Chapitre 8 : face cachée

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En rentrant chez elle, Arinna prit une douche brûlante, espérant se remettre les idées en place. Elle avait pris la décision d’ignorer cette invitation délirante et de rester bien à l'abri chez elle. Mais alors qu’elle égouttait ses cheveux, elle se rendit bien compte qu’elle ne parvenait pas vraiment à s’y résoudre. Était-elle devenue masochiste cette dernière semaine ? Qu’est-ce qui lui prenait à choisir une telle prise de risque ?

Arinna grimaça. Non elle n’était quand même pas en train d’envisager de s’y rendre… et pourtant si. Sa curiosité la démangeait. Et puis, s’il voulait la tuer, il aurait pu le faire dans la bibliothèque. Il avait eu maintes occasions finalement. Que risquerait-elle de plus en se rendant chez lui ? Si ce n’était pas ce soir qu’il la tuait, ce serait à un autre moment. Vu sa force surnaturelle, il n’aurait aucun mal à se débarrasser d’elle.

La Chevalier se sécha en vitesse et se rhabilla. Ni sa sœur, ni sa mère n’étaient présentes à l’appartement. Elles avaient laissé un post-it l'informant qu’elles étaient parties en courses. Arinna prit un crayon et ajouta une note à la suite de celle de sa mère.

« Suis partie chez Eren »

Pas sûr que sa mère se souvienne de ce garçon, mais Iris comprendrait de qui elle parlait.

Arinna prit son sac et quitta l’appartement. Elle fit le trajet en bus et arriva en avance devant la maison du garçon. Elle s’avança dans l’allée et vint toquer doucement à la porte. Une voix enfantine lui répondit :

— C’est qui ?

Arinna hésita un dernier instant. Si elle voulait faire demi-tour, c’était le moment. Non, elle était venue jusque là, ce n'était pas le moment de se débiner.

— Je… je suis venue voir Eren, répondit-elle d’une voix mal assurée.

Le silence se fit. Puis elle entendit le cliquetis d’une clef que l’on tournait dans la serrure. La porte s'entre bâilla laissant découvrir le visage d’une fillette.

— Je n’ai pas le droit d’ouvrir aux inconnus et Eren n’est pas là.

— Hannah ? demanda Arinna, reconnaissant alors la petite fille.

Lorsqu’elle était encore amie avec Eren, elle avait entendu parler d’une enfant, nourrisson à l’époque. Elle était une cousine d’Eren, devenue orpheline, recueillie par les parents de ce dernier. Arinna n’avait vu qu’une seule fois les parents de son camarade. Elle n’était invitée qu’à de très rares occasions à venir chez eux.

L’enfant détailla Arinna, ne la reconnaissant pas. Bien sûr, elle était bien trop jeune pour avoir des souvenirs de la camarade de son cousin.

— Tu ferais mieux de partir, conseilla-t-elle de sa petite voix.

— Il m’a donné rendez-vous.

— Quoi qu’il t’ai dit si tu veux qu’il t’arrive rien, tu devrais partir. Il sera pas content de te voir là.

Arinna allait répliquer quand une voix l’interrompit. Elle se tourna et découvrit le garçon qui remontait l’allée menant à sa maison, son habituelle froideur ayant repris place sur son visage.

— Qu’est-ce que tu fous là ? grogna-t-il d’un ton agressif à l’intention d'Arinna.

— Tu rigoles ?! C’est toi qui m’a demandé de venir.

Une lueur d’incompréhension traversa son regard. Puis il poussa Arinna par l’épaule pour la faire rentrer dans la maison. Elle sentit alors cette colère la secouer de l’intérieur.

— Hé doucement ! Je ne t’ai rien fait ! Tu ne vas pas recommencer ! protesta la demoiselle.

— Hannah, tu files dans ta chambre, ordonna Eren d’une voix sans appel.

La petite lança un dernier regard à Arinna et formula du bout de ses lèvres « Je t’avais prévenue » avant de filer loin des deux adolescents.

Eren se mit face à Arinna.

— Ça ne t’a pas suffit tout à l’heure ? Je te fais pas assez peur ? J’aurais dû y aller plus fort ? Te sentir toi-même mourir c’était pas assez ?!

Sa mâchoire se crispa, ses yeux s’assombrirent. Son masque froid se fissurait à chacune de ses paroles laissant à nouveau filtrer sa rage intérieure.

— C’est toi-même qui est venu me trouver à l’arrêt de bus ! répondit Arinna sur le même ton agressif que celui du garçon.

