Chapitre 4 : cercle de confidences
Le lendemain matin, Arinna ouvrit les yeux aux alentours de dix heures, encore enveloppée dans la chaleur moelleuse de son duvet. Le soleil filtrait à travers la toile de la tente, la poussant doucement hors de son sommeil. Elle entendit les voix étouffées de ses amis venant de l’extérieur. Celle d’Alexander, familière et rassurante, était reconnaissable entre mille. Il discutait avec Danaé… et Andreas, devina-t-elle.
Elle s’étira en silence, prenant le temps de revenir pleinement à la réalité, un peu étonnée d’avoir dormi si profondément après les émotions de la veille. Puis elle se redressa, s’attacha les cheveux à la va-vite en un chignon flou et tenta tant bien que mal de lisser les plis de ses vêtements froissés avant de sortir.
Dehors, le soleil déjà haut baignait le campement d’une lumière douce. Elle aperçut Danaé, assise à côté d’Andreas, leur complicité évidente malgré les regards un peu gênés qu’ils échangeaient. Arinna sourit intérieurement. Pas besoin de mots : ils s’étaient retrouvés, comme toujours. Une boucle sans fin. Elle se mordilla la joue pour ne pas éclater de rire en voyant son amie rougir à son approche. Pas question de la taquiner devant lui. Plus tard, en privé.
— Alors, comment va la marmotte ? lança Xander avec un petit sourire en coin.
— Bien. Et toi ? Tu n’as pas l’air d’avoir beaucoup dormi… remarqua-t-elle, inquiète, en croisant son regard cerné.
— J’ai pas fermé l’œil de la nuit, répondit-il en haussant les épaules, tentant de masquer sa nervosité.
Elle n’insista pas. Elle devinait les remords qui le rongeaient encore, bien qu’il n’y soit pour rien.
Le trio plia la tente et rassembla ses affaires sans se presser. Une fois prêts, Xander prit le volant de sa vieille Renault bringuebalante — héritage familial qui en disait long sur les habitudes de transmission dans leur fratrie. Il reconduisit Arinna jusqu’à son immeuble, le regard souvent perdu sur la route, visiblement encore dans ses pensées.
Lorsqu’il se gara, Arinna posa la main sur la poignée, prête à sortir, son sac à moitié calé sur ses genoux.
— T’embête pas à descendre, je vais réussir à tout monter, dit-elle.
Mais Xander ne la laisserait pas filer si facilement.
— Tu m’avais fait une promesse, Arinna…
Elle fit une moue coupable. Évidemment, il n’avait pas oublié.
— Ce soir. Je te raconterai tout ce que je peux. Ma mère va me tomber dessus si je ne rentre pas dans la minute, elle va me coller une alerte enlèvement.
— Ce soir, dix-sept heures ? insista-t-il.
— Dix-sept heures, promit-elle, les bras chargés alors qu’elle s’extirpait de la voiture.
Il la regarda s’éloigner vers l’entrée de l’immeuble, le sourire aux lèvres. Arinna sentit son regard qui la suivait. Elle avait le sentiment de ne rien pouvoir lui cacher. Mais il devrait attendre encore quelques heures.
Lorsqu’elle entra dans l’appartement, tout était silencieux. Arinna déposa ses affaires dans l’entrée, soulagée d’être enfin chez elle, mais tendue à l’idée de croiser sa mère. Elle traversa le couloir, retenant son souffle, et trouva Cybèle dans le salon, concentrée sur l’écran de son ordinateur. Infirmière à domicile, elle avait pour habitude de s’avancer sur ses dossiers dès qu’elle le pouvait, même le week-end.
— Maman, je suis rentrée…
Cybèle leva aussitôt la tête, plantant ses yeux verts dans ceux de sa fille. Ils étaient du même vert, intense et limpide, un héritage qu’on lui avait souvent fait remarquer. Arinna perçut quelque chose de différent dans ce regard, comme une inquiétude contenue, et elle sentit sa gorge se nouer.
— Tu vas bien ?
— Oui maman, tout va très bien.
Cybèle l’examina attentivement, sans rien dire. Arinna fit de son mieux pour garder un air neutre, consciente que la moindre trace de peur ou d’inquiétude trahirait ses secrets. Elle devina que sa mère savait bien plus qu’elle ne laissait paraître, mais qu’elle choisissait de rester silencieuse.
