Folle amitié

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Je réfléchis finalement encore trois jours à la demande de Gabi et de Mathilde. Ma décision est prise mais je prends le soin d'envoyer un dernier message à Lou avant de me rendre chez Gabi pour l'annoncer à mes amies :

" Coucou mon ange, je vais aller annoncer la nouvelle dans deux petites heures aux filles. Si tu as le moindre doute, tu peux encore me le dire maintenant et je changerai ma décision. Après, ce sera extrêmement compliqué pour moi de faire marche arrière sans avoir l'impression de les trahir. Je t'aime. "

Elle me répond dix minutes plus tard :

" Je n'ai pas changé d'avis, j'ai aucun doute. Demande à Gabi de m'appeler une fois que tu l'auras avertie, j'ai hâte d'entendre ma meilleure amie pleurer de joie au téléphone. Je t'aime mon amour. "

Deux heures plus tard, je frappe à la porte de Gabi et Mathilde. Gabi m'ouvre me fait notre petit câlin habituel puis m'invite à entrer, je lui demande :

  • " T'es toute seule ? "

Elle me répond :

  • " Oui, Mathilde est chez sa mère à Paris depuis deux jours, elle ne rentrera que très tard ce soir. Ça me fait plaisir de te voir. "

Gabi n'accompagne que très rarement Mathilde chez sa mère. Le courant a énormément de mal à passer entre ma meilleure amie et sa belle-mère.

Je lui réponds :

  • " Moi aussi, je suis content de te voir. "

Je crois qu'elle pense que je n'ai pas encore pris ma décision. Elle me propose :

  • " C'est cool, tu vas pouvoir prendre le petit-déjeuner avec moi, en plus j'ai des petits pains au chocolat. "

Je souris, elle me sourit elle aussi. J'accepte volontiers :

  • " Super, j'ai rien mangé encore ce matin, je peux avoir un petit café avec ? "
  • " Évidemment, grande tasse et serré sans sucre ? "

Elle n'a rien oublié de nos années de colocation et moi non plus, je sais déjà qu'elle va se servir un thé au citron avec une petite cuillère de miel.

Elle apporte le tout sur la table. Je commence à poser mes lèvres sur le café tout en la regardant en souriant. Même si nous nous voyons très souvent, nous n'avions pas pris ce repas seuls depuis si longtemps, je trouve cela agréable.

Pourtant au bout de quelques secondes, je distingue dans son regard quelque chose d'assez inhabituel, un sentiment de tristesse qu'elle essaie par tous les moyens de cacher. C'est le moment que je choisis pour lui dire :

  • " C'est d'accord Gabi. "

Durant deux ou trois secondes, son cerveau ne semble pas comprendre la signification de ces petits mots. Ensuite, c'est à mon tour de ne rien comprendre.

Une fois qu'elle semble avoir assimilé ce que mes mots signifiaient, elle devient blanche, ne semble ressentir aucun bonheur, bien au contraire. Elle éclate en sanglot, honteuse, puis fuit rapidement vers sa chambre.

J'aurais aimé croire qu'il s'agissait de larmes de joie mais il est évident que ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

Malgré mon incompréhension la plus totale, je pars la rejoindre dans sa chambre. Elle pleure toutes les larmes de son corps, allongée sur son lit. Sa douleur semble si forte que je finis par la ressentir moi aussi dans ma poitrine. Je la rejoins sur le lit et je la prends dans mes bras pour la serrer contre moi, sans prononcer le moindre mot, en attendant patiemment qu'elle se calme.

Ce rôle que je tiens me fait penser à celui qui a été le sien lorsque j'étais rentré de Sarlat, il y a maintenant plus de 6 ans. Elle avait eu la patience de calmer mes nombreuses crises de cette manière, tout simplement en me tenant contre elle et en laissant mes larmes s'écouler.

Cinq bonnes minutes sont nécessaires pour que ses sanglots s'épuisent. Je dépose un doux baiser sur son front et je lui demande simplement d'une voix douce :

  • " Ça va mieux ? "

Elle inspire, relève sa tête qu'elle avait niché sur ma poitrine tout ce temps, puis me réponds, les yeux toujours souillés par sa douleur :

  • " Excuse-moi Martin. J'ai craqué. "

Je la rassure :

  • " C'est pas grave ma belle, ça arrive à tout le monde. "

Après lui avoir adressé quelques tendres sourires, je reprends :

  • " Tu te sens capable de m'expliquer ? Si tu veux pas pour l'instant, je comprends. "

Elle inspire fortement à nouveau et fait les efforts nécessaires pour retrouver un calme relatif, enfin, elle répond :