— Quoi ?! fit-il visiblement désarçonné, je n’ai jamais…

Il s’arrêta, détournant le regard, semblant réfléchir avant de jurer pour lui-même.

— Ce n’était pas moi. Tu t’es fait avoir. Maintenant c’est trop tard. Il va arriver d’une minute à l’autre...

Arinna haussa les sourcils. Qu’est-ce qu’il lui racontait encore, cela n’avait aucun sens…

— De quoi tu parles ? Je sais quand même te reconnaître…

— Et bien visiblement non puisque tu viens de tomber dans son piège ! cracha-t-il avec rage. Tout ce qu’il veut, c’est ton démon. Alors appelle le, démerde toi pour qu’il vienne. De toute façon, c’est ta seule chance de t’en sortir vivante maintenant.

— Mon quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— Ton démon ! Dépêche-toi car il ne te le demandera pas aussi gentiment que moi !

Arinna écarquilla les yeux. De quoi, ou plutôt de qui lui parlait-il encore. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il attendait d’elle. Elle jeta un coup d'œil à la porte, envisageant de s’échapper sans demander son reste. Eren suivit son regard et fit non de la tête.

— C’est pas aussi facile que ça. Je ne peux pas te laisser partir. Il s’en prendrait à ma famille si je faisais une pareille erreur. Non tu ne peux pas me demander ça. Fais venir ton démon, il pourra se défendre. Il aura peut-être une chance de s’en sortir une deuxième fois.

— Mais je ne sais pas de quoi tu parles ! lui lança-t-elle, à bout de nerf.

Une larme de terreur perla au coin de l'œil d'Arinna. Elle était perdue dans une incompréhension encore plus grande que quand elle avait franchi le seuil de cette maison.

Maintenant, elle regrettait profondément d’être venue. Quelle petite sotte. La voilà seule dans des ennuis bien plus grands qu’elle sans aucune échappatoire.

Que dois-je faire ? Je voudrais que Xander soit là… Pourquoi je suis pas allée le voir pour lui raconter au lieu de venir…

Appelle-le.

Quoi ?

Appelle-le à l’aide.

Arinna leva les yeux vers Eren, celui-ci la fixait d’un regard presque suppliant. Il ne semblait pas avoir entendu cette voix qui venait de parler.

— Ne m'oblige pas à refaire ça Arinna.

Il s’avança d’un pas lourd vers elle, la mine déconfite. Arinna eu un mouvement de recul, qu’est-ce qu’il s’apprêtait à faire ? L’agresser, comme dans la bibliothèque ? La demoiselle cherchait du regard une porte de sortie.

— Nous sommes dans la réalité cette fois. Tu en auras des séquelles. Il te suffit de l’appeler, lâcha-t-il presque à regret en continuant de s’approcher.

— Qu’est-ce que tu fais ? Reste là où tu es ! Laisse moi partir ! Je t’en supplie, je ne dirais rien ! implora-t-elle les yeux embués de larmes.

Eren fit un léger non de la tête, murmurant à nouveau qu’il n’avait pas le choix. Il empoigna alors la jeune fille par la chevelure à l’arrière de son crâne et la tira pour lui incliner la tête. Elle se retrouva à fixer le plafond, une nouvelle larme perlant au coin de son œil.

— Appelle-le, chuchota-t-il dans son oreille d’une voix emplie de souffrance, s’il te plait…

Arinna tenta de le repousser, elle frappa son torse de ses poings mais cela n’avait aucun effet sur lui. Il l’a tenait et elle ne pouvait rien y faire. Alors elle ferma ses yeux, abattue, laissant une larme glisser le long de sa joue. Dans un souffle à peine audible, elle prononça ces quelques mots salvateurs :

— À l’aide.

A l’entente de ces paroles, Eren relâcha instantanément son emprise poussant un soupir de soulagement. Il recula d’un pas, titubant presque sous la pression qui avait crispé tous ses muscles. Arinna tomba alors à genoux et éclata en sanglot.

Le jeune homme reprit son souffle et s’avança vers la demoiselle pour l’aider alors qu’elle se redressait difficilement pour lui faire face. Elle repoussa sa main aidante d’un geste brusque. Mais qu’est-ce qui lui prenait à la fin ?

— Est-ce que tu l’as touché au bus ? Es-tu entrée en contact avec lui ?

Arinna acquiesça d’un léger hochement de tête.