Mais c’était la première fois qu’Arinna mentait à sa mère. Et cela lui pesait terriblement. Cybèle avait toujours eu une pleine confiance en ses filles, les croyant droites, honnêtes, sans détour. Mentir, c’était trahir cette confiance… et cela brûlait Arinna de l’intérieur.
— Et ta soirée avec Iris, c’était bien ? demanda-t-elle, tentant de changer de sujet.
Sa mère baissa brièvement les yeux avant de répondre, d’un ton plus mesuré :
— Tu constateras par toi-même. On a eu un… léger différent. Mais tout ira bien. Ne t’en fais pas.
Un différent ? Arinna resta un instant interdite. Sa mère ne s’était jamais vraiment fâchée avec l’une de ses filles. Intriguée, elle prit congé pour rejoindre la chambre qu’elle partageait avec sa sœur.
Elle y trouva Iris allongée sur son lit, occupée à lancer une balle en l’air et la rattraper sans grand entrain. Mais dès qu’elle aperçut Arinna dans l’encadrement de la porte, elle bondit pour l’accueillir.
— Ari ! Alors cette soirée ? Raconte-moi tout !
Arinna jeta un coup d’œil aux murs. Les cloisons étaient si fines qu’on pouvait s’entendre parler d’une pièce à l’autre. Impossible de raconter quoi que ce soit maintenant. Elle décida d’attendre que Xander la rejoigne.
— C’était une super fête. On a dansé, on a fait cuire des brochettes autour du feu… Super ambiance, mentit-elle avec un sourire un peu forcé.
— Y’avait des beaux mecs ?
Arinna éclata d’un petit rire. Classique. C’était LE sujet qui captivait Iris ces derniers temps. Elle lui avait parlé pendant des heures d’un garçon de sa classe, un certain Priam, avec l’enthousiasme typique des coups de cœur adolescents. Iris aurait adoré qu’Arinna vive quelque chose de semblable, histoire de pouvoir en discuter à deux et, qui sait, présenter leurs heureux élus ensemble à leur mère.
— Je sais pas si y’avait des beaux mecs… Mais tu ne devineras jamais qui m’a parlé.
À peine avait-elle prononcé ces mots qu’elle se mordit la langue. Quelle idiote ! Comment allait-elle justifier qu’après des années de silence, Eren lui ait soudain adressé la parole ? Elle ne pouvait pas lui en parler sans en raconter davantage.
— Allez, crache le morceau ! insista Iris, les yeux brillants d’attente.
Arinna chercha frénétiquement un plan de secours. Elle pensa un instant à "Morgan", cet inconnu qui l’avait tant mise mal à l’aise, mais balaya l’idée. Ce n’était pas le moment. Ni le lieu. Quelle sotte. Quelle sotte !
— Andreas, finit-elle par lâcher.
— Andreas ? répéta Iris, un sourcil levé.
— Oui, Andreas. Avec Danaé. Tu sais, ils s’étaient quittés aux vacances de printemps… cette histoire de ciné raté.
— Ah oui, fit Iris, visiblement déçue.
— Eh bien, ils se sont remis ensemble hier soir.
Iris fit la moue. Elle s’était attendue à mieux. Arinna lui avait vendu cette soirée comme l’événement de l’année. Mais si le seul rebondissement, c’était le énième retour de flamme entre Danaé et Andreas, autant dire qu’elle n’avait rien raté. Elle se laissa retomber sur son lit, reprenant machinalement son jeu de balle en l’air.
— Et toi, avec maman ? tenta Arinna.
— J’ai rien à dire. Tu lui demanderas, elle te racontera.
Arinna fronça les sourcils, déconcertée. Iris, d’habitude si bavarde, devenait soudain évasive ? Ce n’était pas son genre. Arinna s’installa dans un fauteuil, attendant que sa sœur se livre. Mais le silence persista.
— Tu es sûre que tu veux pas me dire ?
