Chapitre 26 : La défaite du canari

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— Je connais un petit bar très sympa à cinq minutes d’ici, en voiture, dit Erwann, à présent un peu plus confiant. On peut aller y faire un tour, je sais qu’ils proposent encore du chaud à cette heure. Ils font un merveilleux chocolat chaud « maison » dans lequel on peut tremper des marshmallows grillés. Délicieusement écœurant.

Gwendoline exulte intérieurement, sauvée. Pas la peine de quémander un peu plus de temps ou de rester à parler dehors dans le froid pour profiter encore de sa belle présence. Soulagée, elle acquiesce d’un signe de tête, avec un sourire malicieux qui en dit long sur son envie "de chocolat chaud « maison »".

S’il savait combien c’est lui qu’elle aimerait goûter là, tout de suite. Elle fixe de plus en plus souvent sa bouche, avec ses belles lèvres pulpeuses, envahie d’une irrépressible envie de fondre dessus pour en savourer le goût, la texture, la chaleur…

Erwann lui propose de prendre sa voiture, un beau X5 noir BMW. En vrai gentleman, il lui ouvre la portière côté passager, et la referme derrière elle, lorsqu’elle est installée. Cette galanterie touche la jeune femme qui n’a jamais connu cela auparavant. Est-il possible qu’à notre époque, Erwann soit le dernier homme à faire tant de cas de la bienséance et des bonnes manières ?

Il faut croire que oui, pense-t-elle, car c’est la première fois qu’on prend soin d’elle ainsi. Gwendoline se sent chanceuse et reconnaissante d’être en compagnie de ce spécimen rare. Espérons que cela ne soit pas le dernier avant l’extinction de l’espèce ! Elle s’amuse désormais à remarquer chacun de ses gestes allant en ce sens et à anticiper de nouvelles marques de déférence à son encontre.

Elle réalise également qu’il ne fume pas, en tout cas, s’il fume, elle ne l’a pas vu faire et il ne l’a pas quittée un instant pour s’en griller une.

Cette pensée lui rappelle aussitôt un mauvais souvenir, lorsqu’au cours de l’une des premières soirées avec les amis de son ex, Konrad, elle s’était retrouvée complètement seule à la table, soudainement désertée par les fumeurs. Plantée au milieu de la salle, elle s'était sentie affreusement mal qu’on la délaisse ainsi pour aller s’adonner à ce vice qui donne le teint gris, les dents jaunes et une mauvaise haleine.

A ce moment-là, elle avait regretté d’avoir choisi un fumeur, oubliant trop vite tous les désagréments que cela engendrait pour une personne comme elle, totalement réfractaire au tabac.

Alors qu’Erwann se gare en créneau sur une place un peu éloignée de l’entrée du bar, la jeune femme détaille son profil, et discerne la proéminence de sa pomme d’Adam, bien dessinée et visible, même recouverte par sa barbe fournie. Une belle barbe brune et brillante qui semble si soyeuse au toucher qu’elle aimerait glisser ses doigts dedans pour jouer avec.

Elle remarque aussi ses mains longues aux doigts osseux, légèrement crispés sur le volant. De belles mains masculines aux veines apparentes mais aucunement abimées, ce qui est logique puisqu’il n’a pas un travail très physique ou salissant. Ses ongles sont propres et ne sont pas rongés. Les trois bagues qu'il porte l'intriguent. Un anneau simple en argent brossé au majeur gauche, une chevalière au petit doigt et un anneau torsadé assez épais à l'annulaire de la main droite.

Perdue dans ses pensées, Gwendoline revient à elle, lorsqu’Erwann vient lui ouvrir la portière, tout en lui tendant la main pour l’aider à sortir de l’imposant SUV. Un marchepied ne serait pas de trop tant la voiture est haute, mais aidée de son chevalier servant, elle s’en sort à merveille.

Elle se rend compte à quel point il est agréable d’être ainsi secondée dans les moindres tâches. Elle apprécie ce trait de caractère. Voilà enfin un homme qui sait tenir son rang tout en se montrant viril et protecteur. Un homme qui connaît son rôle et ses attributions et qui a appris à prendre soin d’une femme de la meilleure des façons.

Il n’y a rien de plus délicieux que de se sentir si précieuse, mise en valeur par un comportement respectueux et noble, par des manières princières et une attitude empreinte de générosité. Pour la première fois de sa vie, on la traite comme une reine.

A nouveau, Erwann la devance et lui tient la porte pour la laisser passer en premier.

Elle le remercie d’un sourire reconnaissant. Lorsqu’elle entre dans le bar animé, son cœur s’arrête. Elle le reconnaît d’emblée avec sa tignasse brune, ses yeux noirs et sa barbe broussailleuse. La surprise de le découvrir ici la fait littéralement se figer.

Konrad se tient debout devant elle, juste devant la porte d’entrée, accoudé au comptoir. Plusieurs énormes chopes de bières sont posées devant lui. Il n’est pas difficile d’en conclure que c’est sa tournée... Supputant qu’il n’est pas seul, Gwendoline regarde derrière lui et reconnaît une partie de sa bande : Greg, François et Jocelyn. Les quatre compères sont de sortie. Ils portent tous une écharpe aux couleurs vives des Canaris. Ses trois amis l’ont reconnue et la dévisagent ouvertement.

Konrad est aussi étonné qu’elle en la voyant entrer. Il ne remarque pas de suite qu’elle est accompagnée.

— Tiens, mais qui voilà ! Gwen ! La nantaise est donc enfin de sortie. C’est pas souvent qu’on te voit dehors, toi.

— Tu es bien placé pour savoir que ce n’est pas mon genre. Je laisse ça aux experts, ajoute-elle en montrant d’un signe de tête les quatre verres remplis de liquide ambré et recouverts de mousse à ras bord.

— Qu’est-ce qui t’amène ici ? Tu me cherchais ? demande-t-il avec un sourire carnassier.

— Pas du tout, rétorque-t-elle vivement. Je ne suis pas seule.

Levant les yeux vers l’homme derrière elle, Konrad change de visage. La gaîté qu’il arborait se transforme soudainement en irritation.

— Ton nouveau mec ? conclut-il avec une hargne à peine dissimulée.

— Mon photographe, corrige-t-elle, passablement énervée.

— Tu fais toujours des photos ?

— Comme si tu ne le savais pas, arrête. Tu as commenté presque toutes les dernières que j’ai postées. Erwann, voici Konrad, mon ex, dit-elle en faisant volte-face vers son photographe, pour le lui présenter.

— Bonsoir, lance Erwann, en lui tendant une main assurée.

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