Chapitre 1 : il était un rêve

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Chaque nuit, le même rêve revenait. Il commençait toujours ainsi : elle est dans sa chambre, elle se tient debout, près de la fenêtre à contempler la nuit qui couvre la ville. Elle tend la main et ouvre cette fenêtre permettant à cette brise glaciale de venir caresser ses joues roses. L’espace d’un instant elle reste là, paisible, à savourer la quiétude de la nuit. Puis, d’un geste souple et avec une agilité saisissante, elle bondit sur le rebord de la fenêtre et se tient accroupie dans l’encadrement. Elle regarde en bas, son cœur battant plus fort dans sa poitrine face à ce vide qui s’offre à elle. Une chute de sept étages lui tend les bras.

Elle se penche légèrement en avant, son regard fixé sur le sol et se retient dans un instant d’hésitation.

C’est de la folie. Jamais elle n’osera faire une chose pareille.

Son cœur reste cependant tranquille et un frisson lui parcourt l’échine. Elle doit revenir en arrière, fermer cette fenêtre, aller se coucher. Mais doucement, ses doigts glissent de sa prise, et elle ne fait rien pour empêcher l’inévitable d’arriver.

Elle tombe.

La descente est enivrante, loin d’en avoir peur, elle prend plaisir à sentir cette vitesse s’accentuer. Elle ne ferme pas les yeux, au contraire, elle les garde grands ouverts pour voir le sol qui se rapproche d’elle. Le sentiment de liberté est plus fort que la peur, elle ne pense plus à rien, elle a même l’étrange sensation de pouvoir voler. Elle a envie de crier, de rire, d’hurler et plus que tout, dans sa chute elle soupire de contentement.

L’atterrissage se fait sans mal. Elle tombe sur ses pieds et ses mains, tel un félin. Pas un bruit, pas une égratignure. Son regard balaye autour d’elle. Il n’y avait personne pour la voir dans cette ruelle. Elle se voit alors bondir à travers la ville avec une force animale lui donnant un impression de toute puissance. Elle est rapide et tellement agile que sa présence est presque invisible pour les individus qui se trouvent sur son chemin.

Elle devient aussi légère qu’un courant d’air. Elle entend tout, elle voit tout, elle sent tout. Elle explore sa ville, la redécouvrant dans la nuit. Elle traverse les quartiers, parcourant plusieurs kilomètres sans ressentir la moindre fatigue. Tantôt en courant, tantôt en bondissant, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Elle se sent forte, invincible.

Elle arrête sa course folle en haut de cette tour de vingt étages car c’est de là qu’elle a la meilleure vue de la ville. Le paysage urbain s’offre à elle. Elle peut tout voir, ce chat qui se faufile par la porte entrouverte des cuisines d’un restaurant, ce passant qui hèle un taxi, ce jeune couple qui partage un verre en terrasse. Il lui semble même sentir les odeurs de nourriture qui s’en dégagent. Ses sens sont si décuplés qu’il lui semble percevoir toutes les conversations dans un brouhaha qui lui paraît assourdissant.

Et puis, elle a faim, elle meurt de faim.

Son souffle se saccade. Ses mains tremblent légèrement. L’envie d’avaler quelque chose devient impérieuse, presque douloureuse.

Et l’impensable s’impose comme une évidence à son instinct.

Elle pourrait manger n’importe quoi. N’importe qui.

Son regard se promène sur la ville, et chaque individu qui se présente sur sa route devient un met alléchant. Tel un oiseau de chasse qui choisit sa proie, elle observe, évalue, sélectionne.

Et là elle le voit. Ce passant a l’air hagard. Il est de bonne taille, tout en muscle, plutôt jeune. Perchée d’où elle est, son odeur l’attire, devient irrésistible.

Elle sent ses muscles se tendre. Son corps entier se prépare, comme si sa volonté n’avait plus rien à dire.

Elle ne le quitte plus des yeux. Si cet homme tourne dans la ruelle, elle bondira. Et elle sait qu’elle ne pourra pas s’en empêcher.

Mais c’est à cet instant qu’il apparaît.
Elle se fige. Un frisson glacé remonte sa colonne, brutal, instinctif.

Elle n’est plus seule. Elle le sent avant même de le voir : quelque chose est là. Tout près. Qui la surveille.

Sa faim disparaît d’un coup, balayée par une tension primitive. Elle scrute l’obscurité. Là. Cette silhouette. L'ombre qui l’épie chaque nuit.

Elle voudrait se convaincre qu’elle l’imagine. Impossible.

Alors elle bondit, tente de la semer. De retrouver sa liberté. Mais l’ombre la suit, toujours à distance. Si elle accélère, elle accélère. Si elle s’arrête, l’ombre aussi.

Elle l’appelle, la provoque, la menace mais rien n’y fait. Impossible de s’en débarrasser, impossible de la rencontrer.

Toute la nuit, la même course folle. Et ce petit jeu dure jusqu’à ce que le soleil se lève. Éblouie par les premières lueurs, elle ferme les yeux, tentant de s’en protéger, et l’instant d’après tout est terminé…

Lorsqu’elle se réveille enfin, dans l’obscurité de sa chambre le cœur battant, elle a toujours ce moment de doute, était-ce vrai, n’était-ce qu’un rêve ? Dans la quiétude de l’appartement, elle reste admirative des tours que peut lui jouer son imagination tant ce rêve est criant de réalisme. Et c’est toujours le même qui se répète, chaque nuit. Dès que le jour se lève, elle parvient à l’oublier, à le mettre de côté, jusqu’à ce qu’il recommence la nuit suivante. Cela doit faire un mois qu’elle explore ainsi la ville dans son sommeil. Un rêve étrange et enivrant qui lui donne une soif de liberté.

Ce moment est son escapade secrète, son échappatoire qui lui donne un sentiment de toute puissance. Elle ne le partage pas, car elle garde cette conviction que si elle en parlait, il disparaîtrait, et ça, ce serait un cauchemar.

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