Un grognement fut sa seule réponse. Arinna n’insista pas. Iris parlerait quand elle serait prête. Après tout, elle-même ne lui disait pas encore toute la vérité…
Elle se leva et s’allongea dans son lit, les bras croisés derrière la tête. Ses yeux fixèrent le plafond, où brillaient encore faiblement les vieilles étoiles phosphorescentes qu’elles avaient collées ensemble, des années plus tôt. Leur lumière tremblotante l’apaisa. Et, portée par l’épuisement, Arinna sombra doucement dans un sommeil léger.
Sur les coups de quinze heures, elle fut tirée de sa sieste par une brise fraîche qui passait dans l’entrebâillement de sa fenêtre. Encore engourdie, elle se redressa sur son lit, s’assit en tailleur, puis observa les allées et venues de sa sœur. Depuis qu’elle était rentrée, Iris n’avait pas cessé de faire les cent pas.
— Tu veux pas t’asseoir deux minutes Iris ? Tu vas finir par creuser un sillon dans le sol.
— Je réfléchis, c’est tout, répondit sa jumelle d’un ton sec.
Arinna haussa un sourcil, surprise. Ce ton-là, elle ne le connaissait pas. Pas venant d’Iris. La soirée avec leur mère avait visiblement laissé des traces.
— Si c’est à cause de la dispute avec maman, tu sais que tu peux m’en parler, non ?
Iris s’arrêta net. Elle fixa un point invisible devant elle, le visage fermé. Un grognement échappa à ses lèvres, comme pour chasser la question.
— C’est pas si simple.
— On s’est toujours tout dit, qu’est-ce qui est différent ? interrogea doucement Arinna.
Iris tourna la tête vers elle. Son regard était chargé d’émotions contradictoires. Elle hésita un instant, mais un morceau de vérité franchit ses lèvres dans un souffle presque inaudible.
— Justement, on s’est toujours tout dit. Et là… on me demande de … de te mentir, chuchota-t-elle.
Arinna se figea, le souffle coupé. Elle sentit quelque chose se fissurer en elle. Dans quel monde s’était-elle réveillée ? Depuis quand on se mentait dans cet appartement ? Mais elle ne pouvait rien reprocher à Iris puisqu’elle avait aussi menti.
— Maman te demande de me mentir ? Elle t’a dit quoi ?
— C’est pas important, répondit Iris, retenant tout son énervement en serrant la balle entre ses doigts, luttant difficilement pour tenir son engagement.
Arinna se leva d’un bond et attrapa les épaules de sa sœur.
— Iris, dis-moi que tu plaisantes. Dis-moi ce que c’est.
— Tu peux pas comprendre, c’est pas à moi de te le dire ! répondit Iris, une larme de colère perlant au coin de son œil.
— Alors c’est vrai ? Maman t’a dit un truc… important. Mais pas à moi. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle croit ? Que je suis trop bête pour comprendre ? Trop faible ?
— Non, répondit Iris, la voix brisée. Elle pense que tu n’es pas prête. Après les examens.
Arinna déglutit, amère d’apprendre qu’on lui cachait des choses à elle, et seulement à elle. Le silence retomba entre elles. Il résonna comme une gifle.
— Et toi, t’en penses quoi ? demanda Arinna plus doucement.
— Je pense que tu devrais savoir. Mais je lui ai promis Arinna… Je lui ai promis.
Arinna recula d’un pas, blessée.
— Donc tu choisis de lui obéir… au lieu de me faire confiance.
— Non ! Je choisis de faire confiance à son jugement. À elle. Mais tu crois que ça m’est facile ? Tu crois que ça me plaît de te cacher ça ?
Sa voix se brisa, et sans prévenir, elle passa ses bras autour d’Arinna, l’attirant contre elle avec force. Un sanglot s’échappa de sa gorge, étouffé contre l’épaule de sa sœur. Arinna, encore sous le choc, ne répondit pas. Mais elle ne repoussa pas sa sœur non plus. Elle resta là, immobile, le cœur battant, écrasée entre frustration, amour et un profond sentiment d’injustice.
Arinna resta un long moment assise sur son lit après l’étreinte de sa sœur, le cœur en vrac. Elle ne savait plus quoi penser. Iris pleurait, sa mère lui cachait des choses, et elle-même… elle ne savait plus très bien ce qui relevait du rêve, du souvenir ou de la folie.
