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Stella prit une grande inspiration, puis expliqua :

— L’histoire des sciences naturelles nous montre que de nombreux signalements d’animaux mystérieux sont restés sans suite, faute de preuves tangibles. Les témoignages, même lorsqu’ils recoupent des légendes anciennes, n’ont aucune valeur sans un échantillon que la science puisse analyser. Nous avons beaucoup de vidéos, de bonne qualité, mais cela ne suffira pas. Nous devons maintenant obtenir de l’ADN de ces hommes des bois. Des poils pourraient suffire… mais notre plan va plus loin. Nous allons capturer numéro 1.

Andrew s’arrêta net de mâcher. Son regard passait de Stella à Dewi. Ils s’apprêtaient à entreprendre une opération risquée, sans avoir encore révélé leur découverte à la communauté scientifique. S’ils échouaient — si numéro 1 ou ses semblables disparaissaient ensuite sans laisser de traces, à la suite d’une erreur ou d’un simple faux pas —, ils passeraient pour des amateurs irresponsables.

Dewi s’éclaircit la gorge.

— Nous voulons aller jusqu’au bout de cette enquête et réunir des preuves irréfutables avant d’annoncer quoi que ce soit. Nous n’avons d’ailleurs pas encore décidé comment nous rendrons la découverte publique. Mais une chose est certaine : nous ne voulons pas que ces hommes des forêts deviennent des attractions ou des trophées.

Il s’anima, son regard se durcissant légèrement.

— Personne ne peut prédire comment la société réagira. Certains voudront les capturer, les exhiber, les soumettre à toutes sortes d’expériences. Ils ne connaîtront plus jamais la paix. Ils finiront peut-être, les uns après les autres, enfermés dans des zoos sordides, jusqu’à disparaître. Nous avons une obligation morale envers numéro 1 et son peuple.

Stella prit le relais, d’un ton posé mais ferme.

— Voici notre plan. Nous allons l’endormir à l’aide d’un somnifère puissant. Une fois endormi, nous l’examinerons, lui ferons une prise de sang, prendrons ses mensurations, une série de photographies, et prélèverons plusieurs échantillons pour en extraire de l’ADN. Ensuite, nous le laisserons se réveiller dans son habitat naturel. Il est possible qu’il continue à patrouiller dans la région après cette mésaventure… mais il pourrait aussi s’installer ailleurs. Dans tous les cas, nous aurons enfin de quoi établir son identité biologique et prouver que cette découverte est bien réelle.

Un fin sourire se dessina sur le visage de Dewi, qui hocha la tête d’un air approbateur. Sinta, impressionnée par la gravité de l’échange, ouvrit de grands yeux inquiets.

Andrew, lui, restait silencieux. Il venait d’encaisser l’annonce de ce plan ambitieux, et ses collègues attendaient sa réaction. Il frissonna en leur répondant.

— Je me suis beaucoup intéressé aux questions éthiques liées à l’étude des sociétés humaines, en particulier chez les chasseurs-cueilleurs. Les choses sont souvent plus complexes qu’elles n’y paraissent.

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

— Votre plan me semble défendable… si l’on considère que numéro 1 appartient au règne animal — comme un grand singe, disons. Mais s’il s’agit d’êtres humains… ou d’une espèce cousine de la nôtre… alors ce que vous envisagez est une violation manifeste de leurs droits fondamentaux.

Il laissa retomber ses mains sur ses genoux, le regard fixé sur Stella.

— Et dans ce cas, vous serez complètement hors la loi.

Stella plissa le front, visiblement tendue.

— Objectivement, nous ne savons pas encore où situer ces hommes des bois sur l’arbre de l’humanité. Si nous annonçons notre découverte sans aller au bout de notre mission, d’autres prendront le relais, probablement de manière plus brutale et moins respectueuse. Nous ne voulons pas révéler l’emplacement des observations, pour les protéger, lui et son peuple. Nous voulons comprendre qui ils sont, tout en les préservant. Il est hors de question de voir numéro 1 finir sur une table de dissection.

En prononçant ces mots, sa mâchoire s’était tendue. L’avenir des hommes des bois lui tenait profondément à cœur.

Dewi, lui, fixait Andrew d’un air grave, comme s’il doutait désormais de lui. Andrew reprit.

— Je comprends mieux votre stratégie : garder le lieu secret. C’est astucieux. Mais il y aura des journalistes, des chercheurs, des enquêteurs… Et ils finiront par recouper les indices, par retrouver le site. Garder ce secret est impossible, si vous voulez mon avis.

Il toussa puis essuya quelques gouttes de sueur sur son front.

— C’est peut-être l’effet du décalage horaire, pensa-t-il en souriant intérieurement.

Dewi échangea un regard avec Stella, puis se tourna de nouveau vers Andrew.

— Vous avez raison. Cette partie du plan reste fragile. Nous en sommes conscients, et nous avons besoin de temps pour y réfléchir. Et justement, nous allons avoir ce temps, dans les jours à venir. Des jours durant lesquels nous allons mettre en œuvre la capture « douce » de numéro 1. Êtes-vous toujours prêt à nous suivre dans cette aventure scientifique, Professeur Chadwick ?

Le ton de Dewi était solennel.

Andrew se sentait épuisé par le voyage et sa migraine le torturait. Pour ces raisons, sans doute, mais aussi parce qu’il était fasciné par le travail entrepris par Stella et ses collègues, il prit sa décision sans réfléchir plus longtemps.

— Vous pouvez compter sur moi. Je veux faire partie de votre équipe.

Un soulagement discret mais palpable se lut sur les visages : l’équipe était au complet. Dehors, un grain tropical éclata, et la nuit s’emplit du bruit de la pluie frappant la toiture.

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