrochant, l’excitation de Françoise était palpable. Elle se tourna vers Bertrand avec un sourire espiègle.

— C’était Iris… Tu sais, la secrétaire du collectif ?

— J’ai cru comprendre, oui…

— Ils montent tous à Paris demain pour la manif : Gaëlle, Michel, Simon, Jessica et Nadège. Elle appelait pour nous proposer de nous joindre à eux…

— Et comment ! s’exclama Bébert euphorique. J’en suis !

— Ils prennent le TGV de huit heures vingt-sept, gare centre. Arrivée prévue gare de l’Est à neuf heures onze. Je te prends ici vers sept heures trente, ok ?

— Mais…

— Tu n’es pas encore installé, oui, je sais ! coupa Françoise. Il y a ici un canapé et tu trouveras des couvertures dans la chambre de Jacky… dans la grande armoire normande. Au-delà du prix de l’essence, je trouve un peu couillon de payer deux stationnements en zone rouge pour la journée, et je t’avoue que le détour par ton appartement à Verzenay ne m’enchante guerre !

Bébert n’eut d’autre choix que d’acquiescer sans broncher. En levant la tête vers l’horloge, Françoise se leva et reprit en enfilant sa veste polaire :

— Je m’occupe de récolter des feuilles, des sarments et tout ce que je trouverai d’utilisable pour nos tenues, cet après-midi aux vignes. Vois si tu nous trouves quelque-chose d’original au jardin. Ah oui, j’oubliais… Tu n’as rien contre l’idée qu’on organise un petit atelier « haute couture » ici ce soir avec Iris ?

— Bien sûr que non…

— Parfait ! Je finalise tout ça avec elle et on se retrouve ici vers 18 heures ?

La porte claqua, laissant Bébert en tête à tête avec sa perplexité.

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