Elle finit par se lever et quitta la chambre sans un mot. Dans la cuisine, elle se prépara un sandwich qu’elle grignota machinalement, sans appétit, avant de venir s’affaler sur le canapé. Le téléviseur diffusait des images absurdes auxquelles elle ne prêta aucune attention.
Sa mère était toujours là, concentrée sur son ordinateur. Arinna l’observa un instant. Elle aurait voulu la confronter, poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. Mais elle n’en avait pas la force. Pas maintenant.
À mesure que les minutes passaient, ses souvenirs revenaient par vagues, certains plus nets que d’autres. Le loup, la forêt… et Eren.
Lorsque l’horloge afficha 16h50, elle bondit du canapé, une certitude au fond du cœur : elle avait besoin de parler. Et pas à n’importe qui. Elle avait besoin de Xander. Et Iris aussi… même si elle lui en voulait encore.
Elle retourna dans leur chambre. Iris écrivait dans un cahier qu’elle referma d’un geste rapide à son arrivée. Arinna hésita. Puis, plus doucement que prévu :
— Je vais voir Xander. Tu viens…
— Non, je suis occupée. Merci.
— Ce n’était pas une question, murmura Arinna. J’ai besoin que tu viennes.
Iris releva les yeux. Arinna ne la regardait pas avec colère, ni avec reproche. Juste avec un besoin désarmant. Un appel silencieux à leur complicité.
— S’il te plaît.
Sans un mot, Iris se leva, glissa son cahier sous le lit, et la suivit. Les deux jumelles enfilèrent leurs baskets et passèrent rapidement devant leur mère.
— Il y a Xander en bas, on descend le voir, à tout à l’heure ! lança Arinna
— Pas plus tard que dix-neuf heures les filles !
— Oui maman, répondirent-elles en cœur.
Iris attendit que les portes de l’ascenseur se soient refermées sur elles pour interroger sa soeur du regard.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Je t’ai pas tout dit à propos d’hier soir.
— Je m’en serais doutée ! s’exclama-t-elle prise par l’excitation.
— Mais si tu veux bien, il va falloir attendre que Xander soit là… Lui aussi veut savoir.
Iris fixa sa sœur, cherchant à deviner de quoi il en retournait mais elle ne parvint à rien déceler dans les yeux verts d'Arinna.
Elles sortirent de l’immeuble et retrouvèrent Xander déjà installé sur le petit banc face à la rue. Il les attendait, les mains dans les poches, l’air préoccupé. À leur approche, un sourire éclaira son visage, même s’il ne masquait pas totalement son inquiétude.
Arinna ne put s’empêcher de remarquer combien elles étaient différentes, côte à côte. Tandis qu’elle avait de longs cheveux roux et des yeux verts profonds, Iris avait hérité de la chevelure noire de jais de leur mère et des yeux bleu océan de leur père, celui qu’elles n’avaient jamais connu.
Les deux sœurs rendirent son sourire à Xander et vinrent s’asseoir de part et d’autre de lui.
— Bon alors, c’est quoi le dossier, Ari ? attaqua Iris, les yeux pétillants à l’idée d’entendre une histoire excitante.
— Vous allez me prendre pour une folle, j’ai du mal à bien comprendre ce qui m’est arrivé.
Arinna prit son inspiration, tentant de remettre ses idées en ordre. Elle se leva alors et fit les cents pas, les bras croisés contre sa poitrine devant Xander et Iris. Et puis, sans s’arrêter de marcher, elle commença son récit.
— Tout a commencé quand vous êtes partis danser, Xander. Danaé et toi. J’étais restée près du feu avec Chloe et Roxanna. Et c’est là qu’un garçon est venu me parler. Morgan. Je ne l’avais jamais vu avant. Il avait quelque chose de… dérangeant.
— Dérangeant comment ? demanda Iris, déjà dans son rôle d’enquêtrice.
— Je ne sais pas. Son regard, son sourire... Il avait l’air gentil, mais j’avais l’impression qu’il lisait dans mes pensées. Il voulait danser, j’ai dit non. Il a insisté… et j’ai fini par m’éloigner.
Elle s’interrompit, les yeux brillants d’une tension nouvelle. Comme un écho à ce souvenir, une étrange sensation la traversa. Elle avait l’impression d’entendre à nouveau sa propre voix résonner dans sa tête, exactement comme si elle se posait la question en cet instant même.
