Le Bobby d'à travers le temps
Le ciel se teintait ce matin-là d'un beau mélange de bleu et de rose, un matin d'automne comme il y en avait des milliers. Les oiseaux gazouillaient, le coq avait sonné le clairon et servait pour la plupart des habitants de réveil universel. Les boulangers étaient à l'oeuvre depuis bien avant les premiers rayons de soleil et avaient fait cuire les premiers pains qu'ils vendraient dans la matinée. Les marchands ouvraient leurs échoppes et disposaient sur des étales en bois les divers articles à vendre : poissons, crustacés, fleurs, bijoux, vêtements, sucreries en tout genre ou encore des armes...
La ville d'Aq'Terra se réveillait après une longue nuit réparatrice.
Ainhoa ouvrit les yeux. Elle était dans son grand lit à baldaquin, recouverte par d'épaisses couvertures en plume d'oie, un gros coussin moelleux derrière la nuque. Ses longs cheveux blonds collaient à côté de sa bouche encore humide, elle éternua alors que les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux de son immense chambre. La jeune femme se redressa difficilement et s'étira longuement faisant aller ses bras d'un côté puis de l'autre en baillant. Quelqu'un frappa à la porte et entra au même moment.
- Bonjour Madame, avez-vous bien dormi? Je vous apporte votre déjeuner.
La servante qui venait d'entrer dans la pièce de manière un peu brutale était Myrce, une vieille dame bossue mais Ainhoa l'adorait. Elle était sa tutrice depuis sa naissance dans le château d'Aq'Terra. Myrce lui avait appris les rudiments du crochet, de la conversation, de la danse mais aussi, et de manière moins conventionnelle, avait ouvert son esprit aux contes et légendes du monde, à l'aventure et à toutes sortes de curiosité. Cette servante était également chargée de gérer l'agenda de la cadette de la puissante famille Thasec et sa toilette.
Ainhoa n'était pas une princesse mais la fille cadette du Général Aaron Thasec. Cet homme était proche de l'empereur d'Aq'Terra et commandait les chevaliers des 5 pilliers. Le royaume d'Aq'Terra n'était pas le seul qui existait en ce monde mais c'était celui des humains. Les autres royaumes étaient pour les hybrides, les fées et les vampires. Les 5 piliers représentaient les 5 pouvoirs magiques de ce monde : le feu, l'eau, le vent, la terre et la foudre, le 6ème pilier étant celui de la Lumière il offrait le poste de général des piliers. Vous l'aurez donc compris, le père d'Ainhoa était le représentant de la magie de la lumière pour l'empire des humains.
Cependant la jeune femme n'avait pas toujours vécue dans ce monde rempli de magie et de créatures extraordinaires. Elle a un passé qui lui paraissait aujourd'hui terriblement lointain, la cadette avait été sur Terre ce que l'on appelle une conservatrice en musée. Elle était chargée de restaurer des peintures datant d'une époque qui ressemblait étrangement à celle où elle vivait aujourd'hui. Une ironie qui n'avait pas manqué de la faire sourire.
- Madame, tout va bien? s'enquit Myrce
- Oh excuse-moi j'étais dans mes pensées. répondit Ainhoa en souriant
- Il faut vous ressaisir, vous avez des choses importantes à faire aujourd'hui. J'espère que vous n'avez pas oublié!
- Comment le pourrais-je alors que tu me le rappels tous les jours depuis 3 semaines. ricana la jeune femme
La vieille dame afficha un air contrarié et se mit à râler à demi-mots en apportant le joli plateau en argent sur le lit de la cadette. Mais elle avait raison, aujourd'hui était une journée importante pour la cadette Thasec. Elle allait être diplômée de l'académie magique Terra, un établissement prestigieux qui formait l'aristocratie d'Aq'Terra à la magie, au commandement, au combat et à la survie en terrain hostile. Ainhoa n'était pas une élève exceptionnelle et n'était pas majors de sa promotion mais elle avait des notes suffisamment bonnes pour obtenir son diplôme. Elle espérait devenir un des futurs piliers sous le commandement de son père et pourquoi pas prendre sa place un jour. En tant que femme, cela lui serait sans doute difficile voire impossible mais elle ne perdait pas espoir de faire changer les choses car dans son monde d'origine certaine femme s'était battue pour obtenir les mêmes que les hommes ! Il fallait bien commencer quelque part.
