Ennui

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Dans le salon étriqué d'Arthur et Molly Weasley, Hermione contemplait le feu pétiller dans la cheminée. Elle était plus que jamais consciente du poids du volume relié dans sa poche. Pourtant, les distractions ne manquaient pas. Reconstruit depuis plusieurs années, le Terrier bruissait de la vie trépidante qui l'avait toujours animé, comme si la guerre n'était jamais arrivée. Pourtant, elle était arrivée. Ici et là, quelques objets sauvés de l'incendie portaient encore la trace du passage des Mangemorts. C'était subtil, mais c'était bien là. Un rideau recousu. Une assiette fêlée. Une page arrachée d'un livre...

Le monde sorcier s'efforçait de l'oublier, mais depuis quelques temps, Hermione, elle, ne pensait qu'à ça. Douze ans auparavant, le Terrier avait été réduit en cendres à l'endroit même où elle se tenait. Aujourd'hui, sa fille Rose tournait en rond autour du canapé...

« Pourquoi tu penses à ça ? »

« Parce que tout me semble... »

« Quoi ? Dis-le ! Tout te semble quoi ? »

« Tout me semble irréel ! »

Hermione serra les poings pour se calmer. Le coin du livre s'enfonçait dans sa jambe, lui rappelant sa présence, comme une pointe rouge, vive, acérée, à l'assaut de sa conscience.

« Comme si je risquais de l'oublier... »

Elle avait été surprise par le choix du titre, elle devait l'avouer. « Les Contes Macabres », d'Edgar Allan Poe.

« Malefoy... A quoi pensais-tu en me prêtant ça ? »

« A rien. », persifla aussitôt son esprit. « C'est Malefoy, à quoi veux-tu qu'il pense ? »

Pour une fois, Hermione ignora sa raison. Elle connaissait déjà les Contes Macabres, elle adorait Edgar Poe. Bien sûr, Malefoy ne pouvait pas le savoir. Mais ce qui l'avait surprise, c'était... Le choix d'un tel auteur. Le choix d'Edgar Poe. Le choix d'un Moldu.

Drago Malefoy lisait de la littérature Moldue du XIXe siècle.

Et pour Hermione Granger, le monde s'en trouvait changé.

– Maman, je veux du jus de citrouille !

Hermione sursauta. Sa première réaction fut la colère, jusqu'à ce qu'elle croise le regard de son fils :

– Demande à papa, mon chéri...

Elle regarda l'enfant s'éloigner, plus que jamais consciente de cette chose qui oppressait son esprit, de cette barrière qui était tombée sur elle, sans qu'elle ne s'en rende compte, la coupant du monde autour d'elle.

« Mais à quoi tu penses, ma pauvre... ? »

Elle faillit remercier Arthur Weasley lorsqu'il appela tout le monde à table. De la distraction, par pitié. Empêcher ses pensées de tourner en rond...

Ce fut seulement lorsqu'elle fut à table qu'Hermione réalisa l'ampleur de cette chose qui la submergeait. L'Ennui. Un décalage impossible à rattraper. Un gouffre béant qui s'ouvrait autour d'elle, qui lui criait de s'enfuir, de hurler, de faire quelque chose de fou. Elle avait follement envie de lire...

Pour redécouvrir l'écriture de Poe, l'angoisse, la poésie, les sensations intrusives, intimes, le malaise, la vie, la mort... Mais aussi parce que c'était Malefoy qui l'avait choisi. Relire les nouvelles de Poe à la lumière de ce nouvel éclairage, de cette nouvelle perspective, chercher dans ces lignes ce qui avait tant séduit le propriétaire du livre, ce qu'il avait voulu lui transmettre en le lui prêtant... Respirer l'odeur du papier, sentir une petite partie de son monde, quelque chose qu'il avait touché, tenu entre ses doigts...

« A quoi ça rime tout ça ? Tu deviens complètement folle... ! »

– C'est l'histoire d'un homme qui s'échoue sur une île déserte, avec un chien et une chèvre.

Pitié, non. Ron venait de se lancer dans sa blague sur l'homme et la chèvre. Tout à coup, l'atmosphère de la pièce grossit, enfla jusqu'à saturer, l'écraser, et s'en fut trop. Hermione se leva brusquement de table et s'enfuit dans la cuisine. Harry et Ginny, ses voisins directs, lui jetèrent un regard intrigué mais reportèrent vite leur attention sur Ron. Tous les autres étaient déjà pendus à ses lèvres.

Enfin seule dans la cuisine, Hermione éclata en sanglots.

« Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi est-ce que je suis aussi... bouleversée ? C'est tellement stupide ! »

Le fait est que pendant un bref instant, Hermione avait vu rouge. Pendant un bref, un terrible instant, elle n'avait plus supporté d'entendre la voix de Ron, et cette blague idiote, et la dinde rôtie au milieu de la table, et les cheveux roux, les pulls dépareillés, les imbécillités des enfants...

Pendant un bref instant, Hermione avait vu sa propre vie comme si elle l'avait déjà vécue. Prévisible. Tout lui était devenu familier, trop familier, douloureusement familier. Elle pouvait prévoir jusqu'à la moindre mimique qui marquerait les traits de Ron. Les inflexions de sa voix pour amener jusqu'à la chute. Pourquoi ne pouvait-elle plus les supporter ?

Poussée dans une dangereuse introspection, Hermione sonda son cœur, se questionna, sous la lumière chaude de cet après-midi étrange. Elle aimait son mari. Elle aimait ses enfants, et sa belle-famille. Pourtant aujourd'hui, elle avait envie d'être ailleurs. Elle voulait prendre un instant pour elle, et lire. Un désir palpitant et inexpliqué brûlait en elle, aux frontières de l'inavouable, de ce qu'elle ne pouvait pas accepter.

Elle voulait parler à Malefoy.


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