Où est passé Xander ? Qu’est-ce que je dois faire ? Je dois l’attendre ici ?
Et, sans réfléchir, une réponse lui échappa, murmurée presque malgré elle.
— Fuis…
Elle se figea, troublée par ce mot sorti tout seul.
— C’est là que tout a basculé, ajouta-t-elle d’une voix plus basse.
Elle leur raconta sa sensation de vide, ce moment figé où elle n’arrivait plus à bouger, cette bascule étrange comme si le décor avait changé en un clignement d’œil. Elle décrivit l’atmosphère menaçante, la forêt, la silhouette qui la suivait, et ce loup gigantesque. Elle parla de sa chute, de la douleur dans sa jambe, de son menton ensanglanté, puis de ce trou noir, jusqu’au réveil de retour auprès de ses amis.
Xander et Iris l’écoutaient sans un mot, tendus, captivés.
— Et tu n’as rien aujourd’hui ? Pas une égratignure ? demanda Iris, la voix un peu étranglée.
Arinna secoua la tête.
— Rien. Je me suis réveillée sans une seule blessure. Comme si… rien ne s’était passé.
Un silence s’installa. Xander fut le premier à le briser.
— Tu veux qu'j’te dise ce que je pense ? Je ne crois pas que tu as imaginé tout ça. Pas une seule seconde.
Arinna releva la tête vers lui, surprise.
— Tu étais vraiment différente quand Eren t’a ramenée. T’étais pâle comme un linge. Tu tremblais. Et puis Eren… Il avait l’air bizarre lui aussi. Plus silencieux que d’habitude.
— Eren ? Comment ça Eren ? Eren Valcourt ? grogna Iris.
Arinna sentit toute la rancœur accumulée chez sa sœur remonter d’un seul coup — ce ton, elle le connaissait par cœur. Iris ne parvenait jamais à masquer ce que lui inspirait ce prénom.
— Oui, on parle de cet Eren, souffla Arinna en se mordant la lèvre.
Elle marqua une courte pause.
— C’est lui qui m’a trouvée évanouie à la lisière du bois. Il m’a ramenée auprès de Xander et Danaé, expliqua-t-elle.
— Ce type, il va falloir qu’on lui parle, fit Iris, la mâchoire serrée. Depuis toutes ces années, je rêve de lui refaire le portrait.
— Iris…
— Non, mais sérieusement ! Pourquoi c’est lui qui t’a trouvée là ? Comme par hasard, hein ?!
Xander regardait l’une puis l’autre en fronçant les sourcils, visiblement perdu. Arinna devina qu’il ne comprenait pas l’animosité d’Iris. Elle-même avait toujours fait comme si Eren n’avait été qu’un camarade comme un autre. Un inconnu.
— L’une de vous va-t-elle prendre la peine de m’expliquer le problème avec Eren ?
— C’est lui, le problème, cracha Iris.
Arinna eut un petit rire sans joie, qui n’échappa pas à Xander. Il attendait manifestement une réponse plus claire.
— On était amis… avant, finit-elle par avouer, à contrecœur.
— Amis ?! s’indigna Iris. Tu plaisantes j’espère ! Vous étiez deux berniques ! Toujours collés l’un à l’autre. Impossible de vous séparer.
— Iris ! gronda Arinna.
— Ça va, Ari, c’est de l’histoire ancienne. Mais tu ne peux pas faire comme si c’était juste un banal camarade de classe.
— Toi, amie avec Eren Valcourt ? répéta Xander, abasourdi.
— Ne m’juge pas, Xander. Il n'a pas toujours été aussi snob. Quand on était petits, c’était pas un crétin prétentieux. Ça lui est venu au collège. Il a arrêté de me parler du jour au lendemain. Je pense qu’il a compris que j’étais pas assez… bourgeoise pour lui.
Les mots lui brûlaient encore la gorge.
Malgré toutes ces années, se souvenir de lui restait douloureux.
Elle aurait voulu l’effacer de son cœur — mais jamais elle n’y était totalement parvenue.
—Siméon était censé être dans ce coin-là aussi, non ? reprit Iris. Il a bien dû voir quelque chose.
