12 : Paris express
Si elle avait su qu'échanger leurs numéros reviendrait à dire se faire attaquer de messages tous les quart d'heures par un Evan en panique, Riley n'aurait sûrement pas accepté.
Depuis ce matin de «l'entre-deux fêtes», comme elle aimait appeler cette période entre Noël et le Nouvel An, son camarade de boxe ne cessait de lui envoyer des notifications pour l'empêcher de partir, «même si je ne sais pas pourquoi», lisait-elle une fois sur deux. Elle n'avait répondu à aucun, car si elle le faisait, Riley pensait qu'il ne la laisserait jamais tranquille.
En finissant de se préparer, elle fit rouler sa valise jusqu'à la porte d'entrée de son appartement. Elle mit à côté son billet d'avion au départ de Londres et lu le message de la fameuse inconnue qui lui avait parlé de Jason. Depuis ce jour-là, elles discutaient de temps en temps, cependant Riley n'était pas trop fan des conversations virtuelles, même si c'était toujours mieux que de parler en face à face avec qui que ce soit, n'étant toujours pas à l'aise et méfiante de ce qui pourrait lui arriver.
Après les dernières vérifications, où elle prit soin de faire trois fois le tour de son appartement, elle sortit de chez elle et ferma à double-tour, avant de descendre vers son arrêt de bus.
Elle avait soigneusement planifié son trajet : le bus l'emmènerai à la sortie de Sleaford, où elle rejoindrait la gare pour prendre un premier train à destination de Peterborough. D'ici, elle monterai ensuite dans un autre train à grand vitesse qui rejoignait directement Londres, dont le Terminal n'était autre que la célèbre gare Kings Cross, pour ensuite prendre deux correspondances afin d'arriver finalement à l'aéroport de London City. Comme elle avait presque trois heures de trajet et que l'avion ne décollerait pas avant quatorze heures, cela lui laissait le temps de se nourrir et faire une pause. Enfin, elle serait sur Paris aux alentours de quinze heures trente, quasi seize avec les retards. Elle n'avait pas prit de billets retours, car elle ne savait pas si elle trouverait Jason immédiatement. Et Riley ne comptait pas retourner à Sleaford sans l'avoir vu.
Quand elle montait dans son bus, elle soupira : c'est parti. Une énième notification d'Evan apparu et elle l'ignora, avant que quelqu'un ne se racle la gorge, sûrement pour demander à s'asseoir à côté d'elle par manque de place.
– Salut ! Hum... Riley ?
Elle leva la tête, et écarquilla les yeux.
– Rachel ?! Mais, que fais-tu ici ?
– Je te pose la même question.
Rachel était l'ancienne collègue de Riley, avant qu'elle ne démissionne de son poste de serveuse le jour où elle avait entreprit de s'improviser acrobate de saut de rivière. Quand on la croisait, on aurait pu penser à un mauvais sosie de son homologue dans la série Friends : la Rachel qu'avait côtoyé Riley était blonde vénitienne, aux yeux bleu foncés et arborait une apparence de secrétaire, les lunettes en moins pour ne pas trop appuyer le stéréotype. Quand elle demanda à s'asseoir, Riley lui fit volontiers une place. Elle avait toujours cette odeur de café et de cookies.
– Alors, quoi de beau ? Je ne te vois plus au restaurant.
– Cela m'étonne que tu ne sois pas au courant : j'ai démissionné. J'en avais marre de me faire maltraiter par un patron macho et assoiffé de sexe.
– Je te comprends... ce n'est pas le meilleur du quartier en effet. Tu as été la seule a avoir osé partir. Là-bas, personne ne veut quitter son poste, par peur de ce qu'il pourrait faire. C'est un sale pervers, enfin, je ne vais pas te rappeler la façon dont il agit.
– Non merci, j'ai eu ma dose. Mais toi, tu en es où alors ? Pars.
– J'aimerais, mais contrairement aux autres, ce n'est pas tant le problème qu'il me fasse peur ou qu'il vienne en représailles si je démissionne. C'est plutôt parce que j'ai besoin de ce travail, et je ne sais faire que ça. J'ai déposé des CV partout, personne ne veut de moi. Je suis en train de réfléchir pour déménager, il y a de meilleures opportunités dans les villes voisines.
Riley acquiesçait. D'aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, Rachel était la seule personne avec qui elle arrivait un minimum à s'entendre. Quand elle avait débarqué dans le bar-restaurant, c'était elle qui lui avait appris les ficelles du métier. Et bien qu'elle ne soit pas restée longtemps, Riley avait finit par l'apprécier, un peu. Elle avait énormément de mal à s'attacher aux autres, après ce qu'elle avait vécu.
Mais ce voyage serait le début de la fin de ce problème. Et de bien d'autres. Enfin, on verra, hein ?
