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Ils atteignirent Pagar Alam vers 23 heures. La nuit était tombée depuis longtemps, et ils furent soulagés de sortir enfin du 4x4. Dehors, le vacarme des animaux nocturnes les enveloppa immédiatement. Grenouilles, insectes et oiseaux donnaient un concert envoûtant, typique des tropiques. Andrew, ravi, retrouvait avec émotion les sensations familières de sa vie en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le voyage avait été long et sa tête le faisait souffrir. La fraîcheur nocturne, bien que relative, le fit frissonner.
— Arghhh ! grogna Andrew. Dix-sept heures de vol depuis Londres, suivies d’une demi-journée de 4x4 sur de petites routes ! J’ai bien cru que j’allais me fossiliser sur cette banquette arrière !
— Je ne sais pas si tu te fossilisais, mais tu as dormi comme un bébé pendant toute la seconde moitié du trajet, ricana Stella.
Elle donna ensuite un généreux pourboire au chauffeur, qui la remercia d’un grand sourire.
L’arrivée de la voiture avait été entendue depuis la maison, et la lumière de l’entrée s’alluma. Deux silhouettes sortirent pour les accueillir : Dewi Hutabarat et Sinta Simanjuntak.
Dewi, un homme d’une cinquantaine d’années, de taille moyenne et à l’allure sportive, tendit la main vers Andrew avec un large sourire. Sa peau sombre et sa chevelure grisonnante lui donnaient un air à la fois digne et chaleureux. Tout le monde passa naturellement à l’anglais, la seule langue commune au groupe.
— Bonsoir, et bienvenue à Sumatra, Professeur Chadwick !
Stella procéda aux présentations.
— Andrew, voici le professeur Dewi Hutabarat, de l’université de Lampung, spécialiste des mammifères. Dewi, je te présente Andrew Chadwick, anthropologue à l’University College of London.
Les deux hommes échangèrent quelques paroles cordiales, puis Stella présenta la benjamine du groupe.
La jeune femme, manifestement impressionnée par la situation, restait légèrement en retrait. Elle souriait timidement quand vint son tour.
— Je te présente Sinta Simanjuntak, qui prépare sa thèse sous la direction de Dewi et moi-même. Elle travaille sur le suivi des grands mammifères en forêt tropicale et sur la conservation de la biodiversité.
— Sinta, voici Andrew Chadwick. Il connaît bien les environnements tropicaux et aura sûrement beaucoup de questions à te poser sur ton travail.
Les quatre scientifiques entrèrent dans la maison pour partager une légère collation.
Ils s’installèrent dans le salon, où les attendaient un vieux canapé et quelques petits sièges d’allure modeste, mais néanmoins confortables. Sinta apporta de l’eau filtrée bien fraîche, des bières de la marque Bintang, et un grand plateau de rouleaux de riz gluant farcis de poulet épicé, enveloppés dans des feuilles de bananier : des Lemper Ayam.
Andrew, maintenant bien réveillé, observa le plateau et nota avec plaisir la présence de bouteilles de bières visiblement bien fraîches. Il avait plus sommeil que faim après ce long voyage mais la soif le taraudait. Il prit un rouleau de riz pour faire honneur à ses hôtes.
Stella remercia ses collègues d’avoir préparé cette collation, puis lança la conversation. Tous l’écoutaient avec attention sauf peut-être Andrew absorbé par la nourriture offerte.
— J’ai eu le temps de montrer plusieurs films à Andrew et je lui ai parlé de nos premières observations.
Andrew, la bouche pleine de riz au poulet, se contenta de hocher la tête plusieurs fois en grognant doucement. Stella poursuivit.
— Il connaît les récits sur l’Orang Pendek et partage nos analyses. Je vais lui laisser la parole dès qu’il aura fini de mastiquer son Lemper Ayam.
Elle souriait en regardant son ami se dépêcher pour ne pas créer de blanc dans la conversation et se faire remarquer.
— Ces rouleaux de riz au poulet sont délicieux ! furent ses premières paroles.
Dewi et Sinta éclatèrent de rire à cette réplique inattendue vu les circonstances. Leur petit collectif ressemblait plus à un groupe d’agents secrets préparant un attentat qu’à une équipe de scientifiques au travail.
Stella apprécia cette déclaration un peu décalée qui détendit l’atmosphère. Andrew reprit :
— Je suis bouleversé par vos observations, qui sont uniques dans l’histoire des sciences. Les films sont extraordinaires, et j’ai hâte d’écouter les enregistrements audios. Je vous remercie sincèrement de m’avoir mis dans la confidence.
Dewi prit la suite d’une voix claire :
— Que pensez-vous de notre hypothèse selon laquelle les sujets filmés sont des hommes, sauvages certes, mais pas des singes ou d’autres primates éloignés d’Homo sapiens ?
— J’y adhère totalement, répondit Andrew sans la moindre hésitation. Vos films le montrent clairement, et la séquence où numéro 1 brandit un long bâton droit — peut-être une sorte de sagaie — renforce encore cette idée.
Stella fut soulagée de voir à quel point cette réponse apaisait Dewi et Sinta. Andrew était sur la même longueur d’onde que les trois autres scientifiques, et elle avait eu raison de lui proposer de les rejoindre.
Dewi garda le silence et ce fut Stella qui reprit. Tous deux étaient habitués à se passer la parole, et leur entente était parfaite.
— Andrew, ton avis confirme que tu as toute ta place dans notre groupe.
Si Dewi est d’accord, je vais maintenant t’expliquer comment nous envisageons la suite de cette mission scientifique. Elle avait achevé sa phrase sur un ton plus grave.
Malgré son mal de tête persistant et une sensation de froid étrange dans un pays tropical, Andrew était tout ouïe.
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