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— Combien de spécimens différents as-tu filmés ? C’est très important.
Stella savait parfaitement qu’observer plusieurs individus permettait une analyse beaucoup plus complète. La comparaison des mouvements entre différents sujets pouvait, dans certains cas, confirmer la véracité des enregistrements et écarter toute accusation de fraude.
— J’ai repéré deux sujets différents, mais la plupart du temps, c’est le même individu que je filme. Mes observations sont nombreuses et s’étalent sur plusieurs semaines.
Stella avait instinctivement adopté un ton professionnel. Elle défendait son travail de scientifique avec rigueur.
— Je suis à des années-lumière de ce qu’on voit habituellement dans ce genre de films, ajouta-t-elle. Tout est daté, géolocalisé, mes données sont en béton !
— Je vois… On est loin du film de Patterson ! Bravo, Stella, conclut Andrew avec un grand sourire.
Les deux scientifiques éclatèrent de rire. Andrew s’arrêta le premier.
— Le voyage jusqu’à Pagar Alam va me sembler terriblement long, dit-il. J’ai tellement hâte de voir tes films…
Stella rit de nouveau, avec une assurance tranquille.
— Ouvre grand tes yeux, Monsieur l’anthropologue, dit-elle en tapotant le petit sac à dos en songket posé à côté d’elle sur la banquette arrière. J’ai un pot-pourri des meilleures séquences dans mon ordinateur. Ici, à portée de main.
Elle sortit son portable et navigua dans ses dossiers. Pendant qu’elle sélectionnait les vidéos, Andrew détourna le regard vers la vitre. Ils roulaient maintenant sur une route à deux voies, où la circulation était relativement fluide. Camions et bus, souvent surchargés, avançaient péniblement, mais Togar doublait sans hésiter, parfois au prix de manœuvres risquées qui auraient inquiété ses passagers s’ils n’avaient été autant absorbés.
Son attention fut attirée par d’immenses étendues vertes. Il lui fallut quelques instants pour reconnaître des plantations de palmiers à huile. Ces maudits palmiers, pensa-t-il, qui dévoraient peu à peu la forêt indonésienne.
— Voici la première séquence, annonça Stella.
Le petit écran de l’ordinateur afficha une image en noir et blanc : un être minuscule, courbé, se déplaçait sur deux jambes, les bras ballants.
— C’est filmé de nuit, expliqua Stella. Tu peux voir l’heure d’enregistrement — 3h25 du matin —, en bas à gauche de l’écran.
L’humanoïde avançait avec une prudence manifeste, tournant la tête de gauche à droite, à l’affût du moindre danger. Fasciné, Andrew demanda à revoir la scène.
Stella expliqua que, sur les premières prises, les caméras étaient programmées pour filmer durant trente secondes, mais qu’après les premières observations, elle avait réglé les appareils pour capter des séquences d’une minute.
— On ne peut pas faire plus sans risquer de saturer la carte mémoire, précisa-t-elle.
Andrew acquiesça, les yeux rivés à l’écran, absorbé.
— Tu vois, poursuivit Stella, nous essayons de visiter les caméras le moins souvent possible pour éviter de laisser des traces ou des odeurs. Mais il faut tout de même passer inspecter les installations et récupérer les vidéos. Si nous tardons trop ou si le volume de fichiers sauvegardés devient trop volumineux, l’appareil écrase les anciens enregistrements avec les nouveaux. On peut perdre des données précieuses.
Andrew n’écoutait qu’à moitié. Hypnotisé par les images, il suivait chaque mouvement du petit être.
Stella lança une nouvelle séquence.
— Ce film a été pris quelques jours plus tard, à deux km du premier site. Je pense qu’il s’agit du même individu, mais j’aimerais avoir ton avis.
Le petit humanoïde avançait lentement, presque accroupi. Il était nu, mais tenait dans sa main un long bâton, qui ressemblait à la hampe d’un outil ou d’une arme.
Andrew s’anima brusquement.
— Regarde ! s’exclama-t-il, la voix aiguë sous l’effet de l’excitation. Il ou elle tient un outil ! C’est un humain !
Stella sourit devant l'enthousiasme de son ami. Elle se souvenait parfaitement des émotions qui l’avait envahie la première fois qu’elle avait vu ces images.
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