— Et tu n’as pas ressenti ce courant électrique ?

Arinna voyait parfaitement de quoi il parlait. Elle fit non en laissant d’autres larmes s’échapper de ses yeux émeraude.

— Tu n’as pas ressenti ça, n’est-ce pas, continua-t-il en avançant sa main pour la poser sur la joue de la demoiselle.

Dès que leurs épidermes entrèrent en contact, un frisson saisit la jeune fille. Elle soutint le regard de son camarade. Si ses traits n’exprimaient aucune émotion, elle ressentit une tristesse qui n’était pas à elle. Ce pouvait-il être la sienne ? Elle se perdit dans ses iris d’un bleu cristallin. Elle sentit une douleur sourde. Quelque chose de profond, vieux, usé. Une fatigue de vivre. Ce n’était pas la sienne.

— Qu’est-ce qui m'arrive ? C’est à toi ce que je ressens ? balbutia-t-elle entre deux sanglots.

— Oui, mais je n’ai aucune idée de comment tu fais ça…

Il allait poursuivre quand il fut brusquement projeté au sol par une énorme créature. Si dans la pénombre de la nuit, Arinna avait pris cela pour un loup, en plein jour, il était évident que s’en n’était pas un.

Il s’agissait d’une créature de forme humanoïde, grande d’au moins deux mètres. Sa peau était grise presque noire. Des ailes semblables à celles d’une chauve-souris faisaient suite à ses omoplates. Elle avait des bras puissants et des griffes noires ornaient le bout de ses doigts. La créature plaqua Eren au sol et commença à l’assaillir de coups plus puissants les uns que les autres. Arinna poussa un cri sous l’effet de surprise, ne sachant aucunement pour lequel des deux elle était.

Elle se sentit alors soulevée, un bras venait de l’encercler par la taille. Elle voulut se débattre et cria de plus belle. Mais il n’y avait rien à faire, l’emprise autour de sa taille était beaucoup trop forte pour qu’elle puisse y échapper. De force, on l'emmena hors de la maison.

Eren encaissait tant bien que mal les coups violents de la créature. Il restait dans une posture défensive, tentant de protéger son visage à l’aide de ses bras. Malgré l’assaut, il restait attentif à cette silhouette qui emmenait au loin la jeune fille. Lorsqu’ils furent hors du champ de vision d’Eren, ce dernier estima qu’il était temps de riposter. Il n’allait pas se laisser malmener sans rien dire. Autant il semblait se soucier du sort de la demoiselle, autant il n’avait aucun égard pour cette créature qui l’attaquait. Et Eren était loin d’être en difficulté. Il replia ses jambes sur son buste pour pouvoir repousser d’un coup violent le monstre. Ce dernier fut projeté contre un mur. Le garçon pu alors se remettre sur pied pour lui faire face.

— Alors, démon, on se met à protéger les humains maintenant ?

La créature souffla, visiblement peu encline à bavarder avec le jeune homme. Lui se remit face à son adversaire, prêt à parer toute attaque.

— Ne t’avise pas de toucher un seul de ses cheveux, grogna le monstre.

— Et pense bien que je te retourne l’avertissement, souffla Eren à mi-voix, n’assumant pas vraiment cette prise de position.

Si les siens l’entendaient, ils se questionneraient, si son mentor l'apprenait, il s’en amuserait. Eren ne le savait que trop bien. Il ne l’avait pas tenue à l’écart de sa vie pendant toutes ces années pour voir ses efforts ruinés ainsi. Pourquoi avait-il fallu que ce soit Arinna qui deviennent la proie cette nuit-là ? N’y avait-il pas assez d’étudiants éméchés à prendre pour cible ? Et dans tout cela, Eren était très partagé quant à la présence de cette créature infernale aux côtés de sa camarade… Il ne savait pas encore comment gérer cette information là.

On fit monter Arinna de force dans une voiture, qu’elle reconnut comme étant celle d’Alexander. C’était donc lui qui venait d’intervenir pour la faire sortir de cette maison. Il fit le tour de la voiture et s’empressa de venir prendre la place du conducteur. Arinna le fixait d’un œil terrifié. Lui resta concentré, imperturbable, d’un air très préoccupé. Il mit le contact, verrouilla l’habitacle et démarra a pleine vitesse. Il fila dans les rues de la ville d’une conduite rapide et dangereuse, ne respectant aucune règle. Tout ce qu’il voulait c’était mettre de la distance entre eux et cette maison.

