— Je suis d’accord avec toi, on dirait bien le même individu. Mais je dois revoir les films plusieurs fois pour te confirmer cet avis. Je t’avoue que je suis bouleversé par ces images. Stella, tu as fait une découverte historique ! J’ai tellement de choses à te demander que je ne sais plus par où commencer.

Andrew, submergé par l’émotion, cherchait ses mots.

— J’ai vu ces vidéos des centaines, que dis-je, des milliers de fois, et j’ai remarqué ce qui me semble être un début de calvitie sur le spécimen. Il agit comme s’il était le chef ou du moins le plus vieux. D’ailleurs, je l’ai baptisé numéro 1, car c’est notre première observation. Regarde, voici la séquence où numéro 2 fait son entrée en scène. C’est aussi le moment où l’on peut voir les visages nettement car ils sont passés tout près de l’objectif.

L’écran montrait de nouveau un paysage en noir et blanc. Deux sujets avançaient prudemment face à la caméra. Le plus grand, numéro 1, marchait devant. Un second personnage le suivait à quelques pas de distance. Numéro 1 s’approcha de la caméra et exposa son visage à l’objectif suffisamment longtemps pour que ses traits soient très clairement visibles. Cette image déclencha un grognement d’approbation chez Andrew.

L’être arborait une masse de poils beaucoup plus longs sur la tête. Son visage était assez plat et large, avec un front bas surmontant des yeux enfoncés sous des arcades sourcilières proéminentes. Son nez était petit, et sa bouche fine était agitée de petits mouvements. Le menton, lui, était inexistant. Andrew remarqua immédiatement mouvement des lèvres.

— Mais on dirait qu’il parle ! Tu n’as pas de son dans ta vidéo ?

— Pas lors de ces prises de vue. J’ai coché l’option audio sur tous les films réalisés par la suite. Les fichiers sont plus lourds, mais ça vaut le coup, car j’ai pu observer qu’il émet des sortes de petits sifflements et d’autres bruits ressemblants plus ou moins à des paroles. Ce qui me fait dire cela, c’est qu’on ne remarque ce comportement que lorsque numéro 1 est accompagné de numéro 2. Sur les autres vidéos, il semble muet.

— Extraordinaire !

Andrew était fasciné par ce que Stella venait de lui révéler.

— Et tu as des enregistrements de ces « conversations » ? C’est bien ce que tu me dis ?

— Absolument ! Et je compte bien que tu les analyses !

Stella expliqua ensuite comment elle avait évalué la taille des individus en les comparant à des objets de référence, filmés pour l’occasion.

— Numéro 1 mesure environ 1,10 mètre tandis que numéro 2 est plus petit, avec ses 90 cm.

— Hum ! Typique d’une espèce forestière, n’est-ce pas ?

Andrew réfléchit un instant puis ajouta :

— Les derniers Orang Rimba, les « gens de la forêt », vivent dans les forêts du centre de Sumatra, et ils sont très petits de taille. J’ai lu quelque part qu’ils avaient de plus en plus de mal à maintenir leur mode de vie de chasseurs-cueilleurs, notamment à cause de la pression exercée par la déforestation et les plantations de palmier à huile. Ce pourrait-il que certains d’entre eux se soient déplacés dans la région du mont Dempo ?

Stella répliqua immédiatement avec un demi-sourire :

— Et ces « gens de la forêt » se baladeraient nus, en pleine nuit, dans la forêt ou les zones cultivées ? Je n’y crois pas trop, Andrew.

— Tu as raison, je dis n’importe quoi.

Il se frotta les yeux, rattrapé par la fatigue du voyage. Stella ne valait pas mieux. Elle aussi était épuisée.

La voiture ralentit, et Togar annonça qu’ils arrivaient dans une petite ville où il serait possible de faire le plein du 4x4 et de se restaurer. Tout le monde était heureux de faire une pause.