Chapitre 30 : Morning Glory

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Lorsque Gwendoline et Erwann franchissent la porte du bar, laissant le rideau de fer s’abaisser derrière eux, l’air frais et humide de la nuit leur fait du bien. Anesthésiés par l’ambiance de l’établissement surchauffé, ils apprécient de respirer à nouveau et prennent de concert une grande goulée d’air pur.

La pluie a cessé mais son odeur persiste et embaume l’atmosphère de la ville assoupie. Déambulant dans la rue éclairée, deux passants discutent avec agitation et manquent de leur rentrer dedans. D’un mouvement aussi soudain que vif, Erwann la tire vers lui pour l’écarter de leur chemin. Surprise, Gwendoline se colle contre lui et s’immobilise. Leurs regards se croisent. Troublée, elle hésite à bouger mais s’éloigne légèrement. Silencieux, ils reprennent leur marche nocturne.

En se dirigeant vers la voiture, la jeune femme se meut au ralenti et retient un bâillement dans le creux de sa main, espérant que son chevalier servant ne s’est pas aperçu de son coup de barre.

— Fatiguée ? demande celui-ci, en lui ouvrant la portière.

— Un peu, reconnaît-elle à demi-mot.

— Je comprends, lui répond-il, avec un clin d’œil.

Elle n’ose pas expliquer à Erwann qu’elle n’est plus une couche-tard, préférant se lever de bonne heure le matin pour profiter de sa journée. Depuis la naissance de sa fille, Gwendoline n’a plus l’habitude de ces horaires-là. Elle se sent épuisée par cette longue et intense journée.

— Je te ramène à ta voiture, dit-il avec un sourire compatissant, en s’installant au volant.

— J’ai l’habitude de me lever tôt, tu sais…, explique-t-elle pour le rassurer. Je ne traîne pas souvent le soir comme ça…

Elle aime se lever aux aurores et méditer au saut du lit. Si elle n’a pas un moment de solitude le matin avant de se préparer pour emmener sa fille à l’école, elle ne se sent pas aussi bien pour attaquer sa journée.

Pour cela, elle privilégie les soirées calmes, entre lecture et écriture dans son journal intime, avant d’éteindre peu de temps après avoir couché sa fille. Sans ses sept heures de sommeil, son humeur n’est plus la même.

— J’avais cru comprendre. Konrad avait l’air surpris de te trouver là.

— Oui, je ne m’attendais pas à tomber sur lui, non plus, ajoute-t-elle en riant. Lui et moi, nous avions des modes de vie assez différents, pour dire la vérité…

Erwann sourit à cette remarque, se retenant de lui demander ce qui les avait rapprochés. En repensant à Alice, son ex-femme, il sait bien que l’on vit parfois avec quelqu’un avec qui on n’a plus grand-chose en commun.

Dans le silence de l’habitacle, Gwendoline plonge dans ses pensées. Elle pourrait lui faire la liste de toutes les raisons qui l’ont conduit à cette conclusion mais ce serait trop long. Konrad et la jeune femme n’étaient tout simplement pas bien assortis. Il était un oiseau de nuit aimant la fête et être entouré de gens et de bruit.

Même si elle adore mettre la musique trop fort, et chanter faux à l’abri des regards, elle aime particulièrement s'adonner de longues heures à la lecture et savourer le calme de ses méditations.

Lorsqu’elle évoque son style de vie à tendance monacale, son entourage se moque gentiment d’elle. Nourriture saine, jamais de télé le soir avant de se coucher, réveils ultra-matinaux, voilà bien une façon de vivre qui ne tente pas ses amis. Trop de contraintes, ont-ils l’habitude d’argumenter.

— Konrad et moi n’avions pas la même définition de ce que les gens appellent « profiter de la vie », reprend-elle en mimant les guillemets.

