Chapitre 11 : Les maux des mots

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Après sa séance, Gwendoline rentre chez elle, éreintée. Remuer autant de souvenirs et revivre toutes ces émotions d’un coup l’ont épuisée. Elle se met au lit avec une bouillotte et attrape son carnet. Tout comme sa thérapeute, son journal intime est, pour elle, un bon moyen de se confier.

Plus elle repense à tout ce qui s’est passé dans sa vie sentimentale, plus elle voit apparaître au grand jour les origines de ses schémas dysfonctionnels. Ceux-là même qui lui imposaient des choix toxiques à l’encontre de sa véritable nature. Ceux qui l’avaient empêché de prendre soin d’elle et de choisir les bonnes personnes à laisser entrer dans sa vie.

En faisant le point sur sa rupture, Gwendoline avait pris conscience que Konrad reflétait les croyances qu’elle avait entretenues à propos d’elle-même une partie de sa vie. Celles qui lui disaient qu’elle ne méritait pas mieux. Qu’elle ne pouvait pas avoir mieux. Qu’elle devrait même déjà s’estimer heureuse que quelqu’un la regarde.

Le regard qu’elle portait sur elle-même avait été dur, jugeant et intraitable. C’était ce regard qui avait autorisé qu’on la blesse sans se défendre. C’était lui encore qui lui avait soufflée qu’elle n'en faisait jamais assez. Toujours et encore lui qui l’avait convaincue qu’elle n’avait pas le droit à l'erreur.

Que c’était une perdante, une minable.

Une ratée.

Des tréfonds de son âme, ces pensées souterraines avaient dirigé sa vie sans qu’elle ne s’en aperçoive, comme un vaisseau sous-marin, invisible et sournois.

A cause de toutes les idées fausses qu'elle avait cultivées à son sujet, Gwendoline n’avait plus été capable de se voir réellement.

Elle avait ignoré trop longtemps sa propre valeur.

Et elle ne pouvait plus nier de qui cela lui venait.

Les mots que ses parents avaient employés résonnaient toujours en elle, malgré les années :

— Tu n’as qu’à aller faire la pute pour payer la tombe de ton frère, avait hurlé son père lorsqu’elle avait douze ans, juste après la mort de son frère ainé.

— Et tu comptes faire quoi, maintenant ? Aller faire la pute pour entretenir ton taulard ? avait craché sa mère lorsque Gwendoline avait vingt-deux ans et s’était entichée d’un voyou du quartier.

Des mots qu’elle n’avait pas eu besoin de tatouer sur sa peau pour se les rappeler. Des mots qui l’avaient conditionnée et rabaissée. Des mots auxquels elle avait donné foi et raison durant des années. Des mots qui ne lui avaient pas fait de cadeaux.

Assise dans son lit, le dos calé contre ses oreillers, elle mordille le capuchon de son stylo, les yeux tournés vers la fenêtre. Il fait nuit à présent, en ce réveillon de Noël, mais l’angoisse ne l’étreint plus autant. Au contraire, le soulagement de ces dernières découvertes recouvre sa peur latente de ne jamais arriver à changer. Grâce à l’aide sa psy, Gwendoline commence désormais à dénouer un à un les fils de son passé. Au fur et à mesure des séances, elle voit de mieux en mieux où elle en est et ce vers quoi elle veut se diriger.

Et une évidence lui saute aux yeux désormais : c’est une femme pleine de qualités qui mérite un homme qui en a tout autant. Elle a beaucoup à offrir et se sent digne de recevoir la même chose en retour, d’être choyée, gâtée, aimée passionnément, désirée et protégée.

Konrad est passé à côté de la chance qu’il a eue de partager un bout de chemin avec une femme puissante et forte, qui a tout affronté et s’est relevée avec courage ; une femme belle, jeune et dynamique, qui est sollicitée par des photographes et pose comme modèle photo ; une femme déterminée qui n’a jamais abandonné et qui s’est donnée les moyens d’avancer en cherchant toujours à s’améliorer.

Bien au chaud dans son lit, à la lueur d’une bougie parfumée, Gwendoline repense à l’année qui vient de s’écouler. Elle se sent pleine de gratitude pour tout ce qu’elle lui a apportée, les beaux moments vécus comme les épreuves traversées. Elle termine l’année célibataire, certes, mais elle n’est ni aigrie, ni déçue, au contraire, elle est pleine de reconnaissance envers la vie car elle voit qu’elle avance. Elle progresse. Elle transforme le négatif en positif. Un nouveau chapitre s’ouvre à elle, plein de possibilités et de belles choses à venir. Elle le sent au plus profond d’elle-même.

Comme elle se le répète souvent : l’Univers est en sa faveur.

Tout a un sens et elle le sait.

Elle se souvient qu’elle a un plan et qu’elle doit s’y tenir.

Dans son journal intime, elle écrit ses vœux pour la nouvelle année, en pensant à tout ce qu’elle désire au plus profond de son cœur, à toutes ces choses merveilleuses dont elle a toujours rêvé.

Après sa séance d’écriture, la jeune femme plonge dans le dernier tome de la saga des Cazalet qui, comme un heureux présage, s’intitule « Nouveau départ ».

Un autre message subliminal et prometteur de la part de l’Univers.

Au-dessus de son lit, trône son énorme tableau de vision, qu'elle a récemment réactualisé. Y sont accrochés ses rêves, ses envies et ses souhaits. Tout ce qu’elle désire désormais attirer.

Avant d’éteindre la lumière, Gwendoline se penche sous son lit et en sort une boîte à chaussures recouverte de morceaux d’images et de textes assemblés et collés. Elle ouvre son coffret aux trésors. C’est ainsi qu’elle l’avait appelé lorsque sa fille lui avait demandé ce que c’était. La boîte est remplie des souvenirs qui ont jalonné sa vie : quatre tests de grossesse, le bracelet de naissance de sa fille, des tickets de cinéma, de métro, de file d’attente, des lettres d’amour, un certificat de divorce, un message d’Adieu... Et au milieu de tout ce bric-à-brac, une photo d’elle petite fille. La seule que Gwendoline possède. Blonde aux yeux verts, la gamine dévoile ses petites quenottes de lait dans un visage souriant.

— On va y arriver, ma belle, je te le promets. Je vais tout faire pour t’offrir ce que tu as toujours mérité.

Dans les vapeurs d’ylang-ylang, Gwendoline s’allonge et ferme les yeux. Comme souvent au moment d’aller se coucher, elle ressent un courant d’air frais. Tous les volets sont pourtant fermés. Serait-ce l’âme de son frère qui vient la visiter ou un de ses anges gardiens qui veille sur elle durant son sommeil ?

Qui que soit cette présence, elle la sait amicale.

Elle peut avoir confiance.

Elle n’est pas seule. Elle ne l’a jamais été.









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