Pour faire passer le temps entre les arrêts, toutes deux discutaient de leurs vies. Quand Riley évoqua son voyage pour Paris, Rachel prit un air sérieux.
– Oh, Paris. Pourquoi tu y vas ?
– J'ai quelque chose d'important à faire, dit-elle simplement.
Rachel ne réagit pas à cette réponse, et opta pour la tactique.
– Pour ma part, je me rends au Portugal. J'ai pris quelques semaines de congés, j'en ai besoin pour savoir quoi faire. Ça va me permettre de me ressourcer en famille, d'ailleurs, ne dit-on pas que la famille est le pilier, en terme de soutien ? C'est important de trouver de l'aide quand il le faut.
Ce discours lui rappela bien vite les bonnes paroles d'Evan. Son téléphone vibra de nouveau, et elle se renfrogna.
– C'est bien pour toi, envoya-t-elle.
Rachel se tourna vers Riley, et vit son expression amère. Elle chercha à détendre l'atmosphère.
– Je ne sais pas ce qui te tracasses, ni même ce que tu as pu traverser ces dernières années, mais je te connais Riley. Même si je ne t'ai côtoyé que quelques mois, je sais que tu renfermes un passé difficilement supportable, et qu'à la moindre difficulté tu finis par errer en solitaire.
– Que sais-tu de moi, au juste ? renchérit Riley, agacée.
– Tu as raison, je ne sais probablement rien, ou ne serait-ce qu'à peine le demi-quart de ta vie. Cependant, quand les épreuves viennent à toi, je pense que fuir n'est pas la solution. Au contraire, il y aura toujours quelqu'un qui sera là pour te soutenir, même si tu crois que personne ne veut ton bonheur. Et, de toi à moi, je ne crois pas que tu sois du genre à faire preuve de lâcheté envers ceux qui cherchent à te venir en aide.
Plus Rachel parlait, plus Riley se posait des questions. Comme si elle était au courant pour Evan, pour ce qu'elle s'apprêtait à faire. Elle est médium ou quoi ? Ces paroles étaient trop lourdes de sens pour que ce soit qu'une simple coïncidence. Pour la première fois, elle se méfiait de Rachel.
Devait-elle prendre le risque de le lui demander ?
– Oh, je descends ici.
Riley tourna vivement la tête et remarqua qu'elles se trouvaient à la gare de Sleaford. Déjà ? Rapidement, elle prit ses affaires et suivit Rachel qui semblait prendre la même direction qu'elle.
Finalement, elle la perdit de vue en entrant dans la gare. Sa phrase lui revenait en mémoire, et elle aurait juré avoir entendu Evan à travers ses paroles. Me dit pas qu'il l'a envoyé pour me dissuader ? Elle chassa cette pensée ridicule aussitôt, car ils ne se connaissaient pas. Néanmoins, elle ne cessait de trouver cette discussion louche.
Bientôt, Riley s'installa dans le premier train, qui démarra. Quelques heures plus tard, elle fut à Londres, où elle croisa une masse de touristes déguisés en écoliers de Poudlard. Manquerait plus que Dobby débarque pour crier à la liberté. Encore quelques heures et Paris serait en vue.
***
Pas le temps pour le repos, Riley passa rapidement dans un hôtel pour y déposer ses valises avant de ressortir dans Paris pour se mettre sur la piste de Jason. Elle n'a jamais été aussi près de retrouver un de ses harceleurs, et la tension montait. Depuis l'échange avec Rachel, elle se demandait si son choix avait été le bon. Mais en checkant son message de l'inconnue, elle se rappela bien vite qu'elle devait le faire.
La seule chose qu'elle savait, c'est que Jason étudiait à Paris. Elle se renseigna sur internet et trouva quelques campus, puis se rendit vers le quartier de la Sorbonne. Il paraîtrait qu'une grande université se trouvait là-bas, et comme elle n'osa pas interroger la fameuse étudiante française, elle chercha par elle-même.
Au détour d'une rue, elle se rendit compte qu'elle avait atterri pile devant l'entrée du campus. Elle serra les poings, s'armant de courage, et marcha droit devant. Une foule d'étudiants faisaient des allées et venues entre les différents bâtiments, et, en quelques minutes, Riley cogna malencontreusement quelqu'un.
– Désolée ! bredouilla-t-elle dans son anglais parfait.
Quand elle se retourna, une Parisienne typée et maquillée à outrance semblait l'insulter dans sa langue maternelle, Riley ne comprenant rien. Elle recula d'un pas, et avant de partir, un homme à la peau bronzée, les yeux chocolats, les cheveux bouclés et volumineux, et à l'accent latino léger, lui fit l'effet d'avoir vu un fantôme.
– Riley Walsh ?
Elle reprit vite contenance, et fit mine d'avoir le dessus sur la situation.
– Surpris de me voir, Jason ?
Elle était plus en panique que jamais.
Annotations
Versions