La jeune diplômée engloutis goulument son petit-déjeuner sous le regard exaspéré de sa nourrice qui lui avait pourtant appris les bonnes manières mais celle-ci n'en faisait qu'à sa tête depuis quelques années maintenant. Myrce se remémora tous les moments passés avec sa protégée depuis sa naissance jusqu'au début de sa vie de jeune femme. La femme du général était morte en accouchant de la petite, une grossesse déjà difficile et à risque, les deux enfants qu'elle avait eus avant Ainhoa été déjà un risque mais ce troisième lui serait fatal. Le général Aaron avait vécu cette nuit-là la plus difficile de toutes ses épreuves, un enfant était né mais il avait perdu la prunelle de ses yeux, sa muse, sa partenaire de toujours...il nomma l'enfant Ainhoa et l'observa quelques secondes, couvrant le nouveau-né de ses larmes, avant le la donner à Myrce précipitamment. A partir de ce moment, il sut que jamais il n'aimerait cet enfant, il était responsable de la mort de sa bien-aimée et il ne pouvait affronter ce petit être qui ressemblait terriblement à la femme qu'il venait de perdre. Il est vrai qu'avec le temps, Ainhoa exprimait de plus en plus les mêmes traits fins et gracieux de sa mère, une longue chevelure blonde et bouclée, des yeux d'un bleu profond, un teint de porcelaine. Elle avait même hérité du caractère téméraire et curieux de sa génitrice qu'elle n'avait pourtant jamais rencontré.
Myrce soupira. Le général n'avait jamais pu aimer ce doux enfant, alors elle s'était donnée pour mission de s'occuper d'elle comme sa propre fille. Et ce qu'elle faisait encore aujourd'hui. Le regard de la vieille dame s'embruma, des larmes lui montèrent aux yeux en repensant à "ça".
- Et bien Myrce, me voir manger te fait pleurer maintenant? ricana Ainhoa
- Ah, vous verrez quand vous aurez mon âge Madame. Certains souvenirs nous rendent nostalgiques.
- Je pense que je peux te comprendre. souffla-t-elle mélancoliquement
Personne ne savait que la jeune femme avait déjà vécu un semblant de vie. Elle se souvenait de tout.
*
Un soir dans notre monde, Anabelle travaillait sur la restauration d'une oeuvre du 19ème siècle nommée Greyfriars Bobby. Un conte assez connu dans la région d'où elle venait et qui avait permis à un skye Terrier d'avoir sa propre statue devant un bar portant le même nom que lui. Ce petit animal représentait cependant beaucoup de sentiments pour les habitants de la ville et tous les ans des milliers de personnes venues d'ailleurs venaient découvrir son histoire.
Anabelle portait donc la plus grande attention à cette rénovation qui lui permettait également d'en apprendre plus sur la légende de cet animal. Son pays était riche en légende et en folklore parfois grotesque à ses yeux. Mais l'histoire de Bobby était plausible, elle sonnait comme une légende et pourtant elle était la moins romanesque de son pays.
Son téléphone sonna, il était en mode vibreur car elle ne supportait pas entendre une musique robotique casser l'ambiance dans la pièce où elle travaillait. C'était un bâtiment d'époque et classé de mur en pierre brune recouvert de tapisserie d'époque. L'âtre de la cheminée prenait la moitié d'un pan de mur, bien que bouché depuis des centaines d'années, il avait été conservé. Les armatures en métal devant l'âtre de style gothique aux extrémités pointues avaient également été parfaitement restaurée. La hauteur sous plafond devait être d'au moins 3 m et encore avait été abaissée pour faire des économies d'énergies. Les grandes fenêtres en bois double-vitrage apportait une forte clarté dans la pièce les jours de beau temps. Autour de grandes étagères en bois foncée étaient remplies de livres et servait de vraie bibliothèque. Anabelle travaillait là, dans cette salle froide et mal éclairée (pour protéger les oeuvres), en plein milieu sur un chevaler de grande taille entourée de palette et de peintures diverses. Son rôle était également de recréer des formules anciennes afin de conserver les nuances de couleur d'époque, procéder qu'elle connaissait par coeur désormais car elle exerçait ce métier depuis 10 ans déjà.
- Allô?
- Qu'est-ce que tu fais ? Ca fait 20 minutes qu'on attends au Deacon!