Le cœur d'Arinna battait la chamade, elle le croyait sur le point de rompre tellement il lui faisait mal. Des larmes coulèrent en continu le long de ses joues sans qu’elle ne puisse les contrôler. Lorsqu’ils arrivèrent sur la voie rapide, Alexander stabilisa son allure.

Ils restèrent plusieurs minutes ainsi avec seulement le bruit de la route pour combler le vide. Il sortit alors de la voie rapide et continua sur des routes désertes de campagne alors que la nuit tombait sur les environs.

C’est là qu’il osa enfin lancer un regard vers son amie recroquevillée sur son siège.

— Je suis là maintenant, tout va bien Arinna, dit-il d’un ton qui se voulait rassurant, mais trop doux, presque hésitant, tu es blessée ?

Elle secoua la tête, comme s’il lui fallait un effort pour lui répondre.

— Tu es sûre ?

Elle ne répondit pas. Le bruit de la route grignotait le silence.

— Dis quelque chose, Arinna.

Elle détourna les yeux, fixant le flou de la vitre. Elle ouvrit enfin la bouche. Sa voix était rauque, étrangère.

— Il m’a demandé d’appeler un démon.

Xander ouvrit grand les yeux, déglutissant avec difficulté.

— Je l’ai fait. Il est venu. Et toi aussi.

Le visage de Xander se figea. Il se pinça les lèvres gardant les yeux rivés sur la route. Il ne dit rien. Le regard d'Arinna se fit plus dur à l’égard de son meilleur ami.

— Comment m’as-tu trouvée ? demanda-t-elle.

Il resta encore silencieux incapable de trouver les bons mots aux questions de la jeune fille.

— Tu vas me répondre oui ?! cria-t-elle, la gorge nouée.

Alexander se mordit la lèvre, un air douloureux sur son visage.

— Je ne sais pas comment te dire tout ça Arinna, dit-il avec peine.

Arinna poussa un cri de rauque, un sanglot mêlé de rage. Elle n’en pouvait plus de ces mystères.

Soudain, un bruit sourd fit trembler le toit de la voiture, comme si quelque chose d’énorme venait de tomber dessus, surprenant la passagère mais laissant le conducteur de marbre. Xander déverrouilla la voiture. La portière arrière s’ouvrit et Siméon se glissa à l’intérieur, essoufflé, les yeux fous, les traits tirés, sous le regard abasourdi d'Arinna. Elle chercha alors à se détacher et à actionner la poignée de sa portière, prise d’une panique qu’elle ne maîtrisait pas.

— C’est… c’était, c’était toi ? La créature ? balbutia-t-elle.

— Mauvaise idée, fit Siméon en verrouillant la portière de leur jeune amie. Calme toi Arinna. Tu me reconnais ? C’est moi, Siméon… tu n’as rien à craindre, on est avec toi, on a toujours été avec toi.

La respiration d'Arinna s’accéléra à nouveau. Son regard allant d’un frère à l’autre alors qu’elle n’était plus du tout bien assise dans son siège.

— Arinna je t’en supplie, attache toi. J’ai pas envie d’avoir fait tout ça pour te perdre dans un stupide accident de voiture !

La jeune fille ignora totalement la supplication de Siméon.

— Vous vous foutez de moi ? Qu’est-ce que vous êtes ? Des monstres ? Et… où est-ce qu’on va ? Où est-ce que tu m’emmènes ?

— Elle est incontrôlable, elle va nous mettre en danger. Fais quelque chose Siméon, elle panique complètement.

Arinna lança un regard furieux à Alexander.

— Parce que j’ai aucune raison de paniquer peut-êt…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle se sentit vaciller. Sa tête tourna, ses pensées s’emmêlèrent. Elle tenta de lutter contre cet étourdissement mais il n’y avait rien à faire. Siméon l’avait attrapé par le poignet. Il fut pris par surprise de lui aussi ressentir cette impression de perdre pied.

— Xander, t’es tout seul… je ne sais pas ce qu’il m’arrive…

La voix de Siméon s’éteignit. Il n’était plus qu’un souffle, un poids lourd et inconscient sur la banquette aux côtés d’une Arinna dans le même état.

Alexander jeta un coup d'œil très inquiet à l’arrière de la voiture, tâchant de constater l’état de son frère. Cependant il ne pouvait pas se permettre de ralentir et risquer de se faire rattraper. Il appuya sur l’accélérateur et tâcha de filer le plus vite possible sur ces routes pour tous les conduire à l’abri.

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