Les gens. Elle a beau leur expliquer que cette façon de faire lui réussit, ces derniers restent dubitatifs. Pourtant, ce qu’elle apprécie par-dessus tout, c’est se connaître mieux. Si elle a pris ses bonnes habitudes, c’est pour devenir quelqu’un de meilleur. Elle a envie d’apprendre de nouvelles choses, de se cultiver, d’évoluer intellectuellement et de progresser spirituellement.

— Si pour lui, profiter de la vie, c’est se mettre minable au lieu de passer une bonne soirée entre amis, ce n’est pas non plus ma vision des choses, déclare Erwann, les yeux sur la route.

Évidemment, Erwann a l’air différent. Plus mature et posé que les hommes qu’elle a rencontrés dans le passé, Konrad y compris. Pas d’alcool et apparemment pas de cigarettes.

Après les nombreux revers de fortune qu’elle a connu en amour, Gwendoline commence à désespérer de trouver quelqu’un qui lui ressemble. Erwann semble prometteur, pour autant, elle reste sur ses gardes et vigilante. Il faut qu’elle temporise un peu son enthousiasme pour ne pas s’emballer comme elle l’a fait avec Konrad.

— Je crois que Konrad n’a pas d’autres ambitions dans la vie, en effet.

Elle se retient d’ajouter que Konrad n’a pas d’autres ambitions dans la vie que celle d’avoir une bite plus grosse et plus longue, mais ce serait peut-être trop pour une seule soirée. Elle ne connaît pas encore assez Erwann pour se permettre de proférer de telles insanités, même si l’idée de se défouler lui plairait follement. D’autant plus que, ce soir, le comportement de son ex a été ridicule et injustifié. L’accuser de l’avoir trompé avec tous ses photographes, il a fait fort, ce taré. Quand elle pense qu’elle n’a eu de cesse de le rassurer et de lui jurer fidélité. Elle savait que son métier pouvait être dur à supporter. C’est pourquoi, elle l’avait prévenu d’emblée, bien avant de démarrer leur histoire. Konrad était au courant de ce à quoi il allait être confronté. Oui, elle couche avec des hommes, dans le cadre de son travail, mais c’est pour le fric et à aucun moment, elle ne l’a trompé en dehors de ses relations tarifées. Si Konrad ne pouvait pas faire la part des choses, comme elle le fait, entre vie privée et vie professionnelle, il n’avait qu’à refuser de se lancer dans leur relation. C’est trop facile de l’incriminer aujourd’hui alors qu’elle a toujours été claire, dès le début, avec lui.

Gwendoline ressasse sa colère en regardant le paysage sombre défiler. Heureusement que Véronique sera là pour l’écouter se plaindre, dès mardi matin. Même si elle bout à l’intérieur, elle se retient de l’exprimer, car elle ne veut pas qu’Erwann la voit exploser de rage. Et puis, une petite partie d’elle est ravie : la magnifique gamelle de son ex remet les choses à leur place. Au fond d’elle, elle se dit qu’il la bien cherchée et méritée. Elle se délecte de la magnifique chute de cette soirée, dans tous les sens du terme…

Erwann la tire de ses pensées, rebondissant sur ce qu’elle vient de dire, un peu plus tôt.

— Si on veut donner un sens à sa vie, il faut faire les choses bien, explique-t-il. Se bouger, travailler, avancer. Apprendre de ses erreurs et continuer. Recommencer. Sans cesse recommencer. Ne jamais abandonner. C’est pour moi la seule façon d’y arriver.

Erwann semble être un passionné qui nourrit, grâce à la photographie, une certaine ambition professionnelle. Elle aime cet état d’esprit, cette quête de reconnaissance, cette envie d’exister à travers son art. Elle admire les gens qui se donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs, au prix, parfois, de certains sacrifices.

— Tu dois te demander ce que je faisais avec Konrad… dit-elle en se tournant vers lui, regrettant presque aussitôt d’en avoir trop dit.

— Parfois, on est avec quelqu’un parce qu’on a besoin de comprendre ce qu’on ne veut plus jamais. Et ça aussi, ça permet d’avancer…













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