AAAAAAAAAH !!!

4 minutes de lecture

L’Irlandaise, surnommée XFLR-6 à cause de sa face criblée de taches de rousseur, attendait à la porte avec la minuscule Soazig et Fatoumata, une Sénégalaise à la peau plus claire que celle de Rajshri.

« Salut, les filles ! Alors, Isabel, t’as la cassette ? Je brûle d’impatience, moi !

— Ah, tu vas pas être déçue. Tu vas t’en lécher les quatre doigts et le pouce.

— Qu’est-ce qui est meilleur que Phil Collins ? renchérit Fatou. Trois Phil Collins !

Isabel commença alors :

« I need love, lo-ove

Oh, ease my mind,

And I need fine time,

Someone to call mine.

My momma said :… »

Le trio entama alors une imitation des Supremes à faire fuir un carcajou(1) enragé au grand galop, tandis que Rajshri hochait la tête en cadence, sourire aux lèvres. Isabel faisait la voix principale et les deux autres les choristes :

« “You can’t hurry love. [Ooouuu!]

No, you just have to wait.”

She said: “Love don’t come easy,

But it’s a game of give and take.

You can’t hurry love. [Ooouuu!]

No, you just have to wait.

Just trust in a good time,

No matter how long it takes.” »

Martin mobilisa sa volonté pour avancer légèrement le buste à l’intérieur :

« Coudonc, Raj, faut que j’y aille. Je le mets où, ton sac ? »

Les Diana Ross de music-hall se turent d’un coup, des yeux grands comme des ronds de poêle rivés sur lui.

« Oh, oui, pardon. Tu peux le mettre ici » répondit Rajshri, tapotant le plateau de son bureau.

— On se revoit quand ? J’aimerais me rattraper sur notre séance désastreuse.

— Je te l’ai déjà dit, Martin, te mets pas martel en tête pour ça. Faut que je surmonte ce blocage que je fais sur la géo, et de toute façon, c’est plus agréable avec toi qu’avec un vieux crouton prétentieux et vulgaire qui passe son temps à insulter ceux qui sont pas ses chouchous.

— Ha ha ha ! M. Peyraneyre se prend tellement pour le prof parfait qu’il tomberait catatonique s’il t’entendait. Enweille, j’y vais.

— Salut, Martin ! dit la belle Tamile, agitant la main à son adresse. Oh, et n’oublie pas d’acheter des piles pour ton baladeur, ça fait une semaine que j’attends d’écouter ton fameux Balavoine !

— J’y penserai. À plus ! »

À peine eut-il fait trois pas hors de la classe que, par la porte :

« AAAAAAAH ! »

C’étaient les amies de Rajshri qui venaient de pousser ce piaillement de minettes au premier rang d’un concert de Michael Jackson. Martin laissa traîner ses oreilles, invisible derrière le battant.

« Ben qu’est-ce qui vous prend ? interrogea Rajshri.

— T’es une super-héroïne, toi ! Trois mois à peine que le nouveau canon du lycée est arrivé et tu te le mets dans la poche à la première occase ! T’es sûre que t’as pas un lasso magique caché quelque part, princesse amazone ?

— Non mais tu te goures, là, XFLR-6. Tu nous as pas entendus ou quoi ? Vous savez bien qu’on est voisins de palier. Alors il m’aide en géographie et je l’aide en physique-ch…

— ÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂÂAH !

— Arrêtez ! Tout le monde nous regarde ! Vous nous avez déjà vu nous bécoter et nous câliner façon Yassine et Najia ?

— Aaaah ! Comment qu’elle noie le poisson !

— Mais je noie rien du tout, Fatou ! Je te dis qu’on est pas ensemble ! Vous feriez des détectives super nulles, vous, à déduire des montagnes à partir de rien du tout !

— Rien du tout ? Ha ha ha ! T’as osé dire rien du tout ! Un mec qui porte ton sac !!!

— Ben il est lourd aujourd’hui parce que je te rapporte tous les Prince d’Ambre que tu m’as prêtés, alors il m’a filé un coup de main, c’est tout.

— Et quel coup de main, hi hi hi ! Y a combien de chez toi à ici ? Un bon kilomètre, non ?

— Mais Soazig, il a bien le droit de pas être un blaireau comme les excités du papayou d’ici.

— Ah, c’est vrai que toi, tu reconnais la qualité quand tu la vois, hein ? Quand c’est qu’il te sortira le grand jeu, à ton avis ?

— Mais puisque je vous dis qu’y a rien de ce genre entre nous, sacré bon sang de bon sort !

— Ah, je viens de comprendre, les filles ! Et ça nous crevait les yeux, pourtant !

« “You can’t hurry love. No…

Les autres entonnèrent à l’unisson :

« …“you just have to wait.”

She said: “Love don’t come easy,

But it’s a game of give and take.” »

— Aaaah ! Regardez-la rougir sous le beau noir de son teint ! cria Fatou.

You can’t hurry love. [Ooouuu!]

No, you just have to wait.

Just trust in a good time,

No matter how long it takes.” »

Pauvre Raj, pensa Martin. Et pauvre de lui aussi. Maintenant, toutes ces niaiseries allaient faire jaser comme quoi il chantait la pomme à une pitoune de quatrième. Tout ça à cause de trois gougounes(2) qui s’excitaient les poils des jambes dès qu’elles voyaient un chum faire preuve de serviabilité en tout bien tout honneur.

La dalit surdouée à la carnation de caramel brûlé, aux yeux en gemmes de jais et à la chevelure en rivière d’ébène, sa blonde(3)… Non, mais…

Mauzusse ! Le voilà en retard !

Il fila à toutes jambes pour le cours de physique-chimie.

(1) Glouton
(2) Sandales de plage ; pantoufles ; filles écervelées
(3) Petite amie

Annotations

Vous aimez lire Narindra le Gobelin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0