— Non, il n’a rien vu, répondit Xander. Siméon était au poste de secours, à côté de la piste de danse. Avant qu’Eren ne te ramène, j’étais allé lui demander s’il t’avait vue. Il ne savait rien.
— Donc personne ne t’a vue t’éloigner. Tu t’es retrouvée dans la forêt sans raison… et seul Eren t’a trouvée. Génial, commenta Iris avec ironie.
— Et ce Morgan ? demanda Xander. Tu crois qu’il a un lien ?
— Je ne sais pas… Je l’ai quitté bien avant que les choses deviennent bizarres. Mais il avait ce regard… Il m’a glacée.
Iris se leva, soudain animée.
— Voilà le plan. Lundi, tu causes à Eren. Tu le forces à parler. Je ne sais pas ce qu’il cache, mais il y a quelque chose. Moi, je vais enquêter sur le loup. Peut-être qu’un animal s’est échappé d’un refuge. Et Xander… tu peux essayer de retrouver Morgan ?
Xander répondit, d’un air plus grave :
— Arinna, fais-moi plaisir. Reste discrète. Ne parle de tout ça à personne d’autre. Même pas à Chloe ou Roxanna. Je ne veux pas que des rumeurs tournent à ton sujet. Pas maintenant.
Arinna fronça les sourcils mais acquiesça.
— Et Eren ? Tu crois que je peux lui faire confiance ?
Xander détourna les yeux, les mâchoires crispées.
— Je pense… qu’il sait plus de choses qu’il ne le dit. Et ça me suffit pour avoir des doutes. Si tu lui parles, sois attentive. Très attentive. Toujours dans un lieu public…
— Tu crois qu’il aurait pu me faire du mal ?
— Ce type est complètement taré, intervint Iris, ne mâchant pas ses mots. Il est capable de tout !
— J’en sais rien, répondit Xander, Mais dans cette histoire, il y a trop de coïncidences. Et je déteste les coïncidences.
Il se leva, épousseta machinalement son jean et jeta un coup d’œil à Iris. Celle-ci soutint son regard avec un hochement de tête à peine perceptible. Un accord silencieux venait de passer entre eux.
— J’irai parler à Chloe et Roxanna à propos de Morgan, conclut Xander. Savoir s’il traîne souvent dans les soirées comme celle-là. Et si tu le croises, tu évites d’être seule.
— D’accord.
— Moi, je vais creuser l’histoire du loup, annonça Iris. Je suis sûre qu’il y a une explication. Si quelque chose rôde, ça laisse des traces.
Arinna inspira profondément. Malgré l’angoisse, malgré les trous noirs, malgré la peur... elle se sentait un peu plus solide. Elle avait une équipe. Et ils allaient remonter le fil.
— Merci… à vous deux. Vraiment.
Iris passa un bras autour de ses épaules et lui décocha un clin d’œil.
— Faut pas t’inquiéter. On gère. Équipe Arinna. Rien ne peut nous arrêter !
Mais quand Arinna détourna les yeux, Xander resta immobile une seconde de trop. Son visage n’avait rien laissé filtrer, pourtant quelque chose s’était durci dans son regard.
Cette histoire ne faisait que commencer. Et le temps jouait contre eux — surtout contre elle.
Cette nuit-là, Arinna rêva à nouveau de sa liberté. Mais cette fois, quelque chose l’attendait déjà. L’ombre. Elle la distingua d’abord à peine, tapie dans l’obscurité d’une ruelle. Une silhouette immobile, trop humaine pour être un monstre, trop sombre pour être un homme. La peur la prit immédiatement. Son cœur battait si fort qu’elle crut le sentir résonner dans toute la ville. C’était l’homme de la forêt, elle en était certaine.
Toute la nuit, elle courut, se cachant, priant pour lui échapper. Mais où qu’elle aille, l’ombre la suivait. Toujours à la même distance. Toujours silencieuse. Toujours là.
Et pourtant… parfois, dans le vent, elle croyait percevoir autre chose qu’une menace. Comme un souffle chaud derrière elle, presque rassurant.
Arinna secoua la tête, refusant d’y croire. Non. C’était impossible. Si elle laissait cette chose s’approcher d’elle, elle mourrait.

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