  • " J'avais l'intention de te parler, de te dire que finalement, tu pouvais arrêter de te tracasser par rapport à notre demande de l'autre jour car ça ne sera pas possible de toute façon. "

Je ne comprends pas, elle reprend un peu de courage et m'éclaire un peu :

  • " Quand tu m'as annoncé que c'était d'accord, ça m'a fait un choc, je ne pensais pas que t'avais déjà pris ta décision. Ça a nourri encore plus mes regrets et ma déception. "

J'ose enfin lui poser une question :

  • " Qu'est ce que tu entends par "Ce sera pas possible ? " "
  • " Nous nous sommes renseignées Mathilde et moi. Te choisir en tant que donneur, c'est pas vraiment autorisé, et pour les FIV, c'est super complexe et les délais sont interminables. "

Je comprends mieux, nous n'avions pas abordé ces aspects techniques la fois dernière et je n'ai aucune connaissance sur le sujet. Je lui réponds :

  • " Je suis désolé, mais tout n'est peut-être pas perdu, faut garder espoir. "

Je vois alors dans son regard qu'elle n'y croit pas beaucoup. Ses sanglots reviennent mais sont légèrement plus maitrisés, elle m'avoue alors :

  • " Et avec ça, on a réussi à se prendre la tête Mathilde et moi avant qu'elle parte chez sa mère. "

Ce n'est absolument pas une habitude pour elles de se disputer, le seul sujet de tension qu'il pouvait y avoir entre elles concernait la mère de Mathilde. J'essaie d'avoir des explications :

  • " Pourquoi ? "

Un nouveau mystère s'installe avec sa réponse :

  • " Je peux pas t'en parler. "

C'est la première fois qu'elle refuse de me parler de ses tourments, je me sens frustré et triste. Je lui rappelle cependant :

  • " Tu sais que tu peux tout me dire Gabi. "

Elle inspire profondément puis me répond :

  • " Je t'ai déjà énormément perturbé avec cette demande, j'ai pas envie que tu le sois encore plus. Je t'ai même pas remercié d'ailleurs, j'ai honte. J'oublierai jamais que t'étais prêt à faire ce geste incroyable pour moi, je te le promets. "

Apparemment le sujet de dispute entre Mathilde et Gabi me concerne d'après ce que je viens de comprendre. Cela m'intrigue encore plus, je tente le tout pour le tout afin de savoir :

  • " T'as pas à me remercier, par contre je vais être honnête avec toi, je ressens le besoin de savoir pourquoi, surtout que tu viens plus ou moins de m'indiquer que cela me concerne aussi. "

Elle répond immédiatement :

  • " Crois-moi, tu ne veux pas savoir. "
  • " C'est à moi seul d'en juger Gabi. "

La déception doit se lire sur mon visage, cela m'affecte terriblement. Gabi le voit et ne se sent sûrement pas capable de devoir supporter un nouveau chagrin ou une nouvelle tension avec cette fois, son meilleur ami. Elle se lance alors dans un long monologue explicatif :

  • " Comme tu voudras, ça me fait peur de te dire tout ça car j'ai pas envie que tu puisses juger Mathilde différemment après ce que je vais t'avouer…. Quand on a eu toutes ces mauvaises nouvelles, nous avons été très tristes et très déçues toutes les deux. C'était sûrement notre rêve le plus grand qui s'envolait. On a beaucoup pleuré elle et moi. Le lendemain, elle m'a dit qu'elle avait trouvé une solution…"

Ce fut ensuite un long silence et un suspense insoutenable que j'essayais d'abréger en l'invitant à continuer :

  • " Laquelle ? "

Gabi reprend son souffle, me regarde intensément, elle sait que les prochains mots vont être difficiles à prononcer et sûrement à entendre, elle se lance pourtant :

  • " Elle voulait qu'on te demande de me mettre enceinte naturellement. "

Je ne réagis pas, je suis bouche-bée. Elle me dit alors :

  • " Tu comprends pourquoi je voulais pas t'en parler maintenant ? "

Le choc d'une telle révélation m'oblige à lui demander confirmation :

  • " Elle aurait voulu qu'on fasse l'amour toi et moi ? "

Pour la première fois depuis un bon bout temps maintenant, un sourire se forme sur les jolies lèvres de Gabi, elle me répond :

  • " Pas qu'on fasse l'amour, mais que tu jouisses en moi, que tu me fécondes naturellement. "

Bêtement je réponds :

  • " Elle aurait pu imaginer plutôt possible de t'injecter mon sperme avec des seringues par exemple. "

Toujours en souriant légèrement elle m'informe :

  • " Ça ne fonctionne que dans les comédies romantiques américaines ça. "

J'assimile toutes ces informations ou plutôt, j'essaie pour être plus précis. De nombreuses questions viennent se bousculer dans ma tête, je commence par celle-ci :

