Chapitre 33 : Fumer tue.

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Lorsqu’il ouvre les yeux, Erwann s’aperçoit qu’il a oublié de fermer les volets de sa chambre et que le soleil est déjà haut dans le ciel.

Onze heures trente. Heureusement qu’il n’avait rien prévu d’urgent aujourd’hui. Un des avantages à travailler en freelance est de pouvoir gérer son emploi du temps comme il l’entend.

Il réalise qu’il n’a pas demandé à Gwendoline quel était son travail. Il sait bien que son activité de modèle n’est pas encore suffisamment rémunérée pour qu’elle puisse en vivre.

Il se rappelle juste qu’elle était libre de se lever plus tard ce matin car sa fille était en weekend chez son père et qu’elle n’avait pas d’obligation. Il s’étonne de son propre manque de curiosité mais il est vrai que, par moments, ils étaient dans leur bulle et que leurs vies, avec ses contraintes et ses obligations, ne paraissaient pas être leur priorité. Elle non plus n’a pas posé beaucoup de questions le concernant. Il y a eu des silences et ces silences étaient remplis de regards et de sourires qui leur suffisaient.

Il aime l’impression de sérénité qui se dégage d’elle. C’est apaisant.

Peu importe qu’il n’en sache que peu sur elle, il aura d’autres occasions de la découvrir. Il veut tout connaître, mais pas tout d’un coup.

Après le message qu’il a reçu en rentrant, il s’est mis directement au travail sur son ordinateur, passant plus de deux heures à retoucher sur son logiciel les meilleures photos qu’ils avaient faites ensemble.

Bien que fatigué, il n’a pas pu résister à l’envie de passer un peu plus de temps avec elle, quand bien même ce n’était qu’à travers un écran. Ce fut un plaisir de profiter de sa présence lumineuse en plein cœur de la nuit. Il aime les expressions de son visage, notamment dans les portraits, sublimés par les couleurs vespérales du soleil déclinant.

Très fier du résultat, Erwann ne peut résister à l’envie d’envoyer quelques photos à l’un de ses meilleurs amis, Quentin. Il souhaite avoir son avis d’artiste sur son travail et, par la même occasion, lui présenter la seule femme qui a réussi à le faire sortir du néant sentimental dans lequel il était plongé depuis sa rupture avec Alice.

Il lui transmet quatre clichés par Messenger, que le tatoueur, entre deux sessions de remplissage, s’empresse de commenter :

— Eh bah mon salaud, tu t’emmerdes pas !

— Ok, bon… ça, c’est fait… Et les photos, qu’en penses-tu, pour ma prochaine expo ?

— Ouais carrément. Très jolies couleurs. Vous avez eu de la chance d’avoir un ciel aussi bien dégagé. Sinon, elle est aussi charmante en vrai qu’en photo ou tu l’as retouchée ?

— Je ne l’ai pas retouchée.

— Tu l’as touchée alors ?

— Est-ce que tu es obligé de systématiquement tout ramener au cul ?

— Ouais, affirme le tatoueur pour continuer de l’énerver. J’aime ça.

— Mec, tu n’es qu’un porc, assène le photographe, un peu blasé.

— Amen, poursuit le tatoueur sur sa lancée.

— Bon bref, merci de ton avis, conclut Erwann, légèrement vexé.

— C’est bon, fais pas ton susceptible, Gaz. J’ai déjà assez de Richard comme chochotte.

Richard est gay et même si Quentin n’est pas homophobe, il ne peut s’empêcher de le chambrer avec ça, ce qui exaspère au plus haut point Erwann. Ce dernier pense que sa fille est, elle aussi, attirée par les personnes du même sexe. Il n’est pas militant pour la cause LGBT mais, si sa grande est concernée, il ne pourra que se montrer intransigeant envers ceux qui se montreront désobligeants.

— T’es pas possible, Quentin, sérieux.

— Rien à voir, mais ta meuf, là, je la connais non ?

— Déjà, c’est pas MA meuf, je viens à peine de la rencontrer… Et ensuite, je ne crois pas, non. Pourquoi ? Demande Erwann, intrigué.

— Je ne sais pas. Son visage me dit quelque chose. Ses tatouages aussi d’ailleurs…

— Ben, elle est modèle photo comme tu t’en doutes puisque je l’ai shootée. Tu l’as sûrement vue sur son Insta ou sur Facebook.

— Ouais peut-être, répond le tatoueur, dubitatif. Content que t’es enfin rencontré quelqu'un qui te plaise. A plus, Gaz.

Erwann est soulagé que son pote coupe court à la conversation, de plus en plus gêné par ce type de langage ordurier. Même s’il a pris l’habitude de ne plus prêter attention aux commentaires salaces de Quentin, l’entendre parler de Gwendoline de cette façon le dérange.

Regonflé à bloc par cette rencontre, Erwann veut conserver la bonne humeur qui s’est emparée de lui ce matin. Motivé, il file sous la douche et décide de prendre un bon petit déjeuner avant d’aller à la salle de sport pour se décrasser. A quarante ans, il sait qu’il doit prendre soin de lui et de son corps s’il veut être au top dans sa vie professionnelle, familiale et sentimentale. Sa santé doit devenir sa priorité et c’est tout naturellement qu’en sortant de chez lui, il attrape son paquet de cigarettes, abandonné hier soir sur la console de l’entrée et le jette dans la poubelle en bas de son immeuble.

« Nous sommes nos choix », disait Jean-Paul Sartre.

Et le sien aujourd’hui est de profiter de cet état de grâce pour éliminer cette habitude qu’il a prise avec la clope.

Il rêvait de ce moment où il allait se sentir assez fort pour se débarrasser de cette merde. Jusqu’à présent, toutes ses tentatives ont échoué et il n’est pas sûr à cent pour cent que celle-ci connaîtra une issue plus favorable, mais il se doit d’essayer.

Se sentant reboosté par cette rencontre providentielle, il sait que c’est le meilleur moment pour se sevrer d’une addiction car les hormones du stress sont majoritairement remplacées par la dopamine, celle du bonheur.

La physiologie joue en sa faveur. Il a toutes les cartes en main pour changer. Pour son propre bien-être, pour être un meilleur exemple pour sa fille, parce qu’il sait que Gwendoline ne fume pas, également. Autant de raisons qui le poussent à se reprendre en main.

Et puis cette petite indication perfide écrite sur le paquet qu’il vient de jeter ne peut que terminer de le convaincre : « fumer tue ».

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