Chapitre XXXI

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À son arrivée dans le bureau de Rollman, la première chose qui frappa Bébert fut l’horloge accrochée au mur. Elle affichait quatre heures moins cinq.

En remontant de sa cellule, somnolent et désorienté, le premier contact avec la lumière du jour l’avait inconsciemment influencé pour se resituer dans le temps : quelque-part dans le milieu de la matinée. La prise de conscience était brutale, il avait passé plus de vingt-quatre heures au trou ! De plus, la tronche de ce flicard outrecuidant au réveil le révulsait... Double peine ! Un peu comme, lors de ses gueules de bois dominicales, lorsque sa mère s’invitait à l’heure du goûter pour le sermonner sur sa vie de débauche.

— Alors, Monsieur Grasson… bien dormi ? ironisa le capitaine.

Bébert demeura silencieux, l’air penaud. Il avait égaré son sens de la répartie au même endroit que sa notion du temps : au sous-sol, bien au frais, dans une cage en béton de cinq mètres carrés.

— Je vais être direct, reprit Rollman. Votre ami, pardon… Jacques Ternier risque au bas mot soixante-quinze mille euros d’amende et trois ans d’emprisonnement pour provocation directe à la rébellion. Ça c’est la base, le minimum syndical que prévoit le code pénal... Malheureusement, ça risque d’aller beaucoup plus loin ! De là où vous étiez, vous n’avez pas pu regarder les infos mais les émeutes se sont intensifiées cette nuit et prennent des proportions démesurées. Une partie des insurgés n’a rien en commun avec vos idées de désobéissance civique non violente. Comme à chaque soulèvement du peuple, ces enragés profitent de la situation pour extérioriser la haine qui les anime mais cette fois, certains arrivent carrément armés ! Je parle d’armes à feu : des révolvers, des fusils de chasse… On déplore deux policiers et huit mutins décédés, ainsi que plusieurs blessés. On est à deux doigts de la guerre civile, le président est sur le point de mobiliser l’armée, c’est une question d’heures ! S’ajoutent à cela de lourdes dégradations sur les domaines publics et privés, il y en a pour des millions… Je peux vous garantir que le procureur ne va pas y aller avec le dos de la cuillère ! Donc de deux choses l’une : soit vous me dites où il est et vous êtes libres, soit vous persistez dans votre silence et vous vous rendez complice. À vous de voir…

Bébert hésita un instant avant de se lancer :

— Avant de commencer, il y a quelque-chose qui me tracasse depuis hier…

— Je suis tout ouïe, répondit le capitaine.

— Est-ce que, dans le rapport de fouille, il est noté qu’ils ont trouvé une boulette de shit sur moi ?

Surpris, Loïc Rollman fit un signe de tête à Lisa Grandeau. En quelques clics, Elle fut en mesure de répondre :

— Négatif ! Sont référencés un billet de train, trente-cinq euros en espèces, un téléphone portable, un paquet de tabac, des feuilles à rouler et un trousseau de clés.

— J’en étais sûr, gronda Bébert. Eh ben, notez-le ! À l’heure qu’il est, ces deux ripoux sont en train de le fumer ensemble ! Y avait environ un gramme… Du double zéro bien gras de première qualité, notez bien ça !

Rollman reprit d’une voix qui se voulait apaisante :

— Monsieur Grasson, vous êtes conscient que quoi qu’il advienne, nous ne vous rendrons pas votre haschich, n’est-ce pas ? C’est illégal.

— Je le sais bien ! Mais la loi est la même pour tout le monde, non ? Ces deux salopards l’ont ôté de ma poche pour le mettre dans la leur en toute impunité. C’est scandaleux ! Notez, je vous dis…

Perplexes, les deux agents échangèrent un regard. Lisa Grandeau pianota quelques secondes sur son clavier et montra le résultat de sa recherche à son supérieur. Rollman afficha un air satisfait :

— Monsieur Grasson… Mentionner cela dans le rapport irait à l’encontre de vos intérêts. Regardez vous-même votre dossier : nous avons là une saisie de cannabis à la frontière belge le 22 septembre dernier, une autre sur l’autoroute A6 au péage de Villefranche sur Saône ; encore une autre ici, entre Charleville-Mézières et Sedan par les douanes volantes… Et la recherche ne concerne que les cinq dernières années ! Si je consigne cet incident, vous risquez fort d’être convoqué au tribunal et d’écoper d’une obligation de soins.

Le quinqua marginal hésita quelques instants avant de capituler.

— Bon ok, passons… Mais sachez que vous avez des brebis galeuses dans le troupeau !

— J’en prends bonne note, assura le capitaine avec un sourire goguenard. Si nous revenions à l’affaire qui nous occupe… Où est Jacky ?

Bébert ôta ses lunettes, ferma les yeux et vint poser les mains sur son visage grimaçant. Du bout des doigts, il semblait vouloir déplacer ses paupières jusqu’à ses tempes.

— Je… J’ai besoin d’une bière. Une cigarette et une bière ! murmura-t-il à demi-mot pour lui-même.

Rollman sauta sur l’occasion.

— Avec plaisir… Donnez-moi juste un lieu pour me prouver votre bonne foi et on continue la discussion autour d’une bière. Lisa, tu veux bien aller nous chercher de la bière et le scellé de Monsieur Grasson, s’il te plaît ?

Tiraillé entre son intégrité et les addictions qui le rongeait, Bébert resserra les poings autour de son crâne comme pour s’arracher les cheveux.

— Allons Monsieur Grasson, juste une ville, un pays et tout sera term…

— En Guyane… Il est en Guyane ! lâcha Bébert à bout de nerfs.

— Eh bien voilà… Vous voyez, ce n’était pas si difficile.

Le major Grandeau réapparut avec une bouteille de bière d’abbaye, des verres et un sachet plastique comme ceux que utilisés pour la congélation, à la différence près que son ouverture était scellée du sceau RF. Après l’avoir décacheté, le capitaine en déposa le contenu sur le bureau. Il tendit à Bébert son paquet de tabac et lui servit un verre de bière.

— Alors… Où ça en Guyane ?

— Ça je vous jure que personne ne le sait à part lui et le pote qui l’accompagne… Il est parti pour vivre en autarcie, en pleine jungle.

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