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Après avoir présenté Iman à Andrew, Stella entraîna le chauffeur à l’écart et lui remit un pourboire généreux. Iman allait céder sa place à un second conducteur pour le trajet retour vers Pagar Alam. Son téléphone sonna ; il échangea quelques mots rapidement, puis raccrocha. Son remplaçant, un certain Togar, ne tarderait pas à arriver.
Assis à l’arrière du 4x4, Stella et Andrew discutaient de tout et de rien en quittant la zone de l’aéroport. Togar conduisait prudemment dans un flot impressionnant de voitures, camions et deux-roues. Après quelques minutes, Andrew se tourna vers Stella, ses yeux bleus cherchant le regard de la jeune femme.
— Stella, il faut que tu me dises pourquoi tu m’as fait venir ici ! C’est tellement énorme… J’ai traversé la moitié de la planète sans vraiment savoir pourquoi !
Ses yeux brillaient — sans doute la fatigue du voyage et le décalage horaire, se dit Stella. Mais il avait raison. Elle lui répondit en français.
— Laissons l’anglais pour le moment, si tu veux bien. Il faut absolument que cette conversation reste entre nous.
Stella et Andrew s’étaient connus à l’Université de Bordeaux, alors qu’ils faisaient tous deux un post-doctorat. Stella, d’origine italienne, avait appris le français à l’école et s’était rapidement exprimée avec aisance. Andrew, anglais, avait également étudié le français, mais il lui avait fallu plus de temps pour se sentir à l’aise. Lorsque leur relation avait commencé, ils avaient pris l’habitude de parler français et de tester leur vocabulaire dans de petites joutes verbales. Ce jeu avait très bien fonctionné, et leur maîtrise s’était considérablement affinée.
Mais qu’en restait-il aujourd’hui, presque six ans après la fin de leur époque bordelaise ?
— Euh… d’accord, répondit Andrew, surpris mais amusé. Je ne promets pas de tout comprendre. Il va peut-être falloir que tu répètes certains mots…
Stella lui répondit avec un large sourire. Elle ressentait une certaine pression : Andrew attendait quelque chose de fort pour justifier ce voyage. Il s’était tu et la fixait, visiblement suspendu à ses lèvres. À cet instant, Stella eut la désagréable impression qu’une part d’elle-même s’attendait à autre chose — qu’elle avait fantasmé Andrew débarquant à Sumatra uniquement pour la retrouver, prêt à accepter n’importe quel prétexte pour être là. Qu’importe, elle n’avait plus le temps de rêvasser. Elle prit une grande inspiration et se lança.
— J’ai fait une découverte historique. Et j’ai besoin d’un anthropologue pour m’épauler. J’ai besoin de toi, Andrew, pour éviter les erreurs et gérer la situation correctement.
— J’avais compris que tu étais tombée sur quelque chose d’énorme… mais bon sang, dis-moi ce que c’est !
— Voilà, j’ai découvert une tribu d’hommes préhistoriques. Enfin, au moins deux hommes préhistoriques…
Le silence se fit dans le véhicule. C’était rare, mais Andrew ne trouva rien à répondre.
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