- Quelle heure est-il? s'étonna-t-elle d'un ton gêné
- Il est 20h30, tu devais nous rejoindre tu te souviens? Ne me dis pas que tu es encore au travail? s'énerva la voix au bout du fil
- Je n'ai pas vu le temps passer, je suis désolée. J'arrive directement.
- Comme d'habitude!
L'interlocuteur raccrocha subitement. Anabelle se sentait coupable car en effet elle était toujours en retard et avait la fâcheuse tendance à oublier les rendez-vous que l'on pouvait lui donner. D'autant plus lorsqu'elle travaillait.
Dans la hâte, la jeune femme rangea son matériel, enfila son trench-coat usé, éteint les lumières et ferma les portes du musée. Elle s'élança dans la rue et hurla après une petite voiture noire, un taxi typique de la ville. En montant dans la petite capsule noire, elle adressa ses salutations au chauffeur puis annonça : " 435 Lawnmarket".
Le chauffeur leva les yeux dans son rétroviseur et hocha simplement la tête. Il avait le teint pâle et ses yeux étaient grossis derrière ses lunettes triples foyers. Il portait une grosse moustache rousse, mal taillée avec des poils qui lui remontaient jusque dans les narines. Anabelle s'installa confortablement, elle savait que le trajet serait court entre le musée et le bar mais elle s'en voulait quand même. Le taxi allait suivre une longue rue puis il tournerait à gauche pour atteindre le bar quelques mètres plus loin.
Anabelle ne parvint jamais à rejoindre ses amis. Un camion perdit le contrôle de son véhicule et fendit le petit taxi noir de tout son poids et de toute sa vitesse. La jeune femme sentit sa cage thoracique s'écrasait dans un bruit de fracas épouvantable, sa respiration se coupa nette et alors qu'elle luttait pour prendre de l'air ses poumons refusaient de se gonfler. Une agonie consciente qui ne dura que quelques instants et qui entraîna sa mort alors qu'elle arrivait à peine aux urgences. Tout devint noir, immatériel et irréel. Alors que sa conscience se fondait avec cette obscurité inquiétante, une lumière surgit au-dessus d'elle et l'aveugla. Lorsqu'elle ouvrir de nouveau les yeux elle se trouvait dans un petit corps frêle et était incapable de prononcer la moindre parole ou bien de bouger comme elle le souhaitait. Elle observait timidement la personne qui la tenait fermement dans ses bras, c'est ainsi qu'elle fit la connaissance de Myrce. Anabelle était devenue Ainhoa Thasec.
*
Ainhoa avait grandi dans le château de son père mais n'était pas proche de lui ni de son frère ou de sa soeur d'ailleurs. Tous l'accusaient de la mort de leur mère alors qu'elle n'avait jamais souhaité qu'une telle chose arrive. Etrangement, elle ne se sentait pas proche de cette mère qu'elle n'avait pas connue et qui ne représentait rien pour elle, Myrce faisait davantage office de mère à ses yeux. Peut-être que cela était dû au fait que dans notre monde elle n'avait jamais été proche de ses parents, elle savait qu'elle n'avait pas besoin de "parents" pour réussir dans sa vie. Malgré qu'elle soit désormais dans un monde différent et qu'elle était une fille de la haute aristocratie de ce monde elle lutterait pour faire valoir ses droits! Ainhoa souhaitait prouver à tous, qu'elle était une femme et une guerrière, qu'elle explorerait les contrées lointaines à la recherche du Graal de sa majesté.
La jeune femme s'entendit rigoler alors qu'elle repensait au Graal, cet artéfact magique qui existait également dans son monde et qui avait donné lieu à un magnifique conte sur les chevaliers de la table ronde. En y repensant, ce monde lui faisait beaucoup penser à celui d'Arthur et de ses chevaliers.
Le petit-déjeuner dévorait, Myrce aida sa protégée à sa toilette et à enfiler sa tenue de cérémonie. Une longue toge noire recouvrait ses vêtements, une écharpe en soie autour du cou portant le blason dorée de la licorne de l'académie. La servante brossa la crinière dorée de son enfant de coeur et les tressèrent en couronne autour du joli visage fin et fragile de la jeune femme.
Une fois prête Ainhoa sortit de sa chambre d'un air confiant et d'un pas assuré, elle sentait qu'aujourd'hui elle allait soulever des montagnes! Beaucoup de choses restaient à faire et elle devait encore prouver à son père qu'elle serait un digne pillier mais elle était confiante et surtout accompagnée par un compagnon de taille : un chien-loup nommé Bobby.
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