Chapitre 16 : Tambours et trompettes

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A son réveil, lorsqu’Erwann allume son téléphone, un nombre incalculable de messages arrivent les uns derrière les autres, se bousculant à la porte de sa messagerie. Cette dernière semble s’affoler et sur le point de buguer, complètement saturée de recevoir tant de missives à la chaîne.

C’est l’effet du premier de l’an, où chacun estime qu’il doit envoyer ses vœux de bonne santé, même à des gens qu’ils n’ont pas vus depuis des années.

Cet engouement passager pour les souhaits lui fait le même effet que les bonnes résolutions que tout le monde s’obstine à prendre pour démarrer l’année soi-disant du bon pied.

A vrai dire, il se rend compte qu’actuellement, il n’a pas vraiment d’attentes, ni de désirs envers la vie. Il a l’impression que ce qu’il désire réellement n’est pas accessible pour lui.

Pendant longtemps, il a fait comme tout le monde et a profité du premier janvier pour essayer d’arrêter de fumer. Et comme pour tant d’autres, cela n’a pas marché. Il aimerait être un meilleur exemple pour sa fille mais se priver de cet ersatz de plaisir est actuellement au-dessus de ses forces. Il y est bien trop attaché.

Pour le reste… parfois Erwann se sent aussi creux que les coquilles vides que Manon-Tiphaine ramassait enfant sur la plage en bas de chez eux.

Est-ce l’effet pervers de sa petite quarantaine qui lui dicte cet état d’esprit un peu blasé ? Où sont passés ses rêves d’enfant, d’adolescent ? Noyés sous la charge mentale d’une vie d’adulte probablement.

Certes, d’un point de vue professionnel, il a encore plein de choses à accomplir mais s’agit-il réellement de rêves ?

Tout en se préparant un café, les yeux tournés vers l’horizon dégagé, il se souvient de cette époque où il s’imaginait comme un artiste reconnu, adulé par ses pairs et cité en exemple par la profession. Un nouveau Patrick Demarchelier. Dans son immense bibliothèque, sont rangés tous les livres des célèbres photographes qu’il admire depuis longtemps : Robert Doisneau, David LaChapelle, Henri Cartier-Bresson, Robert Capa ou encore Annie Leibovitz, pour ne citer qu’eux. Publier un livre de ses images était son rêve autrefois.

Erwann a toujours eu de l’ambition et essaie chaque jour de progresser dans son domaine, mais il sent aussi que quelque chose le retient.

La peur ? Le manque de confiance en lui ?

Se mettre dans la lumière ne lui ressemble pas. Ce n’est pas dans ses habitudes, lui que l’on qualifie de discret, de secret parfois… S’exposer au grand jour, c’est prendre le risque d’être jugé par les autres, encensé, parfois, mais aussi critiqué. Il n’est pas prêt à se mettre en danger pour le moment… Un jour, peut-être ?

Tout en prenant son petit déjeuner, il envoie quelques réponses laconiques aux personnes qui lui ont souhaité plein de belles choses pour 2022. Si seulement elles pouvaient dire vrai…

Le message de sa fille lui décroche un sourire : « Belle nouvelle année à toi mon Papounet chéri, que celle-ci t’apporte la santé, le succès dans ton travail et dans tes amours ^^ ».

Le sms a la lourdeur d’un défilé de chars d’assaut.

En lisant celui de sa mère, Erwann lève les yeux au ciel. Celui-là non plus ne fait pas dans la subtilité : « Merveilleuse nouvelle année mon fils, à toi et à ta fille. Et de tout mon cœur, je te souhaite de rencontrer quelqu’un et de renouer avec le bonheur. Je comptais bien sur l’arrivée d’autres petits enfants pour m’occuper… »

Le photographe répond aux deux seules femmes de sa vie en veillant bien à ne pas rentrer dans leur jeu, évitant sciemment le douloureux sujet qu’est sa vie sentimentale.

Ou son absence, en l’occurrence.

En réalité, Erwann est déçu. Le message qu’il a envoyé à Gwendoline cette nuit n’a pas encore eu d’écho et il le regrette. Il sait bien qu’en ce jour spécial, il y a tout un tas de raisons qui pourraient expliquer ce silence, mais cela le déprime.

Il avait espéré recevoir une réponse de sa part et échanger avec elle, pour égayer cette journée particulièrement morne qui lui semble déjà interminable. Les jours fériés ressemblent à de longs dimanches de Novembre pour ceux qui vivent seuls.

Ce ne sont pourtant pas les opportunités qui manquent de sortir et d’aller visiter de la famille ou des amis aujourd’hui mais il avait envie d’autre chose.

Quelque chose qui le fasse… vibrer ?

En désespoir de cause, il enfile un gros jogging, un sweat à capuche et un bonnet et part courir sur le sentier des Douaniers serpentant à deux pas de chez lui. Ses foulées rythment les visions qui traversent son esprit, saturé d’images qui reviennent sans cesse le hanter.

Augmentant sa vitesse, Erwann semble presque voler au travers du décor sauvage qui l’entoure. Sautant par-dessus les rochers et les monticules de terre et de sable qui entravent sa progression, il court à perdre haleine sans s’arrêter. Le visage fouetté par la bruine et les embruns marins qui sont projetés jusqu’à lui, il enjambe d’énormes flaques d’eau parsemant le chemin escarpé. La côte tortueuse de Crozon défile sous ses yeux, bien qu’il semble ne pas la voir, perdu dans ses pensées. Courir encore, et plus vite, pour se vider la tête.

Sans succès.

Rincé, en sueur et trempé par le crachin, il a beau tout essayer pour se changer les idées, au retour de son escapade le long du GR34, Erwann reste frustré.

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