  • " Et pourquoi vous vous êtes disputées ? "
  • " Parce que je lui ai répondu que c'était impossible pour moi de te demander ça, que j'aurais honte de le faire et que c'était pas convenable. "

J'enregistre et je poursuis avec une autre question :

  • " Ça ne la dérangerait pas que quelqu'un d'autre qu'elle puisse te toucher, et vivre quelque chose de très intime avec toi ? "
  • " Non, elle estime que ce serait quelque chose de presque mécanique et dans un but noble. "

J'ai besoin d'avoir la réponse à une dernière question :

  • " J'ai bien compris que tu étais contre, mais ça te dérange parce que cela implique de me demander une chose complètement glauque et surréaliste, ou parce que tu ne pourrais pas le supporter physiquement et que ça te dégoûte ? Ou pour être plus clair, si c'était moi qui avait proposé cette solution ? Tu aurais accepté ? "

Elle connaît évidemment la réponse, elle n'a pas besoin de réfléchir mais elle sait aussi que cette réponse sera lourde de sens. Elle est honnête :

  • " Oui, j'aurais accepté. Mais comment tu peux croire que je puisse être dégoûtée par le corps de mon meilleur ami qui m'offrirait un cadeau pareil ? "
  • " Parce que t'aimes les filles Gabi, ça pourrait être possible que tu ressentes un dégoût de sentir un corps d'homme te toucher. "

Elle me répond :

  • " Tu sais très bien que j'ai eu quelques relations avec des mecs avant de me rendre compte que je préférais les filles Martin, ça m'a jamais dégoûté mais j'y prenais seulement quasiment aucun plaisir. "

Alors que nous échangeons quelques regards, tout en semblant, elle et moi, perdus dans nos réflexions, je viens lui prendre la main et la serrer à nouveau contre moi. Tout est encore très flou pour moi dans cette histoire mais j'avoue à Gabi :

  • " Tu sais, aussi fou que ça puisse être, je veux que tu saches que j'aurais accepté d'aller jusque là sans hésitation s'il n'y avait pas eu Lou. "

Gabi me sourit, puis me répond :

  • " Ça me touche beaucoup, vraiment. Et tu comprends maintenant pourquoi c'est tendu avec Mathilde, je voulais pas te mettre dans une situation encore plus folle. Même si c'était un rêve pour moi d'avoir ce bébé, j'avais absolument pas envie de risquer de mettre notre amitié à l'épreuve, je tiens beaucoup trop à Lou et toi. "

Lou, comment aurai-je pu lui parler d'une chose comme celle-ci ? Cela m'aurait été impossible. Et pourtant, sa large ouverture d'esprit l'aurait peut-être même invitée à accepter, mais non, je ne peux pas, je ne me sens pas assez fort pour ça.

Je repense ensuite à son message, au fait qu'elle souhaitait que Gabi l'appelle après avoir appris mon accord afin de se nourrir un peu du bonheur de notre amie.

Finalement je pense à notre décision d'avoir un enfant plus rapidement que prévu, elle et moi. Je n'ose même pas en parler à Gabi au vu de la situation. Comment, Mathilde et Gabi, pourraient-elles réagir en voyant le petit ventre de Lou s'arrondir peu après leur déception immense ?

L'avenir me semble orageux, je me décide à évacuer un peu tout ça de mon esprit, je propose à Gabi :

  • " Je comprends, et si on allait le terminer ce petit-déj maintenant ? "

En souriant, elle se relève du lit. J'en fais autant puis je lui tends la main. Elle la saisit et nous retournons dans le séjour.

Mon café et son thé sont froids. Elle me dit, tout en ramassant nos tasses :

  • " Je vais en préparer des nouveaux. "

Elle se dirige vers l'évier puis jette le contenu. Je lui dis :

  • " Je vais le faire Gabi. "

Elle me sourit et me répond :

  • " Assieds-toi, je t'ai dit que je m'en occupais. "

Je lui réponds à mon tour :

  • " Je te parle pas de ça Gabi, je vais te permettre de devenir maman, je ferai ce qu'il faudra pour ça. "

Elle se retourne vers moi, ce n'est plus Gabi, c'est une statue. Les derniers mots sortis de ma bouche semblent avoir arrêté le temps. Elle lâche finalement la tasse qu'elle avait en main, celle-ci s'explose sur le sol. Cet incident semble lui permettre de reprendre légèrement ses esprits, mais elle semble toujours sous le choc. Elle finit par bafouiller :

  • " Qu'est-ce que, qu'est ce que tu viens de dire ? "

Mes yeux ne quittent pas les siens, je lui réponds simplement :

  • " T'as très bien entendu. "

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