Chapitre 22 : Clic clac. C'est dans la boîte

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Tentant de masquer son trouble, Erwann acquiesce et détourne le regard lorsqu’elle commence à se dévêtir. Une fois tous ses vêtements posés sur le parapet en béton, elle revient s’asseoir au sommet des escaliers. Erwann, plus bas sur la plateforme située entre deux étages, se repositionne et la guide, pour éviter qu’une partie de son anatomie ne soit trop exposée.

Tous les deux connaissent bien les critères du nu artistique. Le corps doit être exposé sans aucune vulgarité.

Complètement nue, uniquement chaussée de ses escarpins en cuir beige clair, elle parvient, malgré l’air qui s’est rafraîchi, à rester concentrée et légère.

— Tes tatouages sont superbes, déclare le photographe qui ose, pour la première fois, révéler le fond de sa pensée.

— Merci, c’est gentil. Les tiens n’ont pas l’air mal non plus…

Depuis qu’il a retiré son foulard pour passer la lanière de son appareil photo autour de sa nuque, elle peut enfin admirer le superbe dessin qui était jusqu’alors caché.

— Mon meilleur ami est tatoueur. Je l’ai embauché.

— Il bosse bien. Celui de ton cou est magnifique… ajoute-t-elle dans la foulée, avant de reprendre la pose.

Flatté, le cœur du photographe fait une embardée.

Après ce rapide échange, Erwann replonge rapidement dans sa bulle. Faire des photos le met toujours dans un état second, comme s’il était guidé par une inspiration. Grâce aux images qu’il crée, il a l’impression de remplir une sorte de mission. A partir d’une idée, il reflète une ambiance, transpose un univers. Il contribue à apporter de la beauté au monde, comme lui rappelle souvent sa fille.

Dans ces moments de création, il se sent vraiment lui-même, heureux.

Gwendoline commence à frissonner mais, appliquée et professionnelle, elle se fige face à l’objectif, le regard intensément posé vers l’homme qui la mitraille sous toutes les coutures.

Un nouvel amateur du footing de soirée arrive à petites foulées vers eux. Erwann réagit aussitôt en lui donnant son manteau dans lequel elle s’emmitoufle pour se cacher. Mais l’homme a bien remarqué la scène peu ordinaire qui se déroule sous ses yeux et s’attarde sur la jeune femme. Bien que s’éloignant, il ne peut s’empêcher de tourner la tête dans l’espoir de voir quelque chose d’intéressant.

— S’il continue comme ça, il va se rétamer ce pauvre bougre, plaisante Erwann, habitué à travailler avec ce genre de complications.

Gwendoline éclate de rire et, constatant que le curieux s’est assez éloigné, retire son manteau pour continuer la session.

Malgré le froid qui devient mordant, elle prend sur elle pour ne rien laisser paraître. Son photographe doit la sentir à l’aise et bien dans sa peau, ressentir de belles émotions à travers son attitude et se laisser entrainer dans un univers glamour et sensuel.

Entre chaque changement de position, quittant son rôle, elle redevient joviale et pleine de peps. Elle profite de chaque pause pour étirer ses muscles restés trop longtemps figés.

Le rythme auquel ils se soumettent est intense et elle sent peu à peu la fatigue la gagner.

— On fait la dernière, annonce Erwann en relevant la tête. Tu as l’air frigorifié.

Il appuie une dernière fois sur le déclencheur et immortalise les dernières expressions offertes par la jeune femme, avant de taper dans ses mains, comme pour donner le clap de fin.

— Terminé pour aujourd’hui. Attends, je vais t’aider.

Constatant que la modèle commence à grelotter, il se précipite vers elle et lui tend les vêtements qu’elle avait en arrivant.

Elle enfile plusieurs épaisseurs les unes après les autres, pour se réchauffer rapidement et éviter le coup de froid. Lorsqu’elle a fini de se rhabiller, il l’aide à mettre son manteau et sort deux chaufferettes qu’il lui glisse entre les mains. Le contact de sa peau douce et délicate le fait à son tour frissonner.

Le froid n’y est cependant pour rien.

Le soleil a complètement disparu quand ils ont fini de tout ranger. Erwann est en train de réfléchir à ce qu’il pourrait lui proposer pour prolonger cette rencontre. Il désire continuer à profiter de son agréable présence. La nuit est presque là désormais et il aimerait la retenir pour qu’elle l’éclaire encore de sa lumière.

Malgré l'assurance qu'il arbore, Erwann se sent gauche. Depuis sa rupture, il n’a pas remis le pied à l’étrier. Le photographe n’est définitivement pas un dragueur et ce n’est pas à quarante ans qu’il va commencer. Il n’a jamais su et ne saura probablement jamais. Il a toujours été fidèle à la mère de sa fille, tout le temps qu'à duré leur mariage. C’est le compagnon d’une seule femme pour, il l’avait espéré à une époque, une seule vie.

Mais Gwendoline est là désormais, et elle bouleverse son monde. Avec ses longs cheveux argentés soufflés par le vent qui se lève en même temps que la nuit s’installe sous leurs yeux.

La ville s’est habillée de lumières, les rues ont été désertées. Les derniers coureurs ont fini leur entrainement tardif. Ils ne restent qu’eux sur ce pont traversant l’Erdre scintillante, comme deux fantômes errants en quête de quelque chose.

Alors que Gwendoline met son bonnet, il remarque son nez et ses joues rouges et vient lui poser sa veste sur les épaules tout en lui frictionnant le dos. Tremblante, elle rajoute une paire de gants, y glisse les deux chaufferettes et frotte vigoureusement ses mains l’une contre l’autre. Elle a l’air d’un lutin grippé qui aurait besoin d’une bonne bouillotte et d’un doliprane.

S’imaginant qu’elle n’aspire qu’à rentrer chez elle, il hésite à lui proposer de continuer la soirée.

Tandis qu’ils descendent les marches pour regagner le parking, il passe devant elle au cas où elle viendrait à tomber. Les escaliers sont étroits et raides et même délestée des sacs qu’il porte à sa place, il a peur de la voir chuter.

Arrivé en bas des marches, comme prit d’une impulsion, Erwann tend le bras vers une devanture allumée, aux néons rouges et bleus.

C’est son dernier espoir…

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